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Projet de loi énergie-climat : le Sénat amende largement le texte en commission

La commission des affaires économiques du Sénat, saisie au fond, a adopté le 10 juillet plus de 100 amendements au projet de loi énergie-climat. Elle a notamment ajouté plusieurs objectifs quantitatifs en matière d'énergies renouvelables et assoupli les dispositions sur la rénovation énergétique des logements "passoires thermiques". Le projet de loi est examiné en séance à partir de ce 16 juillet.

"A l’origine 'petite loi' par la taille, le projet de loi relatif à l’énergie et au climat l’est encore, assurément, par l’absence de vision stratégique à long terme". Saisie au fond, la commission des affaires économiques du Sénat porte un regard sévère sur le texte sur lequel elle a voté plus de 100 amendements ce 10 juillet. "En se contentant d’actualiser certains objectifs et d’empiler les mesures techniques pour répondre aux difficultés de l’instant, le texte renvoie l’essentiel à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixée par décret", regrette-t-elle, dans un communiqué.
Pour Daniel Gremillet (LR, Vosges), rapporteur du projet de loi, "par une étrange inversion de la hiérarchie des normes, on demande au législateur d’entériner des évolutions fixées dans un projet de décret. Cette anomalie démocratique ne peut plus durer". Selon lui, "une bonne politique énergétique, c'est celle qui parvient à concilier réponses aux défis climatiques, sécurité d'approvisionnement en énergie en énergie, véritable stratégie en matière économique et industrielle, déployée dans l'ensemble des territoires et dont le coût sera supportable par les ménages français." "Ce projet de loi répond à une attente citoyenne forte, celle d'une action plus forte et plus rapide sur les enjeux écologiques en général et climatiques en particulier", a de son côté assuré François de Rugy devant la commission.
Celle-ci a eu à examiner un texte qui a beaucoup grossi lors de son passage à l'Assemblée nationale, passant de 8 à 55 articles. La commission a d'abord souhaité inscrire des objectifs supplémentaires à la politique énergétique (art. 1). Celle-ci devra "impulser une politique de recherche et d'innovation qui favorise l'adaptation des secteurs d'activité à la transition énergétique", "valoriser la biomasse à des fins énergétiques, en conciliant la production d'énergie avec l'agriculture et les ressources issues de la forêt", et encourager la production simultanée de chaleur et d'électricité.
La commission a aussi voulu revaloriser les objectifs relatifs à la part des énergies renouvelables (ENR) dans la consommation finale brute d'énergie. Les ENR devront ainsi représenter en 2030 "au moins" 40% de la production d'électricité, 38% de la consommation de chaleur, 15% de celle de carburant et 10% de celle de gaz. Le développement de l'hydroélectricité est encouragé, avec pour objectif l'atteinte de capacités installées de production d'au moins 27 gigawatts en 2028. Idem pour la filière biogaz avec un objectif intermédiaire de 8% de gaz renouvelable dans la consommation de gaz dès 2028, de manière à ce que l'objectif final de 10% prévu pour 2030 soit effectivement atteint. Quant à l'éolien en mer, la commission a souhaité inscrire dans la loi le développement d'au moins 1 GW par an jusqu'en 2024, correspondant à la promesse faite par le Premier ministre lors de sa dernière déclaration de politique générale.
Un amendement du rapporteur tend à simplifier, tout en conservant leur principe, les trois feuilles de route introduites en tant qu'annexes à la PPE par l'Assemblée nationale. Ces feuilles de route portent respectivement sur la rénovation énergétique des bâtiments, la consommation énergétique nocturne et la sobriété énergétique du numérique. La première verrait son champ élargi à l'évaluation de l'atteinte de l'objectif de rénovation des bâtiments en fonction des normes BBC. Les deux autres thématiques  auraient vocation à figurer dans le volet existant de la PPE portant sur l'amélioration de l'efficacité énergétique et la réduction de la consommation d'énergie primaire, qui devrait dorénavant 'identifier les usages' pour lesquels cette amélioration et cette réduction sont une priorité, a précisé le rapporteur. De surcroît, davantage de thématiques pourraient être abordées dans ce document que les seuls enjeux de la consommation énergétique nocturne ou celle liée aux nouvelles technologies. Les modifications ainsi introduites sont applicables aux PPE publiées après 2022. Un autre amendement défendu par le groupe socialiste et républicain a été adopté pour annexer à la PPE une stratégie portant sur le développement des projets d'énergie renouvelable par les citoyens et les collectivités territoriales. Selon les auteurs, il s'agit ainsi de contribuer à la mise en oeuvre des communautés d'énergie renouvelables (CER) et des communautés énergétiques citoyennes (CEC), découlant du droit européen. Il a été sous-amendé par le rapporteur afin de préciser que "les objectifs de développement définis par la stratégie ne devront pas mettre à mal le financement des réseaux et la solidarité entre les territoires". Un autre amendement du rapporteur prévoit de compléter la PPE par une "feuille de route relative au démantèlement des réacteurs nucléaires".
A l'initiative du rapporteur, la commission a par ailleurs voulu préciser le contenu de la loi quinquennale en matière d'énergie introduite à l'Assemblée nationale (art. 1er bis A). "Celle-ci sera inscrite en préambule du code de l'énergie, a indiqué Daniel Grémillet. En outre, une meilleure articulation entre cette loi et les autres outils de planification existants ou à venir sera promue, selon le principe suivant : la loi déterminera les objectifs et fixera les priorités d'action et ces autres documents, compatibles avec elles, en définiront les modalités d'action. Plusieurs documents de pilotage notifiés à la Commission européenne devront également être compatibles avec cette loi. Plus encore, l'amendement tend à fixer un calendrier cohérent, et prévoit que, si un débat public devait être organisé, il se tiendra après la publication de la loi. Enfin, les objectifs déterminés par celle-ci feront l'objet d'un état évaluatif dans le cadre du rapport sur le financement de la transition écologique devant être remis par le Gouvernement en annexe au projet de loi de finances initiale de l'année." La notion d'"objectifs intermédiaires" de réduction des émissions de GES devant être fixés par la loi quinquennale a en outre été supprimée, de même que la référence à l'"empreinte carbone de la France" et la répartition des objectifs de consommation d'énergie par secteur d'activité.
Par contre, la commission a prévu que la loi fixera le volume des obligations à réaliser dans le cadre des certificats d’économies d’énergie (CEE), par période de cinq ans et en s’appuyant sur une évaluation de l’Ademe, "pour fixer une trajectoire soutenable et faire baisser le prix pour les consommateurs". Un objectif relatif aux carburants issus d'énergies renouvelables a aussi été introduit dans le champ de la loi. Parmi les objectifs devant être fixés par la loi quinquennale figureront également ceux portant sur la rénovation énergétique dans le secteur du bâtiment et ceux qui visent l'atteinte de l'autonomie énergétique dans les départements d'outre-mer.
A propos de la fermeture des quatre dernières centrales électriques au charbon (art 3), le rapporteur a obtenu le vote d'un amendement visant à expliciter le fait que les mesures d'accompagnement spécifique des salariés concernés seront mises en place par l'État. "La décision de fermer ces centrales étant une décision de l'État, l'accompagnement des salariés relève également de l'État et de la solidarité nationale", a-t-il justifié.
Concernant l'élargissement du champ des opérations pouvant être financées par le Fonds d'amortissement des charges d'électrification (Facé), un autre amendement de Daniel Grémillet propose de mieux caractériser les opérations innovantes qui pourront bénéficier des aides. Ces opérations devront "être en lien avec le réseau public et concourir à la transition énergétique" (art. 3 bis B).
Le rapporteur a aussi obtenu que soit mieux encadrée l'habilitation donnée au gouvernement à légiférer par ordonnance pour définir et harmoniser les dispositions relatives à la consommation énergétique des bâtiments et notamment la notion de "bâtiment à consommation énergétique excessive", en précisant que celle-ci doit être exprimée en énergie primaire et finale et que la zone climatique comme l'altitude doivent être prises en compte (art. 3 bis C). Le critère d'énergie primaire a aussi été ajouté dans la définition d'un logement décent.
En matière de lutte contre les "passoires thermiques", la commission a cherché à assouplir certaines dispositions du texte qui avaient déjà donné lieu à d'âpres débats à l'Assemblée. Elle s'est donné pour principe de réaffirmer "la primauté de l’information, de l’incitation et de l’accompagnement sur la sanction des propriétaires bailleurs ou occupants". Pour Sophie Primas, présidente de la commission, "imposer des sanctions trop brutales aux propriétaires serait contre-productif et risquerait de sortir des centaines de milliers de logements du marché".
Parmi les amendements adoptés à l'article 3 ter, la commission a prévu de subordonner, dans le parc privé, la révision des loyers en zone tendue et la possibilité de demander une contribution au locataire suite à des travaux de rénovation énergétique à l'atteinte de l'étiquette E de performance énergétique, soit moins de 331 kWh/m²/an, à partir de 2028. L'obligation d'audit énergétique  des logements classés F et G, introduite par les députés au terme d'un compromis trouvé par le gouvernement, a aussi été décalé par la commission de 2022 à 2024. De plus, la commission a étendu aux logements HLM les dispositions de l'article 3 ter conditionnant la demande d'une contribution du locataire suite à des travaux d'amélioration énergétique à l'atteinte de l'étiquette E (art. additionnel après l'article 3 ter). L'amendement a aussi étendu les exceptions et la nouvelle date d'entrée en vigueur au 1er janvier 2024.
La commission a aussi voulu renforcer l'information des consommateurs sur la performance énergétique d'un logement (article 3 quinquies). Les consommations en énergie primaire et finale devront non seulement figurer dans le diagnostic de performance énergétique (DPE), mais également faire l'objet d'un classement selon une échelle de référence notée de A à G et représentée graphiquement sous la forme de l'étiquette énergie du DPE. Ce dernier devra, en outre, mentionner, à compter du 1er janvier 2022, le montant des dépenses d'énergie théoriques et, si le logement est occupé, réelles. Alors que l'article 3 septies fixe une norme maximale de consommation énergétique des bâtiments à usage d'habitation applicable à partir du 1er janvier 2028, et prévoit d'ajouter au DPE le montant des dépenses théoriques d'énergie du logement pour accroître les obligations d'information au profit des acquéreurs et locataires, la commission a voulu compléter cette information théorique en y ajoutant la dépense énergétique réelle du logement en euros. L'article 3 octies qui a pour objectif de faciliter le travail de l'Anah en lui donnant accès à des données de consommation énergétique des logements et aux informations détenues par les CAF a aussi été précisé. Il étend la transmission des DPE et des audits énergétiques à l'Ademe et prévoit que l'Anah ait aussi accès aux données sur la situation personnelle des bénéficiaires potentiels à la Caisse centrale de la mutuelle sociale agricole (CCMSA), cette transmission devant être organisée par un décret pour garantir la protection des données.
La commission a par ailleurs adopté un amendement du rapporteur intégrant le bilan carbone dans les critères d'éligibilité et de notation des dispositifs de soutien à la production d'électricité et de gaz renouvelables (article additionnel après l'article 3 duodecies).
En matière d' évaluation environnementale (art.4), la rapporteure de la commission du développement durable, qui était chargée de l'examen de l'article, a complété sa rédaction pour prévoir que "l'autorité qui sera désignée pour assurer l'examen au cas par cas des projets devra disposer d'une autonomie fonctionnelle par rapport à l'autorité compétente pour autoriser le projet". Il s'agit là de "sécuriser la solution juridique retenue par l'article vis-à-vis du droit européen".
L'article 4 ter permet au préfet de déroger aux interdictions et prescriptions contenues dans un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) afin d'autoriser la création d'installations de production d'énergie renouvelable. Un amendement prévoit d'associer la commune et l'EPCI concernés à la décision prise par le préfet.
La commission a voulu aussi simplifier la possibilité pour les installations hydroélectriques concédées d'augmenter leur puissance sans remise en concurrence (art.6 bis B). Elle a aussi précisé que les infrastructures de production d'énergie solaire ne pourront déroger à l'interdiction de construction aux abords des routes que lorsqu'elles seront installées dans un délaissé routier ou sur une aire de repos, de service ou de stationnement (art. 6 bis). Le rapporteur a aussi obtenu que soit conservée la possibilité, pour un permis de construire, de s'opposer à l'installation de dispositifs d'énergie renouvelable "lorsque celle-ci ne correspond pas aux besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble" (art. 6 ter). "Cela permet au maire de continuer à disposer de la possibilité de déroger au cas par cas", indique l'exposé des motifs.
Il est en outre prévu qu'un maire puisse désormais déroger aux règles du PLU afin de permettre l'installation d'ombrières photovoltaïques sur les aires de parking. "Donner plus de pouvoirs aux maires est une bonne chose, dès lors que la production d'énergie renouvelable diffère en matière paysagère ou technique selon le type d'énergie retenu", a souligné le rapporteur qui a défendu un amendement visant donc à confier le soin aux règlements des PLU de définir le type d'énergie renouvelable souhaité dans ces secteurs (art. 6 quinquies). La commission a aussi adopté un amendement LR modifiant le code de l'urbanisme pour permettre l'autorisation de centrales solaires au sol sur les sites dégradés définis par décret en zone littorale en métropole et dans les DOM et préciser que l'emprise au sol maximale des ouvrages sera fixée par décret (article additionnel après l'article 6 quinquies).
La commission a aussi reporté de 18 mois l'entrée en vigueur d'une réforme des garanties d'origine du biogaz jugée "potentiellement déstabilisatrice pour la filière" tout en permettant aux collectivités d'accéder de façon privilégiée aux garanties d'origine des productions issues de leur territoire (art.6 septies).
Sur la régulation du nucléaire (art.8), la commission a conditionné le relèvement du plafond de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) à la révision de son prix qui devra tenir compte de l'inflation, "pour concilier la stabilité des prix et la juste rémunération du parc historique".
Enfin, pour "mieux accompagner les consommateurs", la commission a prévu la publication mensuelle par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) d'un prix dé référence du gaz qui leur servira de point de repère après la disparition des tarifs réglementés (art. 9). Le dispositif obligatoire d'information des ménages en situation de précarité énergétique sur le niveau de leurs consommations a en outre été adapté "pour en assurer la mise en œuvre effective".
Le texte sera débattu par le Sénat en séance publique à partir du 16 juillet.
 

 

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