François Villeroy de Galhau : en avril, "une perte d’activité de 27 % pour l’ensemble de l'économie française"

François Villeroy de Galhau ©AFP - Fabrice Cofrini
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François Villeroy de Galhau ©AFP - Fabrice Cofrini
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François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, est l'invité de Léa Salamé à 7h50. Il évoque la situation économique post-confinement et la reprise qui se profile.

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"Nous avons fait la photo la plus complète de l’économie française en fin de confinement", explique le gouverneur de la Banque de France. "C’est une enquête auprès de milliers d’entreprises de tous secteurs, jusqu’à début mai. Nous arrivons à une perte d’activité de -27 % pour l’ensemble de l’économie française. Cela reste très sévère, mais c’est un peu moins mauvais que lors de notre enquête précédente début avril où l’on était à -32 %. L’amélioration relative, on la voit dans l’industrie hors agro-alimentaire, qui résistait déjà assez bien, dans les services marchands… À l’inverse, un secteur comme la construction reste extrêmement touché, la perte d’activité y est de 75 %."

"En mars, l’économie française tournait aux deux tiers, là elle est presque aux trois quarts, ce qui reste très sévère."

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Des secteurs inégaux face au télétravail

"Si je prends l’exemple des services, qui est le secteur le plus important de l’économie française, nous sommes très frappés dans notre photographie par la différence entre deux catégories de services", détaille François Villeroy de Galhau. "Il y a les services qui sont tournés vers les entreprises : ceux-là, grâce au télétravail, ont finalement résisté assez bien (services informatiques, conseil,  activité financière). Nous avons pour la première fois donné les chiffres d’usage du télétravail : trois secteurs, dont les services informatiques, les activités comptables et juridiques, ont un taux de télétravail de plus de 70 %. À l’inverse, les services aux particuliers, eux, continuent à souffrir beaucoup : en première ligne, l’hébergement et la restauration. C’est tout ça qui se joue dans le redémarrage. Certains secteurs vont rester fermés et d’autres vont accélérer."

Comment la Banque de France obtient-elle ces chiffres ? "C’est le travail des hommes et des femmes de la Banque de France sur le terrain. Nous sommes présents dans chaque département, en proximité, nous sommes en contact avec des milliers d’entreprises. Notre première source, c’est celle-là : qu’est-ce que les chefs d’entreprises eux-mêmes nous disent sur notre activité passée, au mois d’avril, et de ce qu’ils prévoient sur le mois de mai. Nous combinons ça avec un certain nombre d’indicateurs qu’on appelle “à haute fréquence”, des choses en temps réel qui permettent de mesurer la petite amélioration dans laquelle nous sommes. Pour vous citer un exemple, les paiements par carte bancaire avaient fait une très forte chute au mois de mars, il y a une petite amélioration que nous voyons fin avril, début mai. La consommation reste très inférieure à ce qu’elle était avant le 15 mars, mais nous revenons vers -30 % alors que l’on était à -35 ou -40 au début du confinement."

Deux temps dans l'aide aux entreprises

"La question essentielle c’est : qu’est-ce qu’il fallait faire et qu’est-ce qu’il va falloir faire maintenant ?", précise le gouverneur de la Banque de France. "Pendant un premier temps, qui vient de s’achever hier, c’était le temps de l’urgence, il fallait réagir. Les pouvoirs publics, globalement, ont bien réagi. C’est d’ailleurs assez comparable à ce qui se passe dans les autres pays, en Europe et dans le reste du monde. Avec en particulier quelque chose qui a mieux marché en France qu’aux États-Unis, en Italie ou en Angleterre : l’arrivée jusqu’aux PME et TPE de l’aide, avec ces prêts garantis par l’État. Nous regardons les demandes qui arrivent dans les banques, et on est hier soir à près de 500.000 demandes d’entreprises (486.000 exactement). La grande majorité, 90 % des demandes, vient de TPE, donc on cible bien les entreprises de toute petite taille. Nous surveillons aussi évidemment de près le taux de refus par les banques, qui reste très faible, entre 2 et 3 %. Donc globalement, c’est un dispositif qui marche bien."

Pour lui, la reprise est un deuxième temps qui devra être différent du premier : "Maintenant, quand je regarde vers l’avenir, on a aidé la trésorerie de toutes ces entreprises, dans un deuxième temps, celui du redémarrage, il va falloir une action patiente, sélective, pour aider cette fois-ci les fonds propres de certaines entreprises qui vont se trouver en difficulté. Car certaines vont se retrouver avec trop de dette."

"Je crois qu’il faudra tout faire pour éviter [les faillites d’entreprises]", assure François Villeroy de Galhau. "Quand je parle d’une action publique qui va devoir continuer pour accompagner le redémarrage, qui ne sera que partiel, c’est une action patiente et sélective. Il va falloir passer d’un effort en trésorerie, qui était général, à un accompagnement en fonds propre, en capital, qui visera les entreprises qui en ont besoin (ce n’est pas la peine de mettre des fonds propres publics dans des entreprises qui n’en ont pas besoin) mais aussi les entreprises qui sont viables. Sinon, cet argent ne servira à rien, et c’est de l’argent public, notre argent."

"Il y a bien sûr des secteurs qui sont plus touchés, il va falloir agir pour le tourisme, pour l’aéronautique, pour certains secteurs qui vont rester presque arrêtés. Dans les autres secteurs, entreprise par entreprise, regarder des formes innovantes, inventives, de soutiens en fonds propres, qui peuvent être d’ailleurs un bon investissement pour la collectivité nationale : aider une entreprise aujourd’hui en difficulté mais qui va retrouver ensuite la viabilité, c’est un bon investissement. Mais il va falloir être sélectif, et ce n’est pas toujours facile."

"L’ambition que nous pourrions avoir pour fin mai, c’est de regagner encore une dizaine de points"

La consommation va-t-elle repartir, selon ces indicateurs ? "C’est l’autre question très importante : si l’on regarde les ménages, là aussi il faut différencier. Il y a d’abord des ménages qui sont en difficulté sérieuse dans la période de confinement, ceux-là évidemment il va falloir continuer à les aider. Mais quand je regarde l’ensemble des ménages, leur consommation a baissé davantage que leurs revenus pendant ces deux mois. Il y a eu ce qu’on appelle une épargne forcée, une épargne supplémentaire qui s’est accumulée et dont nous commençons à voir la taille. Nous estimons qu’à fin mai, ce sera environ 60 milliards d’euros d’épargne supplémentaire des ménages : c’est près près de 5 % de consommation supplémentaire sur l’ensemble de l’année. La question prioritaire, c’est celle de la confiance des ménages, pour qu’ils transforment rapidement cette épargne accumulée en consommation, et donc en croissance."

"Il est trop tôt pour donner une évaluation sur l’ensemble de l’année, nous le ferons le 9 juin", promet François Villeroy de Galhau. "Nous voulons voir ce qui va se passer pendant le redémarrage, mais on a déjà deux indications. La première c’est que nous savons à peu près combien nous a coûté économiquement la période de confinement : ces deux mois nous ont coûté, sur la croissance annuelle, près de 6 % de pertes. La perte sur l’ensemble de l’année sera plus élevée. Sur le mois de mai, nous avons interrogé des chefs d’entreprise, et la plupart voient une amélioration de leur activité avec le redémarrage du déconfinement partiel. L’amélioration est d’autant plus forte que ces secteurs étaient le plus touchés pendant le confinement (par exemple dans l’automobile ou la réparation automobile). Si je devais donner un niveau d’ambition : nous avons, en un mois, de fin mars à fin avril, regagné 5 points de taux d’activité. L’ambition que nous pourrions avoir pour fin mai, c’est de regagner encore une dizaine de points. Nous verrons début juin ce qu’on pu faire les chefs d’entreprises."

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