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Jean Nouvel : quelle ville pour demain ?

Jean Nouvel
Jean Nouvel © Getty Images for Gagosian Gallery
Aurélie Raya

Face à l’uniformisation, l’architecte français Jean Nouvel estime qu’il est temps de réenchanter la cité. Interview.

L’homme en noir s’est confiné dans son appartement parisien avec vue sur une cour vide. L’architecte de 74 ans travaille derrière ses écrans, discute avec collaborateurs et clients par visioconférence. Puisque la pandémie oblige des milliards d’humains à rester chez eux, nous avons demandé au créateur de tant de bâtiments, de New York à Shanghai, d’Abu Dhabi à Marseille, de parler logement, réorganisation des villes, pollution, transports… Défenseur d’une architecture de situation, Jean Nouvel s’érige contre la métropole mondialisée et insiste : pour améliorer la vie de la cité, il faut mettre en place des ateliers d’élaboration des territoires. Explications.

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Paris Match. Vous avez souvent dénoncé la petitesse des logements sociaux, les matériaux, les normes… Dans les années 1980, vous avez construit des HLM à Nîmes avec 40 % de surface supplémentaire sans augmentation des coûts de construction. Pourquoi votre exemple n’a-t-il pas été davantage suivi ?
Jean Nouvel . Ce projet Nemausus a fait quelques petits, la Cité Manifeste de Mulhouse, d’autres bâtiments à Saint-Ouen… Le logement social ne devrait pas être soumis à des critères de surface, mais simplement à un budget. On parle de faire habiter dignement une famille. Mais dès qu’on démontre que l’on peut améliorer sans surcoût, les bailleurs n’apprécient pas.

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Pourquoi ?
Ils ont leurs propres règles et n’aiment pas être bousculés. Dans les logements sociaux, tout est triste. La plupart d’entre eux sont basés sur des bâtiments dits modernes “à la Le Corbusier”. Mais ils ne sont pas sur pilotis, et sont sans plan libre, sans fenêtre en longueur ni terrasse extérieure. Ce sont des habitations exiguës, construites le plus vite possible dans des sites vacants. Ce que cette pandémie révèle ? Les mauvaises conditions de vie des personnes en promiscuité.

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Dans votre tribune à la veille des élections en 2017, vous critiquiez “l’Ubu-urbanisme planétaire” : temps de transport déraisonnable, pollution, ségrégation sociale, taille des appartements réduite…
Ce n’est pas une bonne idée de conserver les ZUS (zones urbaines sensibles) ni de les démolir. Il faut que les logements sociaux soient désenclavés, qu’ils s’intègrent doucement à la ville. C’est une question de volonté politique. Cette pandémie peut ouvrir les yeux. Le président Macron a déclaré qu’il fallait “sortir des sentiers battus pour nous réinventer”. On est au pied du mur.

A Shanghai, dans un paysage arboré et bordé d’eau, le Pudong Art Museum construit en granit blanc. Il ouvrira d’ici un an et demi.
A Shanghai, dans un paysage arboré et bordé d’eau, le Pudong Art Museum construit en granit blanc. Il ouvrira d’ici un an et demi. © DR

Vous dites aussi qu’il faut sanctuariser les terres agricoles, éviter que la ville ne se déverse sur la campagne.
Les urbanistes croient ce phénomène inexorable, ils feraient mieux de se reconvertir. C’est une décision d’Etat. Si l’extension se poursuit, les transports seront encore plus longs, notre bilan carbone sera terrifiant et les conditions de vie se détérioreront. Les décisions urbaines doivent être transparentes et démocratiques. Pour y parvenir, je prône la création des Ateliers d’élaboration des territoires, un outil local mis en place de façon nationale, piloté par les élus locaux. On doit prendre en compte l’histoire, la géographie, le vent, les couleurs et non mettre un immeuble ici, quatre autres par-là, c’est pathétique.

La France périurbaine, dites-vous, n’est plus vraiment ville, pas vraiment campagne…
Je préconise que l’on établisse une limite claire entre la nature et le minéral, par le biais d’une loi, à l’image de la loi littoral. Cette limite serait constituée de parcs, de jardins linéaires. Passé ce seuil, place à l’agriculture : des cultures maraîchères, des serres, l’ouverture sur des terres arables. La ville deviendrait nourricière. On refuserait enfin la pollution scandaleuse des nappes phréatiques, des engrais…

Jardins et façades intérieures végétales pour le projet de logements « La Calanque » à Marseille.
Jardins et façades intérieures végétales pour le projet de logements « La Calanque » à Marseille. © DR

Vous pourriez être qualifié d’architecte écologiste…
L’écologie est un paramètre vital. Le développement urbain nécessite des propositions radicales et non quelques habillages. Cela m’énerve qu’on laisse pourrir les transports. Des solutions existent. Notamment en créant des archipels. On réunit sept à huit communes par une boucle au milieu de laquelle on place un beau parc. J’avais proposé une boucle de transport propre d’une commune à l’autre pour le Grand Paris afin d’alléger l’accès au centre de Paris. Cela n’a jamais été étudié. Christian Blanc a annulé tous les projets d’architectes, il a validé son métro sous terre qui sera une catastrophe. Le politique refuse de prendre en compte les données essentielles. Heureusement que je suis un optimiste. On nous a enlevé le plaisir de vivre et on nous a privés du premier d’entre eux, l’architecture.

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Les entrepreneurs donnent des ordres aux architectes, l’économie a pris le dessus

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Que voulez-vous dire ?
Maintenant, un architecte, c’est quelqu’un à qui l’on donne un petit cube à construire quelque part avec un nombre d’étages donné, des façades données, des normes… Que dis-je, des hyper-normes, une série de contraintes qui tuent l’espoir… Cela donne le chaos d’aujourd’hui.

Vous visez Paris, la France, l’Europe ?
Cette attitude est planétaire. On est dans l’ère du clonage absolu. Grâce à des logiciels, un bureau d’études peut concevoir un bâtiment, modifier quelques paramètres… Le même immeuble est parachuté sur tous les continents sans relation avec la géographie, l’histoire, les lieux. Les entrepreneurs donnent des ordres aux architectes, l’économie a pris le dessus.

Mais quand on vous choisit, vous ou un autre grand architecte, on vous laisse œuvrer ?
Sans réflexion sur le statut urbain. Regardez la BNF de Dominique Perrault. La ville n’a pas su lui accorder une place. Cela montre ce qu’a été l’urbanisme français de ces dernières décennies.

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Un des problèmes de notre époque est l’insensibilité

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Vous avez réalisé le Quai Branly, la Fondation Cartier, l’Institut du monde arabe… mais subi aussi quelques revers. Quel est votre lien avec Paris ?
Je l’aime passionnément, mais la politique urbaine ne prend plus en compte les mythes parisiens. Paris ne peut pas être un mouton de Panurge, or la Ville Lumière devient un réceptacle de bâtiments globaux. Il n’est qu’à voir le quartier des Batignolles où tout est blanc, constructions exogènes sans tracé. Et je ne vous parle même pas des nouvelles Halles… Après l’incendie de Notre-Dame, j’ai cru à la naissance d’une conscience du patrimoine, que l’on souhaiterait façonner d’autres lieux porteurs d’une telle émotion…

On reproche à la cité de ne pas être assez “verte”. A Sydney, vous avez créé l’immeuble One Central Park, doté d’une façade végétalisée. Une voie à suivre ?
Chaque cas est particulier. A Sydney, il s’agit un immeuble de logements avec un centre commercial qui donne sur un parc. Les habitants ont critiqué l’ombre projetée sur ce parc. J’ai alors proposé un jeu de miroirs pour renvoyer la lumière. J’ai végétalisé dans ce contexte. Le rôle du végétal n’est pas d’entrer automatiquement dans les trous de nez, même si j’ai commencé avec le Quai Branly. Végétaliser revêtait un sens symbolique eu égard à la vocation du musée. Il y a une sensibilité dans chaque lieu.

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La question des tours dans le centre de Paris est ultra-délicate. On n’accepterait pas des gratte-ciel qui se frôlent comme à Manhattan

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Vous parlez presque comme un poète…
Un des problèmes de notre époque est l’insensibilité. Une absence de conscience des nuances, d’indifférence à la beauté, d’imperméabilité aux émotions, cultivée par ceux qui revendiquent les valeurs sérieuses, le calme, la froideur, l’impassibilité. Les technocrates ne voient pas le problème d’un urbanisme à répétition.

Avec les tours, plus on va haut, moins on occupe le sol. Est-ce encore une piste pour habiter la ville en Europe ?
Une ville ne s’invente pas. Les racines existent. La tour est une arme urbaine pour une densification ponctuelle. Il faut l’ancrer, lui trouver des points de correspondance avec le lieu. La question des tours dans le centre de Paris est ultra-délicate. On n’accepterait pas des gratte-ciel qui se frôlent comme à Manhattan.

Quelle est votre première satisfaction une fois un projet achevé ?
Que l’objectif fixé soit atteint. On se fait engueuler, traiter de présomptueux, de prétentieux, mais on ne peut concevoir un bâtiment symbolique et de haute pérennité sans amour et sans ambition. 

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