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Interview

« Assumer le choix politique de réduire l'espace de la voiture »

Le développement des modes de transport alternatifs ne se fera pas sans réduire l'usage de la voiture et les besoins même de déplacement, selon l'ingénieur Mathieu Chassignet, chargé des mobilités au sein de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie). Et pour prendre d'urgence le virage de la proximité, il faut encourager les collectivités à faire preuve d'audace politique.

Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité à l'Ademe, prône de limiter la place de la voiture dans l'espace public.
Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité à l'Ademe, prône de limiter la place de la voiture dans l'espace public. (Gaëlle Caradec)
Publié le 12 sept. 2019 à 14:12

Quels sont les bénéfices du développement des moyens de transport alternatifs à la voiture ?

Le vélo, la marche, les correspondances des transports en commun permettent de garder la population en bonne santé, et c'est l'une des premières préoccupations des Français. Les réseaux de transport en commun et la piétonnisation apaisent les centres-villes. De cet apaisement découle une plus grande attractivité économique. Rappelons que, dans les années 1970, le parvis de Notre-Dame de Paris était un parking, comme la place de la Concorde et la Grand-Place de Lille. De nos jours, c'est inimaginable.

Pourquoi ces nouvelles pratiques de mobilité provoquent-elles des conflits de partage de l'espace public ?

L'espace public est rare, les financements aussi. On ne peut pas multiplier les alternatives à la voiture sans leur donner plus de place, donc sans réduire la place de la voiture dans l'espace public.

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Le fait qu'on ne réduise pas la place prépondérante de la voiture exacerbe la concurrence entre les modes de transport. Leur multiplication engendre des crispations. Le dernier arrivé, la trottinette en l'occurrence, devient la cible de tous les autres usagers. Elle est tournée en ridicule, mais il est bien plus rationnel de prendre une trottinette pour un trajet de moins de 3 kilomètres plutôt que la voiture. En agglomération, 40 % des trajets effectués en voiture font moins de 3 kilomètres. Hors agglomération, la moitié font moins de 5 kilomètres.

Quelles infrastructures seraient nécessaires à un meilleur équilibre ?

Il faut donner la priorité aux modes de transport les plus bénéfiques : supprimer du stationnement automobile, refaire des carrefours. Ce sont des infrastructures peu coûteuses et rapides à mettre en place. Séville, en Espagne, a supprimé en un an et demi 5.000 places de parking, et a créé 50 kilomètres d'itinéraires cyclables protégés. La pratique du vélo y a été multipliée par dix : 8 % des trajets sont dorénavant faits à vélo, contre auparavant 1 %, faible moyenne partagée par beaucoup de villes françaises.

En France, Bordeaux a aussi fait le choix de réduire la place de la voiture pour favoriser les transports alternatifs. La ville a piétonnisé ses berges, anciennes autoroutes urbaines, et y a installé des lignes de tramway. Contrairement au métro, le tramway prend de la place sur l'espace donné à la voiture. Il coûte moins cher : autour de 250 millions d'euros pour une ligne de tramway contre 1 milliard d'euros environ pour un métro.

Le coût des aménagements cyclables est dérisoire par comparaison avec les autres infrastructures. Pour sécuriser une piste cyclable, la peindre en couleur est une bonne solution abordable. Aux Pays-Bas, les pistes sont revêtues d'un enrobage rouge. En France, cela reste sporadique, Saint-Nazaire en a installé quelques-unes rouges, Montreuil bleues, Douai vertes.

Quelles difficultés ou réticences les collectivités rencontrent-elles ?

Le principal obstacle est le manque de volontarisme politique. Il faut assumer le choix politique de réduire l'espace de la voiture pour laisser de la place aux autres modes de transport. Peu importe la couleur politique. A Strasbourg , par exemple, la municipalité a souvent alterné mais chaque maire a repris les mesures favorables aux mobilités alternatives.

Les élus pensent qu'ils font assez mais ils manquent d'expertise. Leur image serait à revoir : un maire à vélo, ce serait un signal fort. Les collectivités rencontrent aussi des difficultés face à la rapidité de l'innovation et au comportement de certains opérateurs privés. Elles doivent montrer une certaine fermeté, car ce sont elles, les garantes du bon usage des infrastructures.

Un autre problème réside dans le fait que les infrastructures créent leur propre trafic. Plus nous avons de moyens de transport efficaces, plus les citoyens habitent loin de leur travail, plus ils se déplacent et plus ils ont besoin de nouvelles infrastructures. Mais plus on en fait pour la voiture, plus les automobilistes sont perdants. Mexico en est l'archétype. Malgré des autoroutes à deux étages en pleine ville, la vitesse moyenne des voitures y est entre 8 et 9 km/h, tellement il y a d'embouteillages.

Selon vous, il faudrait donc moins de transports ?

Si, demain, le baril de pétrole augmente brusquement, beaucoup de personnes seront mises en difficultés. L'Etat doit protéger les citoyens, donc ne plus construire toute leur vie autour de la voiture. C'est une question d'aménagement du territoire et de décentralisation économique. Arrêtons de réfléchir uniquement en termes de solutions de transport ! Réfléchissons à réintroduire de la proximité dans nos modes de vie, à tout mettre en oeuvre pour réduire les besoins de se déplacer et arrêter cet éloignement permanent, cette fuite en avant. Sans quoi, et c'est un cri d'alarme, on se retrouvera dans une impasse où il n'y aura plus d'alternative possible.

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Dans ce contexte, quelles actions pourraient mener les entreprises ?

Les entreprises pourraient déjà recruter plus localement. Peu de recruteurs font attention à la distance domicile-travail des candidats. Le permis B est obligatoire dans 90 % des fiches de poste, même celles de missions sédentaires. Les entreprises disposent aussi d'un levier très puissant mais peu connu : l'indemnité kilométrique vélo (IKV) . Les entreprises indemnisent les salariés qui viennent au travail à vélo à hauteur de 25 centimes par kilomètre. Ni le salarié ni l'employeur n'en est fiscalisé. Et 1 % seulement des entreprises françaises le proposent à ses salariés. Après la mise en place de l'IKV, sur moins d'un an, nous avons observé que le nombre de cyclistes double dans l'entreprise. Même si l'entreprise arrête l'IKV, ceux qui ont essayé de venir au travail à vélo continuent.

Gaëlle Caradec

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