L'État va se désengager des pôles de compétitivité dès 2020

EXCLUSIF. D'après nos informations, l'État compte se désengager des pôles de compétitivité dès 2020, et ce, malgré l'opposition farouche des intéressés. La mesure sera actée à l'automne lors du vote de la loi de Finances 2020. Des réunions ont lieu depuis début juillet à Bercy, avec l'Association des Régions de France (ARF) et l'Association française des pôles de compétitivité (AFPC), pour négocier les modalités de cette reprise en main des pôles par les Régions.
Sylvain Rolland
D'après nos informations, l'Etat compte bien se désengager du financement et de la gouvernance des pôles de compétitivité, et ce dès 2020, au profit des Régions.
D'après nos informations, l'Etat compte bien se désengager du financement et de la gouvernance des pôles de compétitivité, et ce dès 2020, au profit des Régions. (Crédits : DR)

Bruno Le Maire avait tâté le terrain en début d'année, mais l'opposition unanime des pôles de compétitivité avait quelque peu refroidi le gouvernement. Visiblement pas pour très longtemps. D'après nos informations, l'État compte bien se désengager du financement et de la gouvernance des pôles de compétitivité, et ce dès 2020, au profit des Régions. Ces dernières devraient récupérer les crédits de l'État dans leur intégralité, du moins pour l'instant, à la fois pour financer les projets et pour les dépenses de fonctionnement des pôles.

L'annonce du retrait de l'État, initialement prévue en juillet, a été décalée à septembre, le temps de réunir autour de la table de Bercy les représentants des Régions et ceux des pôles, c'est-à-dire l'association Régions de France (ARF) et l'Association française des pôles de compétitivité (AFPC), afin de négocier les détails. Un amendement à la loi de Finances 2020 sera ensuite déposé à l'automne, pour une application au 1er janvier prochain. "Bruno Le Maire est décidé, le désengagement est quasiment acté, la réflexion ne porte plus sur "est-ce que ça va se faire" mais sur comment ça va concrètement se passer", nous confirme Jean-Luc Beylat, le président de l'AFPC et du pôle francilien Systematic. "Il y a une vraie volonté de notre part et de celle de Bruno Le Maire de voir ce projet aboutir", ajoute Hervé Morin, le président de Régions de France et de la Région Normandie.

La fin d'une gouvernance tripartite État-Régions-pôles globalement couronnée de succès

Créés en 2004, les pôles de compétitivité réunissent sur un territoire bien identifié des entreprises (de la TPE au grand groupe), des établissements d'enseignement supérieur, et des centres de recherche et de formation publics et privés. Cette synergie a pour but de stimuler l'innovation dans les filières d'excellence du territoire, autour de projets soutenus par des financements régionaux, nationaux voire européens. D'après Bercy, 11.000 entreprises et 1.300 organismes de recherche et de formation seraient impliqués dans l'un des 56 pôles répartis sur tout le territoire, y compris outremer. D'après une étude de 2017 du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et de la Direction générale des entreprises (DGE), les pôles sont "performants" et "structurants pour le territoire", avec des effets qualifiés de "largement positifs" au global, malgré des disparités régionales.

En terme de financement, 46% des ressources des pôles viennent du privé. Entre 2005 et 2018, les près de 4.000 projets de R&D passés par les pôles ont été financés à hauteur de 4,5 milliards d'euros par des participations privées, de 1,8 milliard d'euros par l'Etat via le Fonds unique interministériel (FUI) et de 1,3 milliard d'euros par les Régions. L'Etat verse également une enveloppe pour le fonctionnement des associations qui gèrent les pôles. D'un montant de 18 millions d'euros en 2019, celle-ci couvre environ 50% de leur budget, le reste provenant les collectivités locales et de la cotisation de leurs membres. Ces deux enveloppes ne cessent de baisser : le FUI est passé de 200 millions d'euros en 2015 à 50 millions d'euros en 2019, tandis que les 18 millions d'euros pour le fonctionnement des pôles vont fondre de moitié d'ici à 2022.

La décision de l'État de se désengager des pôles va dans le sens de l'histoire. Depuis 2016 et l'entrée en application de la loi NOTRe, qui marque l'Acte III de la décentralisation, la compétence économique des territoires tend à revenir aux Régions. Un moyen pour l'Etat de faire des économies, d'autant plus que Bercy considère que le faible montant de la ligne budgétaire des pôles ne nécessite pas une tutelle de l'État.

Pôles de compétitivité

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[La "Phase 4" 2019-2022 des pôles de compétitivité, lancée début 2019, a réduit le nombre de pôles de 65 à 48, en encourageant la fusion des pôles complémentaires. 8 autres pôles ont obtenu une labellisation d'un an seulement, renouvelable pour trois ans de plus fin 2019].

Les Régions prêtes à prendre le relais, les pôles très inquiets

Régions de France revendique qu'en se désengageant des pôles de compétitivité, l'État accède à leur requête. "Les Régions financent déjà toute la chaîne de l'innovation, des incubateurs au développement des filières, alors pourquoi y aurait-il un trou dans la raquette sur les pôles de compétitivité ?", fait mine de se demander Hervé Morin. L'ancien ministre de la Défense, de 2007 à 2010, affirme avoir obtenu des "garanties" que l'Etat va bel et bien transférer l'intégralité de l'enveloppe destinée au financement des projets, dans le cadre du PSPC-Régions, qui a pris la suite du FUI. Il s'agit de la principale revendication des Régions, également formulée en février dernier par Valérie Pécresse, la présidente de la Région Ile-de-France.

Cela ne suffit pas à calmer les inquiétudes des pôles de compétitivité. En tant que président de l'AFPC, Jean-Luc Beylat est présent à la table des négociations, mais il fustige toujours un projet "absurde" qui répond, selon lui, à une "logique purement politique, sans aucune cohérence économique" :

"Les pôles ne servent pas uniquement à animer les écosystèmes régionaux, ils s'inscrivent aussi dans la stratégie nationale et européenne du développement des différentes filières économiques. Régionaliser l'innovation n'a aucun sens. La filière cosmétique par exemple n'est pas la seule préoccupation de la Région Centre qui accueille le pôle Cosmetic Valley ! Si les pôles sont devenus des modèles de gouvernance et de résilience dans le temps, c'est principalement grâce à la solidité et à la complémentarité de la coopération État-Régions-entreprises", fustige-t-il.

Pour le président de l'AFPC, les logiques politiques régionales risquent de prendre le pas sur le développement des filières d'excellence au niveau national et européen. "Il est naïf de croire que les Régions vont collaborer plus efficacement qu'aujourd'hui, dans la mesure où dans les faits, elles sont en concurrence les unes avec les autres sur l'attractivité économique", déplore Jean-Luc Beylat.

Hervé Morin balaie ces inquiétudes d'un revers de main :

"C'est un réflexe d'un autre temps. Je ne vois pas pourquoi les Régions ne seraient pas capables de parler entre elles, c'est d'ailleurs déjà le cas aujourd'hui dans de nombreuses filières qui mobilisent plusieurs Régions", répond-t-il.

Du côté des pôles de compétitivité, la pérennité des financements pose aussi question. "La phase 4 est lancée, mais que se passera-t-il ensuite ? Si l'État poursuit son désengagement financier comme c'est le cas depuis plusieurs années, les Régions pourront-elles ou voudront-elles compenser ?" s'interroge Séverine Sigrist, la présidente du pôle Alsace Biovalley. Le modèle économique des pôles risque de s'en retrouver chamboulé. A court terme, l'attractivité des pôles pourrait aussi pâtir d'un retrait de l'Etat. "Les pôles sont les portes d'entrée des entreprises vers des financements nationaux. Certains programmes collaboratifs sont liés au PSPC-Régions, et permettent d'obtenir des financements via le PIA 3 au travers de la labellisation par les pôles", relève la fondatrice et CEO de la biotech Defymed.

Autant de questions qui seront au cœur des négociations de l'été. La coordination entre les différents pôles quand l'État ne jouera plus son rôle de trait-d'union, le rôle des Régions pour les pôles qui animent une filière nationale (comme Cosmetic Valley) ou encore le mode d'attribution des crédits de fonctionnement, seront aussi sur la table.

Sylvain Rolland
Commentaires 9
à écrit le 17/07/2019 à 9:10
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L’État se désengage avant de disparaître, les régions devront bientôt quémander les moyens financiers a Bruxelles!

le 04/08/2019 à 14:26
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Il faut un état stratège pas un état qui s occupe de tout et de rien, ( du calendrier des vacances scolaires......) et laisser aux régions et aux métropoles le soin d appliquer concrètement sur le terrain.les grandes orientations décidées nationalem...

à écrit le 16/07/2019 à 16:36
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Les pôles de competiviter marcheronts si les entreprises s'impliques pour faire marcher les innovations tester sur le terrain sa implique de la rigueur des groupes de travail et des budgets alouer.

le 16/07/2019 à 17:04
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Question : la rigueur passe-t-elle aussi par l'orthographe ?

à écrit le 16/07/2019 à 14:32
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Le centralisme parisien a la peau dure alors qu il est a la base d'une bonne partie de nos maux actuels. Décentralisons de nombreuses fonctions étatiques éducation, logement, traitement du chômage, santé, culture.......vers les régions et les métropo...

à écrit le 16/07/2019 à 11:28
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Les Régions vont avoir besoin de nouvelles ressources. Forte augmentation de la taxe d'habitation en vue (enfin, seulement pour les 20% de mauvais français qui la paient encore et qui doivent être punis sévèrement).

à écrit le 16/07/2019 à 8:12
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Vu la carte de France des pôles de compétitivité, ils sont déjà dans les Régions, apparemment. N'en déplaise à tous les salonnards parisiens, qui y croutonnent éventuellement, et qui ont toujours eu du mal avec le principe de réalité : le monde n'es...

à écrit le 15/07/2019 à 19:29
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une bonne chose les regions gerent mieux leur argent

à écrit le 15/07/2019 à 16:25
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C'est marrant, la réduction du mille-feuille français c'est toujours bien… mais chez les autres.

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