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Territoires d'industrie : "ovni" ou "nouvelle manière de travailler" ?

Lancé en novembre 2018, le programme Territoires d'industrie se répand. Il permet de déployer des moyens financiers sur 141 territoires identifiés. Le "Printemps des Territoires" organisé le 6 juin à Paris a permis de témoigner des atouts du dispositif. Certes, quelques voix plus réservées se font entendre. Ce fut le cas des présidents des régions Hauts-de-France et Grand Est lors d'auditions au Sénat.

"Il n'y a pas photo, sans ce nouveau dispositif, nous n'aurions jamais obtenu ces financements". Les mots d'Harold Huwart, vice-président de la région Centre-Val de Loire, chargé de l'économie et de l'agriculture, résument bien l'atout principal du programme Territoires d'industrie : irriguer le territoire national, y compris les territoires les plus isolés et ruraux, de financements pour développer l'industrie. L'élu s'exprimait en ces termes ce jeudi 6 juin lors d'une table ronde consacrée à Territoires d'industrie dans le cadre du "Printemps des Territoires".

Ce programme, lancé le 22 novembre 2018, doit permettre de relancer, accélérer ou débloquer des projets industriels sur les 141 territoires identifiés. Lesquels vont ainsi bénéficier d'un fléchage de 1,3 milliard d'euros issus de programmes existants en matière de formation, avec notamment le plan d'investissement dans les compétences, d'innovation ou d'infrastructures numériques. Les régions pilotent la démarche en lien avec un binôme élu local / industriel.

Le programme met à disposition vingt mesures que les territoires peuvent utiliser selon leurs besoins, comme le volontariat territorial en entreprise, la possibilité de bénéficier d'une partie des 100 millions d'euros investis par la Banque des Territoires dans la création et la diversification d'activités ou l'accès à internet très haut débit et la fin des zones blanches… Il est entré depuis peu dans sa phase de déploiement avec les premiers contrats signés entre les territoires, les régions et l'Etat.

Une "nouvelle manière de travailler entre régions, territoires et Etat"

Pour Olivier Lluansi, délégué aux Territoires d'industrie, il s'agit de la préfiguration d'une "nouvelle manière de travailler entre les régions, les territoires et l'Etat". Une initiative qui a percé en six mois. "Cette envie d'industrie des territoires est très forte ; une trentaine de territoires ont déjà écrit leur projet et l'idée pour demain est bien d'embarquer les 141 territoires identifiés", a ainsi souligné Olivier Lluansi lors de cette même table ronde.

Certes, quelques voix plus sceptiques se font entendre. Ainsi, le même jour, lors d'une audition devant la mission d'information du Sénat sur les enjeux de la filière sidérurgique, Jean Rottner, président de la région Grand Est, a qualifié le programme d'"ovni", regrettant qu'il n'ait pas fait l'objet de discussions avec les régions : "Territoires d'industrie fait partie des ovnis que nous voyons arriver de temps en temps, sans avoir été vraiment concertés, sans avoir été vraiment prévenus, et sans pouvoir l'anticiper. Cela s'est fait entre la poire et le fromage en termes de redécoupe des territoires, d'autres se sont joints, certains ont été frustrés ; ce n'est pas la bonne méthode. L'initiative n'est pas mauvaise en soi, c'est la manière dont cela a été fait qui est contestable ; il y avait des dispositifs et des stratégies régionales déjà en place avant", a-t-il jugé.

Même critique de la part de Xavier Bertrand qui, la veille, était lui aussi auditionné par cette mission d'information. "Il s'agit d'une opération de communication ; on a recyclé des politiques puisqu'il n'y a pas un euro d'argent frais", a ainsi affirmé le président de la région Hauts-de-France, qui attend début juillet pour lancer la démarche localement, préférant verrouiller les moyens et dispositifs que la région peut y agréger pour lui donner du poids.

Harold Huwart, lui, estime que les régions se sont emparées du dispositif avec leur calendrier propre, sachant que chaque président de région a une vision différente. "Nous avons une politique industrielle nationale ambitieuse mais qui n'investissait pas les territoires alors que 70% des emplois industriels sont dans les territoires ruraux ; ce lien aux territoires est indispensable pour mener une politique industrielle efficace", a ainsi souligné le vice-président de la région Centre-Val de Loire jeudi lors du Printemps des Territoires.

Prendre en compte l'impact territorial des projets

L'enjeu du programme est de faciliter la mise en place de projets industriels à travers un fléchage des financements; mais aussi par un travail de simplification. "Je suis estomaqué par la patience des chefs de projets, car pour développer une usine, en vingt ans, nous avons multiplié par quatre le temps nécessaire aux démarches ! La simplification est une attente très forte et peu coûteuse", a ainsi relevé Olivier Lluansi.

C'est bien dans cet esprit que souhaite intervenir la Banque des Territoires. "Nous proposons des solutions de financement aux acteurs de ces territoires au travers d'une intervention la plus souple, rapide et la plus simple possible", a ainsi assuré Julie Agathe Bakalowicz, directrice régionale Centre-Val de Loire de la Banque des Territoires, poursuivant : "Nous ne regardons pas uniquement les critères financiers des projets mais aussi leur impact territorial et leurs externalités positives."

Un point crucial pour Harold Huwart, sachant que la plupart du temps, les projets concernés ne rentrent pas dans le cadre d'intervention national, étant jugés "trop risqués", "trop chers" ou "trop isolés". Si le vice-président de région a des doutes sur la capacité de l'Etat à simplifier les démarches, il estime qu'il faut une appréciation des projets au cas par cas, pour éviter l'application d'un dogme laissant passer ces projets à travers les mailles de son filet.

Les présidents des régions Hauts-de-France et Grand Est vont pour leur part encore plus loin, réclamant davantage de compétences pour les régions. "Les régions ont été investies de la fonction économique avec la loi Notre, a ainsi souligné Xavier Bertrand durant son audition au Sénat, nous avons besoin d'une vraie clarification pour savoir qui fait quoi entre l'Etat et les régions. Cette clarification n'a pas eu lieu et je souhaite qu'elle ait lieu, soit avec un droit à la différenciation, soit avec plus de compétences pour les régions."