L’emploi se déplace-t-il vers les villes moyennes ?

Passé le choc de la crise sanitaire, les villes moyennes et les territoires ruraux semblent profiter des créations d'emploi depuis 2021, alors que le Grand Paris, auparavant locomotive de l'économie nationale, peine à se relever. Pour le cabinet Arthur Loyd, ce "rééquilibrage géographique" est tiré par les investissements dans les filières vertes dont les deux tiers se situent hors métropole.

Assiste-t-on aux prémices d’une "démétropolisation" ? C’est la question que pose le cabinet Arthur Loyd dans son baromètre annuel "Attractivité et résilience des métropoles - Transition des territoires", rendu public le 5 décembre. La réorganisation de l’économie post-Covid est en train de redistribuer les cartes de l’emploi au profit des villes moyennes. La crise sanitaire et le recours au télétravail avaient amorcé une tendance qui se confirme en grande partie par les investissements massifs dans les filières vertes. "Pour la première fois, les territoires à taille humaine, hors de l’influence des grandes métropoles, observent une hausse d’emploi supérieure à la moyenne française", constate ainsi le cabinet de conseil en immobilier d’entreprise, à partir des données de la sécurité sociale (Acoss-Urssaf). Les 76 départements dépourvus de métropole régionale, qui pesaient pour 15% des créations nettes d’emploi au cours des dix dernières années – "bien loin de la moyenne nationale" – en génèrent aujourd’hui 42%. Presque un emploi sur deux. Ils coiffent d’une tête les 16 départements abritant une grande métropole qui concentrent tout de même 41% des créations d’emploi. Ces dernières – hors Grand Paris qui constitue un cas à part – restent toutefois le moteur des créations d’emplois et ont largement compensé les pertes de la crise sanitaire. À l’inverse, le "Grand Paris élargi", jusqu’ici "locomotive de l’économie nationale", a du mal à se relever. Durement touchée par la crise sanitaire, la région capitale "efface tout au plus les effets de la crise". Représentant 35% des 1,35 million de créations de postes dans la décennie précédant le Covid, elle n’en génère plus que 17%. Son rythme de croissance de l’emploi est de 1,8%. Un point de moins que la moyenne nationale. Le cabinet se demande même si elle n'a pas atteint son "plafond de verre".

"Une autre voie est possible"

Depuis 2019 et le passage de la crise sanitaire, la dynamique est en faveur des départements composés de villes rurales, moyennes, voire de métropoles intermédiaires. Ils connaissent une croissance de l’emploi de 2,9% et font désormais légèrement mieux que la moyenne nationale (+2,8%). "Non seulement ces territoires ont effacé l’impact de la crise sanitaire de 2020 mais ils sont sortis d’une longue période de déclin de l’emploi, en revenant à leur niveau de 2008", souligne le baromètre. Ils "montrent qu’une autre voie est possible en l’absence de l’influence d’une grande métropole", commente Cevan Torossian, directeur du département Études et Recherche d'Arthur Loyd.

Attention à ne pas parler trop vite de "démétropolisation". Car la reprise est en grande partie portée par la "littoralisation" de l’économie et les métropoles. Après avoir attiré de nouveaux habitants, les territoires traditionnels de l’haliotropisme et de l’héliotropisme (l’attrait de la mer et du soleil) semblent désormais prisés par les entreprises "à la recherche de compétences dans leur territoire". C’est le cas à Castelnaudary, Capbreton, Manosque, Auray, Bourg-Saint-Maurice, Granville…

Quant aux métropoles, elles restent bien le moteur de l’économie avec une croissance de l’emploi de 3,5%, même si leur "surperformance" se réduit "considérablement". À la confluence entre littoralisation et métropolisation, on trouve les départements possédant une métropole régionale : l’Hérault avec Montpellier, la Gironde avec Bordeaux, le Var avec Toulon, les Bouches-du-Rhône avec Aix-Marseille et la Loire-Atlantique avec Nantes. Ce sont les plus dynamiques. Elles affichent une croissance de l’emploi de plus de 4%. 

Des départements qui restent en "décrochage"

Par ailleurs, tous les départements éloignés des métropoles ne sont pas dans une trajectoire favorable. Certes, certains bassins d’emploi jusque-là en difficulté reprennent bien "le chemin de la croissance". C’est le cas du Pas-de-Calais qui a enregistré 11.500 emplois de plus depuis 2019, du Maine-et-Loire (+ 8.500), du Finistère (+ 8.200) ou du Morbihan (8.100). Même la Moselle, frappée par la désindustrialisation, "a fait preuve d’une résilience certaine". Mais certains départements restent en "décrochage" et "demeurent en marge de ce grand élan post-Covid". L’étude comptabilise ainsi 51 départements (ruraux ou urbains) qui, depuis 2019, sont plutôt dans une croissance de l’emploi inférieure à la moyenne. "De la Meuse à l’Indre, en passant par l’Yonne et la Nièvre, l’Aisne, le Doubs ou encore le Territoire de Belfort, l’écart se creuse par rapport à la dynamique à l’échelle nationale", constate Arthur Loyd. Ces territoires "gagneraient sans doute à bénéficier d’une politique d’aménagement du territoire spécifique et sensiblement revalorisée au plus haut niveau de l’État pour les revitaliser et les raccrocher à la dynamique de l’économie française", souligne Cevan Torossian. Ce n'est pourtant par le chemin que prend le grand plan d'investissement de 54 milliards d'euros France 2030 dont près de la moitié des projets sont situés en Île-de-France...

Les deux tiers des investissements "verts" se situent hors métropole

Plusieurs éléments pourraient expliquer ce rééquilibrage géographique au profit des villes moyennes et des territoires ruraux : l'amorce d'un hypothétique "exode urbain", l'effet des programmes de revitalisation (Action coeur de ville, Petites Villes de demain, Territoires d'industrie, etc.), mentionne le cabinet qui invite toutefois à la prudence (dans son dernier ouvrage, "Les Dépossédés", le géographe Christophe Guilluy met en parallèle les 5 milliards du programme Action coeur de ville sur cinq ans pour plus de 200 villes avec les 40 milliards d'euros de budget du Grand Paris)...  Mais selon l’étude, le phénomène le plus marquant de l’après-crise sanitaire est l’essor de la filière verte où "les capitaux affluent". En 2021, 69% de ces investissements se situent hors métropole. Les cinq départements qui profitent le plus des investissements dans ce domaine sont le Nord, le Rhône, l’Hérault, la Seine-Maritime et la Moselle. Et Paris se trouve être "la grande oubliée" avec 3% des investissements en 2021 et 27 projets sur 417. Les villes moyennes en attirent 102. Avec 2,25 milliards d’euros investis en 2021 dans cette filière et déjà presque autant au premier semestre 2022, le Nord "prend le large". Une place en partie due à la méga-usine de batteries électriques portée par Verkor, Renault ElectriCity et le groupe chinois Envision Energy, à Dunkerque. Pour le baromètre, les Hauts-de-France sont sur la voie de la "renaissance industrielle", avec 35 projets recensés dans la transition climatique. Ces résultats ne sont pas étrangers à la "volonté politique" des élus, aux compétences présentes et à la disponibilité foncière.

À noter aussi la "mention spéciale" du baromètre pour la Moselle. Le département, qui ne ménage pas ses efforts en matière d’attractivité, accueille le troisième plus gros investissement "vert" du second semestre 2022 : l’entreprise française H2V Product investit 500 millions dans une méga-usine d’hydrogène vert sur une ancienne friche industrielle de 31 hectares à Thionville-Illange…

Alors si cette tendance perdure, on pourrait assister aux prémices d’une "recomposition territoriale majeure" et d’une déconcentration de l’activité économique en France. Le baromètre émet cependant un point d'inquiétude avec le déploiement de la politique du zéro artificialisation nette. "Ce changement de modèle de développement urbain (…) pourrait, in fine, ralentir la croissance de l’emploi hors des grands centres urbains, par essence déjà artificialisés." Un peu tôt donc pour parler d'une "revanche des villes moyennes".