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Les députés adoptent le nouveau régime de régulation du foncier agricole

Les députés ont adopté mercredi 26 mai la proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Le texte vise à mieux contrôler le marché des parts de sociétés, en instaurant une autorisation du préfet à partir de seuils d'agrandissements fixés dans chaque région.

En jachère depuis la réforme imparfaite de 2014, la régulation du foncier agricole devrait sortir renforcée par la proposition de loi Sempastous adoptée mercredi 26 mai par l’Assemblée (114 voix pour, 12 contre). L’objectif est de donner plus de transparence au modèle sociétaire qui se développe au détriment des exploitations familiales, en renforçant le contrôle sur les cessions partielles de parts. Un pis-aller cependant par rapport à la grande loi foncière promise par le chef de l’État. "Même si une loi foncière d’envergure n’a pas vu le jour, notre proposition de loi témoigne de notre mobilisation pour agir sur les urgences identifiées afin de préserver notre foncier agricole", a d'ailleurs reconnu par Jean-Bernard Sempastous (LREM, Hautes-Pyrénées). Mais il s‘agit selon lui de "percer l’abcès de la réglementation qui profite aux sociétés" car "la situation est grave", qui conduit à une concentration de plus en plus grande. En effet, le nombre d’exploitations n’a de cesse de baisser alors que la taille moyenne des exploitations augmente. Les sociétés possèdent aujourd’hui près des deux tiers de la surface agricole utile. En 2020, le marché des parts de sociétés a représenté 7,1% du nombre de transactions pour 1,4 fois la surface et 20,3 % de la valeur des ventes réalisées, selon les dernières données de la FNSafer. "Dans dix ans, la moitié des chefs d’exploitation partira à la retraite et, avec eux, adviendra le risque de voir encore s’agrandir des exploitations au détriment de l’installation de nouveaux agriculteurs, car les concentrations excessives de terres dans les mains d’un propriétaire restent en partie non contrôlées", a posé le député qui, en 2018, avait présidé une mission d’information sur le sujet.

Autorisation du préfet

Pour y remédier, le texte soumet à l’autorisation préalable du préfet les cessions de titres sociaux dépassant un seuil d’agrandissement fixé localement. Concrètement, ce seuil doit être compris entre une et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne (Saurm). Les dossiers sont instruits par le comité technique de la Safer qui rend un avis simple au préfet, mais c’est ce dernier qui décide. Il peut autoriser le projet s’il considère qu’il ne met pas en cause "la vitalité du territoire". Il peut aussi l’autoriser si le cessionnaire s’engage à libérer une "surface compensatoire" pour un agriculteur qui s’installe ou s’agrandit.

"Nous nous trouvons en effet à la croisée des chemins entre, d’une part, le vieillissement des populations agricoles et, d’autre part, la nécessité d’installer des jeunes pour qu’ils reprennent le flambeau de leurs aînés", a souligné le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, lors des discussions. Reconnaissant qu’il ne s’agissait pas de "la grande loi foncière" réclamée de longue date, il s’est défendu en expliquant que la proposition de loi allait de pair avec les mesures de lutte contre l’artificialisation des sols contenues dans le projet de loi Climat et Résilience (voir encadré ci-dessous). "Ces deux textes marqueront, à n’en pas douter, des avancées que j’estime majeures pour la protection du foncier agricole", a-t-il assuré.

"Un remède pire que le mal"

Pourtant plusieurs députés de gauche, et non des moindres, se sont mis en travers du texte. Parmi eux, le député Dominique Potier (Nouvelle Gauche, Meurthe-et-Moselle), co-rapporteur de la mission d’information de 2018, qui aujourd’hui défend un texte alternatif… ou concurrent. Loin d’être un béotien, il était déjà rapporteur en 2017 de la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, loi vidée de sa substance par le Conseil constitutionnel. "Le combat pour le partage du foncier est l’un des combats de ma vie", a-t-il même clamé. Selon lui, le remède proposé par la majorité "pourrait s’avérer pire que le mal". Avec de tels seuils, le texte va ouvrir "des brèches qui pourront paradoxalement favoriser l’agrandissement" et provoquer un "appel d’air", a-t-il mis en garde.

Le président de la FNSafer, Emmanuel Hyest s’est étonné jeudi 27 mai de cette réaction. "Je suis désolé que Dominique Potier qui travaille sur ce sujet depuis des années soit dans l’excès", a-t-il dit, lors d’une conférence de presse consacrée aux marchés fonciers ruraux. "L’objectif n’est pas d’empêcher le fonctionnement des sociétés" car dans la grande majorité des cas, les cessions de titres sont "utiles à la vie des sociétés", notamment pour assurer une transmission progressive du capital, a-t-il argué. Mais sans cette proposition de loi, "on allait vers un changement de société très clair". "On verra à l’usage s’il y a des choses à améliorer", a-t-il dit, se montrant confiant dans le vote du Sénat. Le texte étant déclaré en procédure accélérée, il n’y aura qu’un vote par chambre.

Référence : proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.
  • Zéro artificialisation nette : "le compte n’y est pas"

La consommation du foncier agricole enregistre une légère baisse. C’est vrai pour la consommation passée (données de l’observatoire de l’artificialisation du Cerema) ou à venir (données enregistrées par les Safer). Mais s'agissant de l'objectif de "zéro artificialisation nette" poursuivi par le gouvernement, "le compte n’y est pas" et "le niveau est toujours élevé", a observé Loïc Jégouzo, ingénieur d'études à la FNSafer, jeudi 27 mai, lors de la présentation des résultats annuels des marchés fonciers ruraux. 22.900 hectares ont été consommés en 2019 - soit la disparition de la surface agricole utile d’un département tous les 14 ans - et 27.200 hectares ont été vendus en 2020 pour être urbanisés. La consommation est surtout prégnante à proximité des grandes métropoles et du littoral. Par ailleurs, la FNSafer met en garde contre d’autres formes de pression : 24.900 hectares ont été vendus en 2020 sur le marché des espaces de loisirs non bâtis (extension de jardin, agriculture de loisir…). Même si à court terme, ces espaces gardent un état naturel, ils peuvent être transformés à l’avenir. "Les différentes politiques à l’œuvre depuis 2000 semblent avoir moins d’effet que les crises", a souligné Loïc Jégouzo. La loi Climat et Résilience en cours d’examen "va évidemment dans le bon sens, pour autant, la vigilance reste de mise", a-t-il expliqué, en référence à un amendement qui permet des assouplissements en zones de revitalisation rurale (ZRR). "Il faut être capable d’imaginer un nouveau modèle de développement" et "valoriser l’existant" plutôt que construire, a plaidé le président de la FNSafer Emmanuel Hyest.

 

 

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