Penser l'après (5/5) : Christian de Portzamparc "Il faut savoir inclure dans les villes la diversité du monde"

Portrait Christian de Portzamparc dans l'enceinte de l'hôtel Renaissance à Paris - Jacques-Franck Degioanni
Portrait Christian de Portzamparc dans l'enceinte de l'hôtel Renaissance à Paris - Jacques-Franck Degioanni
Portrait Christian de Portzamparc dans l'enceinte de l'hôtel Renaissance à Paris - Jacques-Franck Degioanni
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Christian de Portzamparc, architecte et urbaniste, construit dans le monde entier quartiers, tours, musées ou théâtres. On lui doit notamment la Cité de la Musique à La Villette, plusieurs tours à Manhattan ou la Cidade das Arte de Rio de Janeiro.

Avec

Christian de Portzamparc, « starchitecte » international, n'est jamais à court de projets. L'agence 2Portzamparc qu'il a créée avec sa femme, Elizabeth de Portzamparc, également architecte et urbaniste franco-brésilienne, réalise des projets d'envergure aux quatre coins du monde. En 2020, Christian de Portzamparc doit ainsi livrer ou inaugurer pas moins de quatre projets phares : le Grand Théâtre de Casablanca au Maroc (le plus grand d'Afrique !), le somptueux Centre Culturel de Suzhou en Chine, le nouveau campus universitaire de la Sorbonne Nouvelle dans le 12e arrondissement de Paris et la Tour Eria à Puteaux. 

On est nombreux à avoir cette solidarité dans le temps, dans la génération : c’est l’histoire humaine, l’identité de l’humanité, sa valeur même. Les villes en sont la preuve tangible : dans les villes il y a le passé immense, le présent toujours en activité et le devenir où l'on souhaite des transformations. Mon boulot d’architecte et d’urbaniste, ça a été l’impression de travailler sur des morceaux de ville pour les changer.      
(Christian de Portzamparc)

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La ville et la façon dont on y vit, y travaille, y circule, sont au coeur de son travail. Portant ses recherches sur la qualité des espaces de vie collective et individuelle, Christian de Portzamparc conçoit l'architecture toujours en lien étroit avec l'urbanisme, pour concevoir des bâtiments et espaces multi-fonctionnels intégrés dans un quartier, un espace commun. Pour lui, l’architecture doit consister à ouvrir l'espace, avec plus de cours à l’arrière des immeubles, des espaces verts, des lieux de sociabilité et le moins possible de hauteurs écrasantes. 

Il a ainsi théorisé dès les années 1980 l'idée d'"îlot ouvert" : dimension intermédiaire fondamentale entre le quartier et l'immeuble, l'îlot, ou "bloc", est ici constitué de plusieurs bâtiments non-mitoyens et asymétriques, qui ouvrent sur la rue et laissent entrer la lumière. Il s'oppose non seulement à la conception haussmanienne, fermée, de l'immeuble, mais aussi à la ville moderniste d'après-guerre où chaque bâtiment était autonome, selon un plan libre qui refusait la rue. Pour Christian de Portzamparc, au contraire, la ville doit s'articuler autour de la rue, tout en permettant une forme de flexibilité et d'évolution dans le temps. 

Le virus nous révèle peut-être qu’on a besoin d’espace, de verdure, de voir le ciel, de marcher, de se rencontrer… (…) Notre travail dans notre atelier porte beaucoup sur cette histoire d’ouverture, avec ce que j’ai appelé les "îlots ouverts" : faire entrer le soleil, la lumière, tout en préservant une sorte d’intimité du logement.          
(Christian de Portzamparc)

Dans cette période de post-confinement où le retour à la ville a semblé difficile pour beaucoup, avec son manque de verdure, d'air, sa pollution et sa saleté, comment l'architecture va-t-elle répondre à ces nouveaux enjeux ? Pour Christian de Portzamparc, qui cite ici un article écrit par sa femme et collègue au début du confinement, il ne faut pas se leurrer : nous avons besoin de ville, de ce qu'elle nous offre en termes de sociabilité, de proximité, de diversité. Pour autant, la ville doit être repensée dans la durabilité et le respect des dimensions tant environnementales que sociales. 

L’espace commun de la ville, même quand il n’est pas trop prévu pour, comme dans les cités, redevient l’espace de la sociabilité et des rapports entre les gens. C’est très important. Ce besoin de ville, je le résume souvent au fait que j’ai toujours travaillé à réhabiliter la rue.          
(Christian de Portzamparc)

Notre invité rappelle par ailleurs que 80% des villes sont déjà bâties : contre une urbanisation galopante qui grignote la campagne au rythme de "quelques terrains de football par semaine", il prône la réhabilitation des bâtis existants, qu'il faut s'attacher à transformer, remoduler, repenser, pour les adapter à nos usages présents et futurs. Trop peu évoqué, il s'agit pour lui d'un enjeu majeur des élections municipales - il déplorait déjà en février la réticence des maires à parler de construction et d'aménagement de la ville, face à un électorat hostile à la densification. 

Je comprends qu’il y ait un mouvement pour tempérer le mouvement de densification (...). Qu’il y ait un retour aux villes moyennes et plus petites, je pense que c’est une vertu.  Je pense qu’on n’a pas besoin de métropoliser à fond.        
(Christian de Portzamparc)

Le confinement a aussi cruellement souligné l'inégalité physique entre ceux qui disposaient d'un grand espace et d'un jardin et ceux qui ont dû rester enfermés dans un tout petit appartement, sans accès à l'extérieur. Or pour Christian de Portzamparc, l'architecte a une vraie responsabilité publique, sociale, et doit travailler à réduire ces inégalités en créant des "espaces apaisés" avec un accès à la verdure ou à la lumière pour tous.  

L’harmonie a deux définitions pour moi : d’abord, quelque chose de difficile à définir qui tient au sens des proportions, au gout pour les contrastes, le grand, le petit, l’arrivée de la lumière tout un ensemble avec des règles… Mais l’harmonie, c’est aussi qu’il n’y ait pas d’inégalités ni de violence.      
(Christian de Portzamparc)

Enfin, Christian de Portzamparc nous parle du plaisir tout particulier qu'il prend à construire des lieux culturels, sa "passion égoïste" (la Cidade das Arte de Rio, la Cité de la musique de Paris, la Philharmonie du Luxembourg, et, bientôt, le Grand Théâtre de Casablanca...). L'architecte est d'ailleurs également un artiste : de novembre à janvier derniers, il a présenté sa première exposition de peinture, « Illuminations », à la galerie Kamel Mennour à Paris. Il y exposait pour la première fois son œuvre picturale.

J’aime bien être dans une sorte de tension contradictoire entre un désir de pureté, de calme, et, au contraire, un désir de diversité, voire de folie, d’exubérance. Je trouve que ce qui est beau, c’est d’avoir à la fois la rue Mouffetard aux heures du marché avec un monde fou, et, en même temps, des endroits avec un jardin et du calme, où le soleil se couche et où l'on peut parler tranquillement… On a besoin de ces deux aspects.        
(Christian de Portzamparc)

La Grande table idées
33 min

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