« Aide-toi, la collectivité t’aidera », le nouveau mantra des communes en transition

Séverine Cattiaux
« Aide-toi, la collectivité t’aidera », le nouveau mantra des communes en transition

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© alphaspirit _ adobestock

Pour préparer leurs concitoyens à un monde imprévisible, des communes ont quasi institutionnalisé le principe de « faire » avec les habitants. Zoom sur les expériences de Loos-en-Gohelle, d’Eybens, et de nombreuses villes en Italie.

Grande-Synthe dans le Nord, Le Mené près de Rouen, Malaunay en Seine-Maritime, Eybens en Isère, Loos-en-Gohelle dans le Pas-de-Calais… Dans nombre de territoires, les habitants se muent en véritables partenaires des services publics.

Il n’y a pas vraiment le choix, considèrent les responsables de ces communes en transition. Le contexte économique est tendu, les services publics ont un champ d’action limité, et les ressources naturelles se raréfient. Les administrés doivent donc désormais s’impliquer au service de l’intérêt général. Ce qui ne coule pas de source. Pas plus que ne va de soi le fait que les agents travaillent main dans la main avec leurs administrés. Il y a pourtant fort à gagner, prédit Julian Perdrigeat, directeur de cabinet du maire de Loos-en-Gohelle : « dans un contexte de plus en plus compliqué, ce partenariat entre les habitants et la commune constitue le ferment d’une communauté locale viable. Cette capacité à faire ensemble est en train de prendre une valeur inestimable ».

Ouvrir les portes de la coopération avec les habitants

En quelques années, les habitants d’Eybens, commune iséroise de 10 300 âmes « se sont mis en mouvement » constate la mairesse Francie Mégevand. La brocante n’est plus déléguée à un professionnel mais organisée par une association. Les commerçants ont finalement consenti à organiser le marché de Noël « plutôt que de laisser la commune s’en charger et se plaindre ». Francie Mégevand ne mâche pas ses mots. À son arrivée en 2014, cette ancienne sociologue, adjointe dans le précédent mandat qu’elle quitte en cours de route, décide d’« ouvrir grand les portes de la coopération avec les habitants ». L’idée directrice de l’équipe municipale ? « Capter l’intérêt des gens, souvent focalisés sur leurs problèmes, pour les inciter à s’intéresser à d’autres sujets ». Sont lancés les « collectifs d’habitants », qui s’emparent d’une question, d’un projet qu’ils viennent présenter devant le conseil de ville.

« Il fallait un système agile, plus souple et qui embarque aussi les services »

Dans cette instance – plateforme de la nouvelle démocratie locale — se retrouvent tous les deux à trois mois, des élus, des agents des services et tous les habitants qui veulent y venir. « Il fallait un système agile, plus souple et qui embarque aussi les services ». Cette nouvelle dynamique donne ainsi naissance par exemple à l’action « Nature en ville » rassemblant une batterie de collectifs pour du jardinage, la plantation d’un verger, la gestion d’un rucher, la création d’une mare, intervenir dans les écoles sur la biodiversité… « On a ainsi beaucoup de nouveaux habitants qui agissent, et qu’on ne voyait jamais dans nos réunions » se réjouit Francie Mégevand.

De nouveaux profils de postes

Quelque peu dépassée par le succès de ces collectifs, la commune se fait épauler par une assistance à maîtrise d’ouvrage pour organiser la gouvernance. « L’une des difficultés a aussi été de mettre nos services en position de coopération » ne cache pas la mairesse. Les services opèrent néanmoins leur conversion qui s’accompagne de nouveaux profils de poste. À l’occasion d’un remplacement d’un agent aux espaces verts, la commune embauche une jardinière qui consacre 20 % de son temps aux collectifs.

« Si les habitants ne sont pas moteurs, il vaut mieux encore renoncer »

« Certains agents ont encore du mal à accepter les critiques des habitants, pointe Francie Mégevand. D’autres ne peuvent s’empêcher de trop bien faire. Il faut que les services apprennent à ralentir. Si les habitants ne sont pas moteurs, il vaut mieux encore renoncer ».

Pas le monopole de l’intérêt général

Matinées de ramassage des déchets en bord de route, rénovation de locaux associatifs par les bénévoles, création d’un spectacle par les habitants… Six projets environ sont menés, par an, à Loos-en-Gohelle dans le cadre du « fifty-fifty », un principe que lance dès les années 2000 cette ancienne commune minière du Pas-de-Calais reconvertie sur 360° dans le développement durable.

Dès lors que les habitants sollicitent la mairie pour une action d’amélioration du cadre de vie entre autres, ces derniers doivent aussi mettre la main à la pâte… Autrement dit par Julian Perdrigeat : « la mairie n’a pas le monopole de l’intérêt général et reconnaît aux habitants un droit d’initiative ». Parmi les actions emblématiques, celle de l’entretien des chemins municipaux avec les agriculteurs. Un projet que Didier Caron, directeur des services techniques, suit de près : « nous choisissons les matériaux, évaluons le budget ensemble. Les agriculteurs apportent leurs tracteurs et leur fuel, leurs remorques, leur temps, la commune loue le matériel spécialisé ». Effectué par une entreprise, ce même travail aurait coûté entre trois et quatre fois plus cher. Selon l’objet de la demande habitante, c’est le service culture, urbanisme, ou les services techniques qui supervisent le projet.

« Tout cela fonctionne parce qu’il n’y a pas de faille dans le portage politique »

Une bonne partie des agents a pris goût à cette nouvelle approche, Didier Caron le premier, qui anime avec les habitants des actions autour de l’alimentation, l’aménagement et la sécurité. « J’adore construire avec les habitants, je m’efforce de partir d’une feuille blanche. Il faut veiller toutefois à bien poser les règles d’écoute réciproque en préambule ».

Le partage des tâches avec les collectifs connaît toutefois des limites, du point de vue de la couverture du risque. Quand les assurances agitent le chiffon rouge, la mairie reprend le projet sous son giron. Bien qu’elle en eût les compétences, l’équipe de foot n’a pas réalisé les petits abris de terrain. Les services techniques ont pris le relais.

Demeurent toujours envisageables les formes intermédiaires de partage : le skate park a été complètement modélisé par les jeunes. « Tout cela fonctionne parce qu’il n’y a pas de faille dans le portage politique » tient à préciser Julian Perdrigeat.

En Italie : les pactes de coopération
Plusieurs villes et acteurs associatifs français dont la 27e Région, avec le concours du programme européen Erasmus +, viennent de démarrer une série de voyages d’étude à travers l’Europe. Objectif : rencontrer des territoires qui expérimentent de nouvelles formes de gouvernance entre services publics et habitants. Premier pays visité en mars dernier : l’Italie, qui a mis en place les pactes de coopération. 186 villes en sont adeptes. À travers la signature d’un pacte, une collectivité reconnaît la légitimité à des citoyens de mettre en œuvre un projet et peut leur prêter main-forte en transférant des compétences.
Xavier Perrin, chef du service commun contrôle de gestion de la Métropole grenobloise et de Grenoble faisait partie du voyage. Il déclare, admiratif : « les Italiens ont réussi à faire un package de nos dispositifs avec un méta-outil. Ils arrivent aussi à beaucoup mieux communiquer dessus. Pionnière, Bologne dénombre aujourd’hui 250 pactes actifs. Ces pactes répondent à un principe d’amélioration et ne se substituent pas aux missions existantes du service public, ont bien indiqué les interlocuteurs italiens. Les pactes peuvent concerner des biens matériels ou immatériels, dans le social (action dans les maisons de quartier, les écoles), dans la culture (théâtre, street art, cinéma, valorisation du patrimoine, intervention dans les bibliothèques), le développement économique (activités productives), les espaces publics (skate park, jardins partagés, énergie, gestion des déchets). Les pactes peuvent être aussi remis en question, suivant les résultats de leur évaluation.

Séverine Cattiaux

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