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Action coeur de ville : les maires face au défi du "repeuplement"

Attirer les familles dans les centres : ce n'est pas le moindre des enjeux pour les 222 maires impliqués dans le plan Action coeur de ville, dix-huit mois après son lancement. Tour d'horizon de ce qui s'est dit sur la question de l'habitat lors des deuxièmes Rencontres Coeur de ville organisées par la Banque des Territoires, à Arras le 1er octobre.

De Châtellerault à Rambouillet, de Châlons-en-Champagne à Dole, de Mantes-la-Jolie à Arras… un peu partout, le plan Action cœur de ville se met en branle, avec un impératif : faire revenir les habitants dans les centres. De quoi réamorcer la pompe, ramener de l’activité, des commerces... "Ce sont les résidents qui redonnent de la moelle pour les commerces, et non l’inverse", martèle Thierry Fèvre, directeur du développement local de Châtellerault (Vienne), lors d’un atelier des deuxièmes Rencontres Cœur de ville organisées par la Banque des Territoires, le 1er octobre à Arras. Si ce sont les fermetures de magasins qui ont alerté il y a quelques années sur la crise des villes moyennes, tout le monde s’accorde pour dire qu’il s’agit du symptôme d’un mal plus profond. Celui de la désertification et de la paupérisation des centres. En quinze ans, le taux de vacance des logements dans l’Hexagone est passé de 6,9 à 7,9%, soit 700.000 logements inoccupés de plus, selon une étude récente de la Fnaim. Comme si Marseille s'étaient vidée de sa population. Et dans ce tableau, les villes moyennes sont les plus exposées (avec plus de 8% de vacance).

Maintenant que les études sont réalisées, les 222 villes du plan entrent dans la phase des réalisations : appels à projets, réhabilitations, constructions de logements, rénovation de l’habitat ancien.... Le ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, est venu dire aux élus et à leurs partenaires réunis à Arras de ne pas relâcher l'effort à l’approche des élections municipales et au contraire de se montrer "extrêmement volontaristes" (voir aussi notre article du 2 octobre). Et de s’approprier tous les outils mis à leur disposition, notamment les ORT (opération de revitalisation du territoire), le "Denormandie dans l’ancien"…

"La stratégie de repeuplement, c’est une stratégie globale"

Seulement il n'est pas aisé d'attirer les investisseurs sur un marché jusque-là atone. Vitré (Ille-et-Vilaine), pourtant souvent citée en exemple, en a fait l'amère expérience : un appel à projets pour un ensemble d'une centaine de logements, combinant mixité sociale et résidence pour retraités, est resté infructueux, faute de candidats. Châtellerault (Vienne), ancienne ville industrielle située à l’extrême nord de l’immense Nouvelle-Aquitaine, a été confrontée au même problème. "Dans un premier temps, on faisait venir des 'investisseurs Malraux'. Nombreux sont venus mais beaucoup repartaient",  témoigne Thierry Fèvre, directeur du développement local. Le marché ne leur paraissait pas suffisamment porteur. "Pour attirer des investisseurs, il faut tout d’abord qu’ils sachent où l’on va, vendre l’image de la ville", explique-t-il. Alors la ville a travaillé sa "désirabilité", selon son expression, en aménageant les quais de la Vienne, en ouvrant des placettes, tout en conservant des équipements (collèges, lycées, zones de résidence jeunes, etc.). La ville a acquis 16 biens à rénover dans l'idée de susciter un effet d’entraînement. Un investisseur (Buildinvest) "a compris où on allait, grâce à la force de conviction des élus". Et aussi grâce aux aides de l'Anah dans le cadre d'un Opah-RU. Pour aller plus loin et comprendre les besoins des investisseurs, la ville a commandé à la Scet une étude "exploratoire" qui a dressé une typologie des investisseurs susceptibles d’intervenir dans chacun des îlots : les "fortunes locales", les "malins opportunistes" cherchant une rentabilité à long terme, etc. Presque un profil psychologique. La mayonnaise prend. "On sent vraiment que quelque chose fermente. Des gens commencent à croire dans leur ville. La mobilisation des agences immobilières est un sujet à part entière...", développe Thierry Fèvre. Récemment, l'enseigne Biocoop qui envisageait d’ouvrir un magasin en périphérie a revu ce projet pour s’installer dans le centre...

"C’est l’illustration que le logement fait partie d’une politique globale de réinvestissement des centres villes et que tout se tient", commente le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, directeur du programme Action cœur de ville, à l’issue de ce témoignage. "La stratégie de repeuplement, c’est une stratégie globale. (...) Le cadre de vie doit redonner l’envie d’habiter en centre-ville."

Lutter contre l'habitat dégradé

Pour de nombreux maires, le problème numéro 1 est la lutte contre l’habitat dégradé. L'Anah (Agence nationale pour l'habitat) mobilise 1,2 milliard d'euros sur les cinq ans du programme pour rénover des logements. Il faut savoir manier la carotte (les subventions) et, en dernier recours... le bâton. Le maire de Dole (Jura) reconnaît ainsi n’avoir "rien fait pour attirer les investisseurs". Son souci a plutôt été d’obliger les propriétaires négligents à effectuer des travaux. Avec une mesure coercitive : l’ORI (opération de restauration immobilière). "On n’a pas encore utilisé le bâton, mais savoir que le bâton n’est pas très loin provoque des réactions", explique Jean-Baptiste Gagnoux, dont la ville utilise aussi les taxes sur les logements vacants ou les taxes sur les friches commerciales. Ces moyens coercitifs "ne peuvent être que positifs pour faire réagir des propriétaires qui étaient inexistants". "On n'exproprie que des immeubles entièrement vides, il est hors de question de le faire si des gens y habitent", précise toutefois l'édile.

"On a beau faire des expropriations, derrière il y a des habitants. Il faut rester fidèle à notre rôle d’accompagnateur social de gens qui ont des parcours de vie", rebondit Laurent Burckel, adjoint au maire de Saverne (Bas-Rhin) chargé de la rénovation urbaine. Selon lui, il faut aussi penser aux "petits propriétaires", à ces personnes aux revenus modestes qui ont pu hériter d’un immeuble dont ils occupent un palier mais qui n’ont pas les moyens d’engager des travaux de mise aux normes ou de rénovation. Un coup de pouce leur permettrait pourtant de débloquer la situation, de générer un complément de revenus avec de la location. Son idée : créer un "fonds souverain", sur le modèle des plateformes d’initiatives locales, pour accorder des sortes de microcrédits de 8.000, 10.000 euros et "revenir à un cercle plus vertueux".

Attirer des familles

Dole comptait 300 logements vacants dans le centre. Sur 56 logements rénovés, 14 nouveaux propriétaires occupants se sont installés. Le profil : plutôt des cinquantenaires dont les enfants sont partis faire leurs études, n’ayant plus envie d’entretenir leur propriété, mais aussi des retraités venus de Dijon, de Paris, qui ont voulu profiter des aides à la rénovation. Difficile cependant d’attirer de jeunes familles. "Ce n’est pas la famille avec des parents de trente ans et trois enfants qui s'installe (...), cela reste encore compliqué", confesse en effet le maire. "Aujourd’hui, il n’y a pas de logement possible si vous n’avez pas a minima un place de stationnement avec." C’est aussi l’avis de Mathilde Tournaux, responsable du renouvellement urbain chez Action logement services dans les Hauts-de-France, pour qui "le 40m2 sans parking" s’adresse plutôt aux retraités… Or pour les promoteurs privés, c'est le format qui se vend le mieux.

Alors pour attirer des primo-accédants, certains maires n'ont pas hésité à instituer des primes, de quoi couvrir au moins en partie les frais de notaires ou d'agences.

D'autres mairies procèdent au "curetage" d’îlots (démolition partielle pour aérer l’espace). "On en a très peu fait, pas assez à mon goût", reconnaît Jean-Baptiste Gagnoux. Faire de la déconstruction nécessite de réviser le "plan de sauvegarde". C’est ce que la municipalité a entrepris. Mais la procédure est longue : "On en a bien pour quatre ou cinq ans", estime le maire. "On manque d’ambition, notre société a été beaucoup plus ambitieuse à une époque, on a percé des avenues", ose l’édile. "Bien sûr tout cela doit se faire dans le respect des ABF (Architectes des Bâtiments de France, ndlr) et du patrimoine. "Ce que Haussmann a pu faire, aujourd’hui, pour le 10e du 100e, on va se faire vertement accueillir", abonde Laurent Burckel.

"La mixité se fait par le milieu"

À Rambouillet (Yvelines), on préfère anticiper. La commune a plutôt l’image d’une ville coquette, avec son château, sa forêt... "Le tableau pourrait sembler idyllique, mais depuis quelques temps on a des signaux d’alerte", témoigne Joëlle Crozier, adjointe au maire. Le taux de vacance des logements est passé de 3,8 à 7% en deux ans… Le centre-ville se dépeuple, avec des copropriétés anciennes "pas délabrées mais qui nécessitent une vigilance". Mais surtout, la population vieillissante de la ville "bascule vers le centre", ce qui génère une pression foncière qui écarte les jeunes et les familles. La ville veut "conforter ce bien vivre à Rambouillet" mais aussi donner "l’image d’une ville de province tournée vers l’avenir". L’objectif est de "faire revenir une population jeune et les familles en centre-ville", de "penser cet équilibre en termes de mixité sociale", développe Joëlle Croizier. Le projet Cœur de ville repose sur la Semir, la SEM immobilière de Rambouillet (qui gère un parc à 50% HLM). Cette dernière a cherché à s’allier avec CDC Habitat pour renforcer sa capacité d’expertise et d’investissement. Aujourd’hui, la SEM est détenue par trois actionnaires : la ville (52%), la Caisse des Dépôts (30%) et CDC Habitat (18%). "Le bailleur social peut aider à l’accueil de nouveaux commerces, à les sécuriser, les pérenniser, aider à prendre le virage du numérique…", explique Joëlle Crozier. Une chance : les bailleurs sociaux semblent bien décidé à investir les centres, comme l’a montré le dernier congrès de l’USH. Pour les élus, il faut cibler les catégories intermédiaires.

"Il faut redonner envie à la population d'accéder au centre, insiste Thierry Fèvre. Le peuplement s’est plutôt fait par le bas ces dernières années, la mixité se fait par le milieu."