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"La crise a montré l'utilité et l'efficacité des départements"

La mission sénatoriale sur le rôle et les compétences des départements a adopté et présenté le résultat de ses travaux le 15 septembre. Ce rapport signé Cécile Cukierman a pris une coloration particulière du fait de la crise, celle-ci étant venue prouver à ceux qui en doutaient le caractère incontournable de l'échelon départemental. Parmi les propositions de la mission : créer des "agences départementales des solidarités" pilotées par le conseil départemental, assouplir la répartition des compétences - y compris sur le développement économique -, supprimer les conférence territoriales de l'action publique (CTAP), rétablir la clause de compétence générale des départements et des régions...

"Quel rôle, quelle place, quelles compétences des départements dans les régions fusionnées, aujourd'hui et demain ?" En février dernier, au Sénat, à l'initiative du groupe CRCE (à majorité communiste), cette question est devenue… une mission d'information. Une mission dont les travaux ont dû s'interrompre rapidement pour cause d'épidémie et de confinement… et ont toutefois repris en juin : auditions (élus, représentants de l'Etat – voir notre article du 14 juin sur l'audition de Dominique Bussereau et deux autres présidents de département), déplacements en région, questionnaire adressé aux présidents de département. Et surtout, cette épidémie a changé la donne. Elle a "contribué à réorienter les conclusions de la mission", en ce qu'elle a "agi comme un puissant révélateur des forces et des faiblesses de l'institution départementale", résume la rapporteure, Cécile Cukierman, sénatrice CRCE de la Loire. "La crise a montré l'utilité et l'efficacité" des départements, a-t-elle insisté le 15 septembre en présentant son rapport à la presse après son adoption à l'unanimité par les membres de la mission d'information. "Ils se sont consolidés eux-mêmes par leur résilience face à la crise", a abondé le président de la mission, Arnaud Bazin, sénateur LR du Val-d'Oise.

"A l'aune de cette crise", donc, les cartes auraient été quelque peu rebattues. Ceux qui "pariaient sur la fin du département" ne le disent plus aussi fort voire ne le disent plus du tout. En revanche, les départements auraient bien été "fragilisés" depuis une bonne dizaine d'années, à coups de rapport Attali, de loi RTC, de lois Maptam et Notre… Perte de la clause générale de compétences, resserrement de leurs compétences autour du social, montée en puissance de l'intercommunalité et des métropoles… Le tout doublé par des "difficultés financières" bien connues liées au déséquilibre du financement des dépenses sociales. Sans oublier que dans le même temps, l'Etat départemental aurait lui aussi été fragilisé dans le cadre de la RGPP / RéATE. Même si là-dessus, les choses ont désormais bien changé : "La proximité de l'action publique s'impose comme un nouveau mot d'ordre" et conduit à "une prise de conscience progressive de l'importance de l'échelon départemental" pour l'Etat, résume la mission. Enfin, une réforme est venue servir ce mouvement : la création des grandes régions. "Les grandes régions ont finalement rendu irréaliste la disparition des départements." Voilà, à grands traits, pour les constats du rapport.

Cesser de raisonner par bloc de compétences

Les recommandations de la mission visent tout d'abord à "consolider" les compétences actuelles des départements. Et donc notamment à renforcer leur chef de filât sur le social. Mais aussi sur le médico-social, notamment en confortant leur autorité sur les Ehpad. Cela passerait notamment par la création d'une "agence départementale des solidarités" réunissant tous les acteurs, pilotée par le conseil départemental. S'agissant du champ "solidarités territoriales", Cécile Cukierman juge nécessaire de donner une "pleine consistance" à cette compétence : soutien financier au bloc local, ingénierie technique ou financière, planification sur l'accès aux services publics, etc. En veillant à mieux coordonner les aides financières des différents acteurs, à diversifier les possibles soutiens financiers du département au bloc local, à faciliter l'assistance technique.

Une autre série de recommandations vise cette fois à élargir le rôle du département en assouplissant l'actuelle répartition des compétences qui, jugent les sénateurs, se montre "inadaptée". La crise, donc, l'aurait confirmé. Le rapport propose la suppression pure et simple des conférences territoriales de l'action publique (CTAP), qui auraient "montré leur inefficacité" en termes de coordination entre niveaux de collectivités.
Il faut en outre, estime la mission, cesser de raisonner par bloc de compétences. Les compétences se doivent d'être distribuées de façon beaucoup plus fine. En visant la simplification à tout prix, le législateur peut parfois faire fausse route. Heureusement, ces compétences peuvent être déléguées – une souplesse à exploiter davantage. Le fameux principe de "subsidiarité". "Les régions ne peuvent pas tout faire", illustre Cécile Cukierman, prenant l'exemple des transports scolaires. Elle relève en outre que ces mêmes régions ont bien souvent dû territorialiser leurs actions. Une territorialisation qui atteste la pertinence de l'échelon infra-régional. Mais génère aussi un risque de superposition ou confusion (entre services départementaux et services régionaux départementalisés…).

La "rigidité excessive", c'est notamment celle qui écarte les départements du développement économique, assure la mission. Il en a beaucoup été question, on le sait, depuis les débuts de la crise sanitaire, le gouvernement s'étant montré ferme sur ce point. Pour les sénateurs, ce qu'ont fait les départements pour aider les plus petites entreprises de leur territoire a été plus que précieux. Et de façon générale, les départements n'ont jamais vraiment lâché le soutien au tissu économique, "que ce soit en s'emparant de leurs compétences résiduelles" – agriculture, soins de ville, aides à l'immobilier d'entreprise… – ou en parvenant à coopérer avec la région. Tout cela doit être assoupli "par la voie conventionnelle", dit le rapport. Celui-ci demande même le rétablissement de la clause de compétence générale de compétence des départements et des régions. Pas de panique, "cela aurait surtout une valeur symbolique", prévient la sénatrice de la Loire. Mais cela permettrait de "combler certaines failles, agir dans l'urgence, notamment en temps de crise". Les auditions en ont il est vrai largement témoigné (Dominique Bussereau parlait par exemple de départements intervenant dès qu'apparaissait un "trou dans la raquette" des régions).

Coopérer plutôt que fusionner

Faut-il envisager des évolutions de l'architecture institutionnelle ? Là-dessus, la mission se montre plus que prudente. "Sur le terrain, ce que l'on entend, c'est que les élus et la population veulent avant tout de la stabilité, surtout dans cette période de trouble", témoigne Cécile Cukierman. Qui considère avec circonspection les diverses réformes envisagées ces dernières années, dont certaines restent plus ou moins à l'ordre du jour. Ainsi en est-il des fusions métropoles-départements, sur le modèle lyonnais. Le rapport estime que, faute de véritable évaluation, l'efficacité du cas lyonnais n'est pas avérée et qu'il serait donc "prématuré" de vouloir le reproduire ailleurs. D'autant que "les métropoles ne montrent pas d'empressement à récupérer les compétences sociales des départements...". "Les compétences de solidarité, personne ne veut les exercer !", ajoute Arnaud Bazin.

Quid alors des fusions de départements, cette fois sur le modèle alsacien ? Pourquoi pas, mais uniquement "dans des situations très spécifiques", répondent les sénateurs, relevant que "d'autres solutions existent" - des formes souples de coopérations et mutualisations, d'"ententes inter-départementales". Enfin, que penser d'un éventuel retour du "conseiller territorial" initialement envisagé sous Nicolas Sarkozy ? "Le contexte de 2010 n'est plus celui d'aujourd'hui, que ce soit en termes de périmètres ou de compétences", rappelle Cécile Cukierman, évoquant à la fois des "obstacles techniques" et des "effets très incertains". 

La mission qui, selon les mots d'Arnaud Bazin, "assume la position très départementaliste" de ses conclusions, considère que ce rapport constituera "l"une des contributions au travail des sénateurs" en vue de la future loi 3D. En sachant toutefois que le Sénat a déjà présenté ses "50 propositions" sur la décentralisation début juillet (voir notre article du 2 juillet) et en a tiré depuis trois propositions de loi.