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Transition écologique et résilience des territoires : pour le Shift Project, il est d’abord urgent de "comprendre"

"Tenir le cap de la transition écologique", pour un territoire, c’est être capable à la fois de "s’adapter aux chocs et aux épreuves liés au dérèglement climatique" et de "surmonter les crises, les tensions liées à la transformation elle-même". Dans un épais rapport, le Shift Project donne aux collectivités des clés pour agir en faveur de la "résilience" dont vont devoir faire preuve les territoires face aux "risques en cascade" liés au changement climatique, à l’érosion de la biodiversité et à l’épuisement des ressources. Décryptage de l’étude avec Laurent Delcayrou, chef de projet sur la résilience des territoires au sein du think tank.

Le think tank The Shift Project a récemment publié un rapport sur "La résilience des territoires pour tenir le cap de la transition écologique", étude réalisée avec le soutien de six partenaires dont la Banque des Territoires et l’Ademe. "Les territoires vont devoir s’adapter aux chocs et aux épreuves liés au dérèglement climatique, mais ils vont devoir aussi surmonter les crises, les tensions liées à la transformation elle-même", a expliqué à Localtis Laurent Delcayrou, chef de projet "Stratégie de résilience des territoires" au Shift Project. Conçu comme un "memento pour des politiques locales adaptées aux bouleversements à venir", la publication regroupe trois tomes invitant élus, agents de collectivités et autres acteurs territoriaux à "comprendre" les enjeux, à "agir" dans différents domaines (administration, alimentation, urbanisme, économie, santé) pour un territoire plus résilient et, enfin, à "organiser" une "démarche inclusive d’élaboration de stratégies de résilience du territoire".

Un manque de vision systémique des enjeux et des risques

Pour le Shift Project, dans les territoires, "on est encore loin d’avoir cette vision systémique des conséquences et des implications structurelles de la crise climatique et écologique", résume Laurent Delcayrou. Selon lui, on observe aujourd’hui un "foisonnement d’expérimentations, de publications, d’expertises sur l’accompagnement de la transition, un foisonnement tel qu’il en devient illisible". Pour le think tank, il est donc urgent d’y voir plus clair, collectivement. Il est même recommandé aux collectivités d’investir chaque année 1% de leur budget de fonctionnement "dans la formation, l’expertise et la production de connaissances sur les conséquences des bouleversements climatiques et les enjeux de la transition écologique sur les territoires". Et le rapport vise à contribuer à cette mise à niveau, par la sélection de "messages" destinés à "rendre les choses plus accessibles, plus lisibles", présente le chef de projet.
Le rapport s’ouvre ainsi sur une présentation synthétique de ces "risques en cascade" générés par le cumul du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité et de l’épuisement des ressources. Les conséquences pour les territoires sont certes environnementales (incendies, inondations, etc.) et sanitaires (déshydratations et intoxications par exemple), mais aussi économiques (surcoûts, baisse de rendement des récoltes, faillites d’entreprises, etc.) et sociales (précarisation, hausse des tensions, etc.)  

Le manque de compréhension partagée et le cloisonnement : deux obstacles à une action cohérente

Cette compréhension partagée des enjeux est indispensable pour dépasser les contradictions auxquelles font face nombre d’élus aujourd’hui – soucieux d’atteindre des objectifs de développement durable, mais aussi de créer de l’activité pour répondre aux besoins d’emploi. Selon Laurent Delcayrou, c’est à la lumière de cette connaissance qu’un élu peut s’interroger sur la réalité de son propre territoire. "À quel point l’économie de mon territoire est-elle vulnérable ? Si les emplois de mon territoire sont dépendants des énergies fossiles, ils vont être les premières ‘victimes’ de la transition écologique. L’inévitable décarbonation va toucher en premier lieu ces territoires", rappelle-t-il.  
Autre facteur de confusion et de contradiction : le cloisonnement sur un territoire et au sein même d’une collectivité, avec par exemple, au niveau de la région, un vice-président chargé du schéma régional de développement économique d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) et un autre responsable du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Pour "en finir avec l’incohérence", le Shift Project a plusieurs idées en matière de gouvernance : placer ces enjeux de résilience et de transition écologique sous la responsabilité du directeur général des services, ou encore créer une instance de dialogue SNBC (stratégie nationale bas carbone) / Sraddet entre les régions et l’État. Sur la durée des mandats ou le nombre d’échelons territoriaux, le Shift Project ne se prononce pas. "On a plutôt insisté sur l’urgence et la nécessité d’agir avec les outils existants, maintenant, dans ce mandat-là", précise Laurent Delcayrou.      

Coopération : un territoire a tout à gagner à "choisir ses interdépendances"

La vision systémique, "c’est en train de venir, cela viendra aussi de la base", veut-il croire. "Plus la population et l’ensemble des acteurs territoriaux seront eux-mêmes conscients de la situation, plus ils verront à quel point cela touche leur territoire, plus les collectivités et les élus seront soutenus pour faire de vrais choix". Des choix, en particulier, de "renoncement" : il s’agit d’être capable, pour un élu, de "renoncer à une entreprise de plus, fusse-t-elle absolument climatocompatible". Cela renvoie, pour le chef de projet du Shift Project, à la notion de "compétition" entre territoires et à l’intérieur d’un même territoire. "La résilience, c’est au contraire la capacité à coopérer", estime-t-il, un territoire ayant selon lui tout à gagner à "bien connaître ses interdépendances et à les choisir, autant que possible". Choisir, par exemple, "d’être dépendant de son voisin immédiat pour son alimentation plutôt que de l’autre bout du monde et d’un approvisionnement par avion".  
Dans le tome 3 du rapport, un chapitre est ainsi dédié aux coopérations et aux solidarités, avec notamment la recommandation d’"intégrer systématiquement une analyse d’impact des projets du territoire sur les territoires voisins". Il est également préconisé dans ce volume d’impliquer les citoyens dans la définition des orientations de la politique territoriale, de réaliser un diagnostic sur les "acteurs de la résilience", d’encourager et soutenir les initiatives citoyennes en la matière, ou encore de réviser les plans d’action en cours de route lors de "COP territoriales annuelles". Figurent également des pistes de financement de la transition écologique, dont plusieurs consistent à s’appuyer sur la fiscalité pour réduire l’artificialisation des sols. Autres idées : "prévoir que chaque grande collectivité lauréate d’un appel à projet soutienne une collectivité plus petite", ou encore "analyser l’impact climatique du budget prévisionnel de sa collectivité".

Bientôt des "cahiers de résilience" par type de territoire

Les trois volumes de l’étude fourmillent d’exemples d’initiatives et de pratiques jugées souhaitables en matière de résilience territoriale face aux enjeux de la transition écologique. On y trouve aussi sept "péchés territoriaux" en la matière, dont l’ignorance, le "techno-solutionnisme" et l’irresponsabilité ; des comportements "qu’on observe malheureusement un peu partout sur les territoires français, dans les collectivités mais aussi dans les entreprises", précise Laurent Delcayrou.
Le Shift Project poursuivra ces travaux jusqu’à début 2022 en déclinant cette étude par type de territoire, selon des critères démographiques et socio-économiques – métropoles, villes moyennes, petites villes et territoires ruraux – et géographiques – territoires de montagne, de littoral et d’outre-mer. Déjà partenaire de l'ADCF-Intercommunalités de France sur l’étude générale, le think tank s’attache actuellement à nouer des partenariats avec d’autres associations d’élus pour réaliser ces six "cahiers de résilience" par type de territoire.