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Essais

Mieux gérer la voirie : les apports d’un référentiel spatial partagé

La voirie occupe une surface considérable en France, mais sa gestion, voire sa définition varient selon les territoires et leurs institutions. Cet article expose les résultats d’un projet de recherche visant à leur donner de nouveaux outils d’intervention.

Chaque jour on la foule ou on y roule, et pourtant elle se soustrait à notre attention : la voirie est souvent oubliée, tant par les usagers que par les professionnels. L’architecte Éric Alonzo relevait par exemple en 2018 que l’agence d’urbanisme chargée de l’aménagement de l’A10 à Tours disposait de plans sur lesquels la voirie était laissée blanche (Alonzo 2018) ; ou encore que les discours publicitaires sur les nouveaux modes de transport tendaient à l’oublier. La voirie réapparaît cependant lors d’incidents liés à la circulation (Qi 2021) ou à son mauvais entretien (Razemon 2018). Ainsi, le plus souvent, la voirie se rappelle à nous dans son rôle de support des mobilités et d’ouvrage participant à la sécurité des riverains ou à l’aménagement de la ville.

C’est pourtant un objet bien complexe aux multiples dimensions : politiques, lorsqu’il est question pour une collectivité de gérer son patrimoine ; techniques, pour la gestion mécanique de l’ouvrage. Cette complexité s’accroît en milieu urbain, en raison notamment de la plus grande diversité des modes de transport. En France, le retour du tramway a d’ailleurs conduit à reconsidérer son développement axé autour de l’automobile (Papon et de Solère 2010). Pour cette raison, la loi ainsi que les acteurs de la voirie, tels que les aménageurs et urbanistes, tentent de rendre interopérables les modes de transport en repensant l’infrastructure support (Héran 2017).

La voirie accueille également les marchés, la végétation pour rafraîchir ou embellir la ville, ou encore des réseaux techniques (eau, gaz ou électricité). Cette diversité d’activités complexifie l’objet voirie par l’ajout d’équipements (luminaires, signalétiques, déviation de réseaux techniques, etc.) et par des aménagements structurels d’adaptation. Elle complexifie également sa gestion et sa maintenance en rendant nécessaire l’intervention d’agents de la route, des réseaux ou des commerces, ce qui renforce l’enjeu d’une bonne connaissance partagée de la voirie (MTES 2017). Émerge alors le besoin d’un référentiel commun permettant de représenter et de décrire la voirie dans son environnement. Il convient pour cela de s’interroger sur plusieurs points : qu’est-ce réellement que la voirie ? Comment la représenter spatialement ? Comment la décrire techniquement ? Nous proposons de traiter ces problématiques sous l’angle de la cogestion de la voirie et des réseaux techniques enterrés [1].

Comment définir la voirie ?

La diversité des usages de la voirie, des échelons administratifs qui en ont la gestion (État, départements, intercommunalités, communes), des milieux dans lesquels elle est implantée (urbain, périurbain ou rural) et des dispositifs techniques qui y sont associés (par exemple l’enfouissement des réseaux techniques) entraîne l’implication de multiples acteurs. Or, ces derniers, du fait de leurs besoins et sensibilités professionnelles, ne partagent pas tous la même vision de la voirie. Sur la base d’entretiens et de lectures, nous avons observé le recours à un champ lexical élargi pour décrire la voirie, ce qui peut être source de confusions :

  • l’usage de deux termes pour une même emprise, tels que « route » et « chaussée » pour désigner la partie utilisée pour la circulation des véhicules ;
  • l’usage d’un même terme pour deux emprises différentes, tel que « voirie » qui renvoie soit à l’emprise utilisée par l’automobile (CERTU 2013), soit à la même emprise augmentée des trottoirs (Breteau 2016).

Dès lors, la construction d’une vision harmonisée de la voirie nécessite le recours à un vocabulaire commun. Nous avons donc travaillé à la construction d’un lexique à partir d’une analyse sémantique de textes historiques, réglementaires et techniques traitant de la voirie. La figure 1 présente un extrait de ce lexique, qui repose sur notre définition de l’objet central, la voirie : « Infrastructure permettant les circulations terrestres hors circulations ferroviaires, appartenant soit au domaine public ou privé d’une collectivité territoriale, soit à un individu ou groupement d’individus. Elle est composée d’un élément central, une chaussée et des dépendances et accessoires permettant son maintien, la sécurité de ses usagers et son agencement. »

Figure 1. Exemple de conception d’un lexique sur la voirie

Auteurs : Pavard, Dony et Bordin, 2022.

Comment décrire spatialement la voirie ?

Le manque d’une vision cohérente de la voirie empêche d’identifier son emprise précise et conduit à des estimations différentes. Ainsi, la surface de voirie de Paris est estimée entre 28 km² (Ville de Paris 2020 ; Breteau 2016) et 15 km² (CERTU 2013), selon que les dépendances y sont incluses ou non (figure 2).

Figure 2. Surface des emprises de voirie de Paris selon les définitions et auteurs

Sources : CERTU 2013, Breteau 2016, Ville de Paris 2020.

Or, les entreprises de travaux publics facturent leurs interventions selon la surface à couvrir, puisque de celle-ci découle la quantité de matériaux à utiliser. Par exemple, la couche visible d’une voirie, appelée revêtement, coûte entre 6 et 50 euros le mètre carré, tandis que la partie non visible coûte 240 à 520 euros le mètre carré (Cerema Ouest 2017). Un écart de 13 km² correspond à une variation d’au moins 3,1 milliards d’euros pour une opération de construction ou de rénovation.

Ensuite, l’information sur l’emprise de la voirie doit être représentée et exploitable à travers des outils accessibles à tous les gestionnaires, afin qu’ils organisent dans le temps et dans l’espace les opérations d’entretien. À ce titre, l’Observatoire national des routes (ONR) a identifié que si l’État et les départements disposent des compétences et des outils leur permettant de produire une connaissance fine de leur patrimoine, une majorité de communes rencontre en revanche des difficultés (IDRRIM 2017). À partir de ces constats, deux questions émergent : quels outils utiliser pour la représentation spatiale de la voirie et comment en estimer l’emprise ?

Du côté des outils, les communes investissent depuis plusieurs décennies dans des logiciels informatiques de représentation spatiale appelés les Systèmes d’information géographiques (SIG). Aujourd’hui, ceux-ci sont largement déployés [2] et il est raisonnable de les utiliser plutôt que de réaliser de nouveaux investissements. Pour la collecte, la construction et la gestion des informations liées à la voirie, il convient d’utiliser des méthodes peu chronophages et s’appuyant au mieux sur des informations déjà construites. Plusieurs organismes se sont intéressés à des solutions de ce type et deux approches en ont découlé :

  • le Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU 2013) s’est focalisé sur l’usage de données utilisées habituellement pour les calculs d’itinéraires, représentant les chaussées par des lignes suivant leur axe central, pour estimer une largeur de voirie (figure 3a) ;
  • l’Institut Paris Région s’est intéressé récemment aux informations cadastrales pour identifier l’espace public et, par relation, les emprises de voirie (Delaville et al. 2021) (figure 3b).

Figure 3. Deux approches de construction des emprises de voirie

Auteurs : Pavard, Dony et Bordin, 2022.

Nous avons comparé ces deux approches en les appliquant à plusieurs cas d’études : la ville de Bordeaux, ainsi que toutes les communes d’Île de France, dont le terrain d’étude de cette recherche, la commune de Cachan dans le Val-de-Marne (94). Cette comparaison montre que la première approche estime l’emprise des seules chaussées, et non l’emprise complète de la voirie (nous supposons que cela est lié à l’hétérogénéité des aménagements des voiries en ville). La deuxième approche, elle, évalue bien l’emprise de la voirie, mais des défauts apparaissent, liés à des aménagements spécifiques tels que les stationnements ou les espaces verts en bordure. La combinaison des deux approches permettrait de distinguer les chaussées des dépendances. En outre, les deux approches sont améliorables, en maîtrisant mieux les règles d’attribution des largeurs de chaussées pour la première, en complétant la seconde par des relevés terrains ou de l’analyse d’images aériennes. Finalement, les deux approches améliorées et combinées permettraient une description plus fine des éléments de voirie à l’aide d’informations structurelles utiles à leur bonne gestion.

Comment décrire techniquement la voirie ?

Les mobilités, les commerces, les loisirs ou les liens sociaux sont des fonctionnalités supportées par la voirie qui nécessitent son partage en sursol (Cerema 2018). Celui-ci est réalisé par une partition de l’espace à l’aide d’équipements, de marquages au sol ou encore par une variation des matériaux de surface (nature, aspect et couleur). Au-delà, la nature de l’activité supportée impacte les choix techniques pour les éléments de la voirie en sous-sol. Leur structure doit à la fois répondre aux sollicitations induites par ces activités et limiter les impacts de la voirie sur ces activités. Par exemple, une chaussée supportant un trafic de véhicules nécessite une plus forte résistance mécanique qu’un trottoir ; ou encore, une canalisation métallique en sous-sol nécessite de choisir des matériaux non corrosifs pour l’élément de voirie qui l’accueille.

Afin d’assurer l’entretien des voiries et de les aménager en cohérence avec les activités qu’elles supportent, les gestionnaires ont donc besoin de connaître ces structures. Ce besoin est aussi juridique, puisque la réglementation en matière d’interventions sur réseaux enfouis sous voirie impose le remblayage d’une tranchée à l’identique. En d’autres termes, la nature et l’épaisseur des matériaux présents à l’origine doivent être respectées.

Enfin, la voirie évolue dans le temps et se dégrade sous l’effet de diverses sollicitations : mécaniques, liées au trafic ; thermiques et hydriques, liées aux intempéries ; humaines, liées à des interventions extérieures, comme l’implantation de nouveaux réseaux (fibre ou géothermie) et leur maintenance. Un manque d’entretien, notamment en surface, peut conduire à une diminution de la rugosité du revêtement et donc de la sécurité des usagers, ou à des défauts d’étanchéité. À terme, les infiltrations d’eau provoquent des désordres structurels irréversibles.

En résumé, l’entretien de la voirie nécessite de connaître son état d’origine (sa structure initiale) et de suivre son évolution (ses dégradations, sa maintenance). Il est donc indispensable d’associer une dimension temporelle aux informations structurelles présentes dans la représentation spatiale de la voirie. Dès lors, comment enrichir le référentiel spatial de voirie par ces informations techniques ?

Les communes disposent rarement, ou dans un format non adapté, des informations essentielles (structures et dégradation) en raison de difficultés de collecte, de référencement ou encore de pertes de documents. D’une part, un manque d’informations sur les structures nécessite de réaliser des fouilles (carottage), lesquelles entraînent des dépenses. Une information manquante ou mal référencée peut induire des incidents lors d’interventions à proximité de réseaux [3]. D’autre part, un manque d’informations sur l’évolution des voiries empêche de planifier les maintenances et donc une juste allocation des financements, qui retarde les interventions.

Quelles sont donc les informations techniques essentielles, comment les collecter et les associer au référentiel ? Afin d’aider les gestionnaires, nous avons proposé :

  • une hiérarchisation et une organisation des informations afin de les lier au référentiel spatial conçu ;
  • des méthodes simples de collecte d’informations telles qu’une levée visuelle pour les revêtements et les dégradations par pas de 10 mètres ;
  • des collectes d’informations géolocalisées sur les structures de voirie lors d’opérations d’excavation pour maintenance de réseaux, par exemple.

L’application de l’ensemble de ce processus sur le terrain de référence de Cachan a apporté les résultats suivants : la simplification des échanges grâce au recours à un vocabulaire harmonisé ; l’obtention de données fiables et à jour par l’emploi de techniques simples de construction de données sur les emprises de voirie, et de collecte de données sur l’état de la voirie.

En conclusion, ces travaux permettent de recentrer le débat sur les besoins des gestionnaires en termes d’informations pour gérer leur voirie, tout en tenant compte de leurs capacités financières et techniques. L’empreinte carbone et les coûts des travaux sont largement pointés du doigt, et ce d’autant plus dans le contexte actuel des crises environnementale et économique. Aujourd’hui, la recherche et l’ingénierie dans le domaine sont souvent axées sur la conception et le développement de nouvelles technologies complexes, onéreuses et productrices d’une quantité importantes de données (LIDAR, BIM, etc.), gourmandes en capacités de stockages et de calculs. L’enjeu initial étant d’apporter des solutions techniques pour assurer la qualité de la voirie sur toute sa durée de vie en limitant l’empreinte carbone et le coût des travaux, il est important de ne pas déplacer les problèmes environnementaux et économiques sur un autre domaine, le numérique. Dans ce contexte, des solutions simples et plus ciblées sont un bon compromis pour aider les collectivités à avancer dans une gestion vertueuse de leurs voiries.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Antonin Pavard & Anne Dony & Patricia Bordin, « Mieux gérer la voirie : les apports d’un référentiel spatial partagé », Métropolitiques, 19 décembre 2022. URL : https://metropolitiques.eu/Mieux-gerer-la-voirie-les-apports-d-un-referentiel-spatial-partage.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1866

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