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Naissance du Parlement rural français

"Ruralisons !" : le mot d’ordre lancé à Paris le 4 juin par un parterre d’élus et de représentants du monde rural a débouché sur la création d’un "Parlement rural français". L’objectif de cette instance autoproclamée est de proposer rapidement des mesures concrètes, comme la création d’une sixième catégorie d’établissement touristique. Mais aussi de battre en brèche "l’idéologie de la métropolisation" qui a prévalu lors des récentes réformes…

Il y a ceux qui considèrent que la métropolisation, corollaire de la mondialisation, est avant tout un état de fait. Et d’autres qui pensent au contraire qu’elle a été pensée, accompagnée et privilégiée par des actions publiques et des financements. Le démographe Gérard-François Dumont est de ceux-là. "La France est tombée dans l’idéologie de la métropolisation", assène-t-il, lors d’une grande manifestation dédiée la ruralité, "Ruralisons", organisée à la Bellevilloise, à Paris, à l’initiative du députée Modem du Loiret Richard Ramos et de plusieurs associations (*). L’objectif : renverser la vapeur et donner à la ruralité les moyens d’une véritable renaissance, sur fond de regain démographique. Alors pour se donner une plus grande résonance, ces nombreuses voix de la ruralité ont décidé de créer un "Parlement rural français" ; une initiative qui s’inscrit dans des démarches du même type, censées donner une image "positive" de la ruralité, comme la création de l’association des Nouvelles Ruralités ou l’organisation des "états généreux" de la ruralité de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) lors de la campagne de 2017... Est-ce à dire que le Sénat ne remplit pas son rôle de "chambre des territoires" ? "Non, répond Cédric Szabo, directeur de l’AMRF. Le Sénat ne représente pas le monde rural mais les collectivités territoriales, il n’est pas dans ses missions de défendre spécifiquement la ruralité. Là, il s’agit d’un parlement autoproclamé, né de l’initiative des grands réseaux, on veut adresser un message d’affirmation."

"Grand plan social silencieux"

Les membres de ce nouveau Parlement rural ont déjà pris quelques décisions emblématiques, comme la création d’une sixième catégorie d’établissement recevant du public (ERP). L’idée est d’alléger les normes des petits établissements et de les aider financièrement. En filigrane, l’objectif est de s’adapter à la concurrence farouche d’Airbnb qui échappe à nombre de ces réglementations. "Depuis dix ans, entre 300 et 400 entreprises mettent la clé sous la porte" faute de repreneur car "les transmissions sont trop coûteuses", a argué Roland Héguy, le président de l’UIMH (Union des métiers et de l’industrie de l’hôtellerie) qui défend cette idée de 6e catégorie. "C’est le plus grand plan social, il est silencieux, 20.000 salariés perdent leur emploi chaque année." "Ce soir, il faut qu’on ait des relais pour aller plus loin. (…) D’ici à 2025, grâce au rural, on peut gagner 1,5 point de croissance avec le tourisme. Défendre la ruralité, c’est défendre l’intérêt général", a-t-il développé. Le Parlement rural français entend aussi promouvoir et pérenniser après 2020 les zones de revitalisation rurale (ZRR), dispositif "trop méconnu" des communes et des chefs d’entreprises.

Une loi cadre pour la ruralité

Ses membres souhaitent aussi soumettre au vrai Parlement une loi sur la réduction des écarts dans le calcul le Dotation générale de fonctionnement de base (part forfaitaire) – vieille revendication des élus ruraux qui s’estiment lésés par ce calcul – ainsi qu’une loi d’orientation et de programmation pour la ruralité traduisant "une stratégie nationale d’équilibre", associée à "une programmation financière stable sur dix ans". Et ce en lien avec la future Agence nationale de la cohésion des territoires et la création d’un fonds national de revitalisation.

On retrouve aussi l’idée chère à l’AMRF d’inscrire dans la Constitution la notion d’espace. "La réforme constitutionnelle constituera une véritable plus-value si elle intègre la notion d’espace et pas seulement de différentiation territoriale", plaide Cédric Szabo. "On a divisé par deux le nombre de cantons uniquement sur des critères démographiques, il faut parfois deux heures pour les parcourir du nord au sud, que ce soit dans le Cantal, le Puy-de-Dôme ou les Hautes-Alpes (...) Il faut que dans la définition des politiques publiques on prenne en compte la réalité physique des déplacements", explique-t-il.

Les représentants de la ruralité mettent aussi l’accent sur le numérique et le très haut débit. Le déploiement de la 5G doit avoir lieu "prioritairement" dans les zones rurales. La culture n’est pas en reste. D’ailleurs la Sacem a annoncé à cette occasion un soutien de 400.000 euros pour les projets culturels des communes de moins de 5.000 habitants. "La Sacem a toujours été à l’écoute de celles et ceux qui font vivre la musique. Les cafés, hôtels, restaurants en font partie et nos équipes travaillent depuis de nombreuses années avec les organismes professionnels qui les représentent", indique-t-elle dans un communiqué. Un appel à projets sera lancé en septembre.

"Esprits métropolisés"

Venue inaugurer cette rencontre, la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, a vanté les efforts actuellement fournis par le gouvernement, comme le déploiement des maisons France Services. "Il faut aider les territoires et non pas faire de la politique, ne pas opposer les métropoles à la ruralité. Je ne crois pas que les esprits des Français soit métropolisés", s’est-elle défendue, disant "avoir horreur des mots tels que France périphérique ou la Diagonale du vide tellement négatifs que ça donne un mauvais vertige".

Pourtant, Gérard-François Dumont, n’en démord pas, les esprits ont bel et bien été "métropolisés". D’abord par les statistiques de l’Insee qui, reposant sur les zonages en aires urbaines, ont gommé la réalité rurale, en faisant même disparaître la notion de commune rurale au profit de celle, bien plus aride, de "communes isolées en dehors des pôles", soit 5% de la population. Or ce sont ces statistiques qui, ensuite, sont utilisées pour les lois, les décrets, fait-il valoir… Lui préfère la méthodologie d’Eurostat dont il ressort que la ruralité concentre un gros tiers de la population française. Il met en garde contre des vues de l'esprit, telles que le "big is beautiful" ou l’idée de relations "centre-périphérie". C’est d’ailleurs le cas des contrats de réciprocité que la loi instaurant l’Agence nationale de la cohésion des territoires entend généraliser. Or "c’est oublier que les logiques sont réticulaires", a démontré le géographe, citant le cas des territoires "pluripériphériques" comme Espelette près de Bayonne, où d’autres qui sont des centres en termes de fonction et non de géographie, à l’instar de la station thermale de Jonzac près de Bordeaux. "Ce modèle centre-périphérie a inspiré toutes les lois territoriales, il faut le remettre en cause de manière significative", a-t-il insisté. Et de citer la devise de l’État du Delaware : "Small but beautiful".

"Désir de campagne"

Selon lui, les Français ont un vrai "désir de campagne" : "45% des Franciliens souhaitent quitter l’Île-de-France, dont 26% dans les cinq ans, et 80% d’entre eux écartent l’idée de grandes villes ou de périphéries, 89% jugent le rythme de vie trop stressant…" "Pour un territoire rural, il est moins important de se concentrer sur une ville centre que de créer des réseaux pour faciliter le développement local", en a-t-il conclu.

L’annonce par le gouvernement d’un Agenda rural peut servir à amorcer la pompe. "Ces trente dernières années on a métropolisé la France, les esprits ; on est à un moment où il faut ruraliser les esprits, notre manière de penser", a déclaré Patrice Joly, le président des Nouvelles Ruralités, membre de cette mission Agenda rural qui doit remettre ses conclusions d’ici la fin du mois de juin. "Il faut absolument que la ruralité soit dans le radar de ceux qui ont des responsabilités."

(*) AMRF, Leader France, UMIH, MFR...