Coopérations territoriales : l'heure de changer de braquet

Hugo Soutra
Coopérations territoriales : l'heure de changer de braquet

Banlieues Rural

© adobe/vvoe

Le ministère de la Cohésion des territoires comme l’association d’élus France Urbaine ne cessent d’appeler les collectivités locales à coopérer entre voisins. Sans convaincre, pour l’heure, les présidents de métropoles et maires de villes moyennes ou de villages de dépasser le stade des belles intentions… La majorité des partenariats, à l’instar du contrat de réciprocité signé entre Toulouse Métropole et le pays des Portes de Gascogne, tourne autour des mêmes sujets anodins. Les choses pourraient tout de même commencer par changer à l’issue de la crise sanitaire…

Trente-trois petits kilomètres séparent la place du Capitole à Toulouse de la place de l'Hôtel de ville de L'Isle-Jourdain (Gers). L'arrivée de citadins en provenance de la ville rose et de sa banlieue proche n'a rien de neuf dans ce bourg d’un peu plus de 8 000 habitants, « mais la demande s'accentue depuis dix-huit mois. Au-delà des particuliers, les entreprises sont encore plus nombreuses à prospecter, compte tenu de la saturation des zones d’activité sur Toulouse et Colomiers ainsi que de nos prix cassés » observe son maire (PS), Francis Idrac.

Plutôt critique du contrat de réciprocité signé entre Toulouse Métropole et le pays des Portes de Gascogne – instance dont il est membre -, le premier édile de L’Isle-Jourdain savoure sa revanche. Et peaufine son plan d’attaque pour tenter de renforcer l’ambition de ce partenariat interterritorial, signé en grande pompe à l’époque... Là-bas comme ailleurs, ce sont souvent les mêmes thématiques consensuelles qui reviennent, invariablement, dans les négociations entre élus appelés à nouer des coopérations territoriales. Avec une nette prime pour les circuits-courts agro-alimentaires et autres projets étiquetés « développement durable ».

Approvisionnement alimentaire des cantines

Qui serait contre, en effet, d’accorder ses violons pour favoriser le ravitaillement des consommateurs urbains en produits bio et locaux, à même de garantir en retour un « filet de sécurité » aux familles de paysans des territoires ruraux alentours ? « C’est plus facile de concrétiser cette notion assez complexe d’inter-territorialité autour de tels partenariats gagnants-gagnants. Chacune des deux parties y voit bien son intérêt » observe Juliette Sainclair, co-autrice d’une étude autour des coopérations territoriales pour l’école urbaine de Sciences Po, l’AdCF et l’APVF, aujourd’hui chargée de mission dans l’ONG « Pour une autre PAC ».

« L'approvisionnement alimentaire des cantines toulousaines à partir de produits cultivés dans le Gers plutôt qu’achetés à Rungis, c'est très bien. Mais la métropole est en train d'atteindre son pic de développement et va au-devant de gros problèmes, ne serait-ce qu’en termes de congestion automobile. Cessons d’y entasser les salariés d'Airbus pour des raisons purement fiscales, alors qu'il y a de jolies maisons à restaurer à L'Isle-Jourdain comme de nombreux autres villages offrant une qualité de vie incomparable », illustre M. Idrac. Peut-être aurait-il l’impression de moins perdre son temps si les négociations entre la Ville rose et le pays des Portes de Gascogne franchissaient à l’avenir un nouveau cap…

Etalement urbain VS revitalisation des centre-bourgs

Que le maire de l’Isle-Jourdain se rassure : le tribunal administratif a annulé le dernier PLUI-H de Toulouse Métropole, au printemps dernier. Celui-ci prévoyait la construction d’encore 7 000 logements neufs par an… Jugé trop timoré vis-à-vis de l’étalement urbain, Jean-Luc Moudenc nie, pour sa part, avoir surévalué les besoins fonciers de la métropole : « on ne passe pas du jour au lendemain de la ville horizontale à la ville verticale » se défend-il. Certes, mais « sans doute y aurait-il moyen de combler les manques gersois avec le surplus toulousain », convient tout de même le délégué général de France Urbaine, qui enchaîne : « pourquoi créer des pavillons, des écoles et des routes supplémentaires en troisième couronne, lorsqu’il existe à équidistance du principal bassin d’emploi des maisons disponibles dans des bourgs ne demandant que ça, proposant un cadre de vie bien plus agréable ? »

Lire aussi : Les coopérations territoriales, une soupape utile pour les métropoles ? 

Au-delà de cet exemple, Olivier Landel encourage les élus métropolitains à identifier de potentiels vases communicants et renforcer l'« alliance des territoires ». Quitte, pour cela, à aborder des sujets épineux, autrement plus conflictuels que les sempiternels partenariats autour de l’alimentation, à l’instar des politiques de développement économique, du logement ou encore des mobilités… Les métropoles n’auraient-elles pas intérêt, par exemple, à financer des parkings-relais dans les villes moyennes alentours afin de favoriser le report modal des actifs vers les transports collectifs, voire carrément des tiers-lieux pour inciter au télé-travail et réduire ainsi les liaisons pendulaires ? « Délocaliser » une partie de ce qui fait leurs richesses – emplois, populations – ne leur permettraient-elles pas de s’apaiser et baisser en température, tout en soutenant la revitalisation des villes en déclin aux alentours ? Rattrapés par les effets pervers liés à la sur-attractivité de Bordeaux ou Lyon, Alain Anziani et Béatrice Vessiller affichent leurs souhaits de sortir du logiciel de compétition entre territoires.  Sans être encore passés, toutefois, aux travaux pratiques.

Renforcer le mécanisme des coopérations territoriales

Déterminé à « déconcentrer la métropole et mieux répartir les zones d'emplois et de logements dans une sorte de Grand Toulouse », Francis Idrac promet d'interpeller à son tour ses homologues de la ville rose. Sans être « encore bien sûr que les élus de Toulouse Métropole soient prêts à partager leurs richesses avec les villes petites et moyennes de l’Ariège, du Gers ou des Hautes-Pyrénées. Qu’ils le veuillent ou non, ça finira bien par s’imposer à eux » estime l’édile de L’Isle-Jourdain.

Quelques doigts pointent un problème de méthode, le mécanisme des coopérations territoriales en lui-même, plus que les élus – qui ne serait pas tous des égoïstes invétérés. « Vu les dynamiques concurrentielles qui existent entre collectivités, ce n’est pas vraiment une surprise de voir les partenariats éviter d’aborder la nécessité de mieux répartir les zones d’emplois localement » analyse Thibaut Devillers, autre participant à l’étude de Sciences Po. « Discuter du développement économique ou des mobilités nécessiterait peut-être l’investissement des régions, capables de chapeauter différents partenariats et jouer finalement un rôle d’ensemblier sur le terrain » enchaîne-t-il. Les exécutifs régionaux ne sont-ils pas, après tout, chefs-de-files en matière d’aménagement du territoire ?

D’autres verraient plutôt les départements voire les services de l’Etat enfiler le costume d’arbitre. Charge à ces nouveaux garants, s’ils acceptent une telle responsabilité, d’établir une balance des comptes et prouver que la coopération rend les différents partenaires plus forts que la discorde. Le risque est grand, sinon, que les élus s’en tiennent aux « bons sentiments » actuels, que chacun des camps maintienne les logiques concurrentielles et prédatrices actuellement à l’œuvre…

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