Entre individualisme et mondialisation : comment faire encore société ?

Chute du mur de Berlin, 1989 ©Getty - Patrick PIEL / Contributeur
Chute du mur de Berlin, 1989 ©Getty - Patrick PIEL / Contributeur
Chute du mur de Berlin, 1989 ©Getty - Patrick PIEL / Contributeur
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Le diplomate Jean-Marie Guéhenno, spécialiste des questions de défense et des relations internationales, propose dans "Le premier XXI° Siècle" une vaste analyse des maux dont souffrent nos démocraties ... et ébauche des solutions pour restaurer un lien social en voie de disparition.

Avec
  • Jean-Marie Guéhenno Diplomate, ancien secrétaire général adjoint des Nations unies et professeur à l’université Columbia (New York)

Après la chute de l’URSS, l’Occident confiant a cru en la victoire définitive de la Démocratie. 

En réalité de nombreux dangers mettent en péril une vie politique qui périclite en ce début de siècle : perte du lien social aux profit de communautés closes, disparition du débat public phagocyté par les espaces d'expression virtuels, réfection des gouvernements sur le modèles des entreprises … autant de menaces que Jean-Marie Guéhenno analyse, pour permettre ensuite d’y porter remède.
 

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( Le premier XXI° siècle, Flammarion, septembre 2021 )

Une société est beaucoup plus fragile qu'on ne l'imagine, et quand elle se casse, il est très difficile de la réparer. (Jean-Marie Guéhenno)

Un des premiers maux dont souffrent ces démocraties fragiles, c'est la mondialisation qui réduit le pouvoir des états nations, entraînant dès lors une perte d'investissement des citoyens en politique : 

Je me suis rendu compte que pour qu'une démocratie fonctionne, il faut que les citoyens soient convaincus que leur gouvernement pèse sur la politique, et qu'au fond avec la fin de la guerre froide ce qu'on voyait, c'est un monde où tout allait être connecté, et où donc il serait très difficile aux pays tous seuls de contrôler quoi que ce soit.  Et un doute fondamental s'est inséré dans la capacité des Etats , des gouvernements, à gérer les destins collectifs. (Jean-Marie Guéhenno)

La crise des démocraties s'explique aussi par la crise des sociétés, qui en sont le terreau premier. Avec l'apparition d'internet, le lien social s'effrite à mesure que des communautés virtuelles, fondées sur les ressemblances exclusives, remplacent les communautés géographiques qui forçaient à la diversité : 

A côté des communautés territoriales, on a maintenant les communautés virtuelles. [Et après la chute du Mur, ]ce n'est pas l'universalisme d'un monde rassemblé autour de quelques principes qui émergeait, c'était beaucoup plus la fragmentation des tribus que permet de former l'internet. (Jean-Marie Guéhenno)

Rassemblés trop efficacement par les algorithmes en fonction de leur lubies ou de leurs phobies, des courants de pensée peuvent ainsi grossir sur le net, tels des "rivières souterraines", avant de déboucher à l'air libre du monde réel, étonnamment puissants. 

D'autre part, Jean-Marie Guéhenno s'inquiète de ce que la gestion des données permette de cerner le "profil" des individus. Le diplomate cite notamment le cas extrême de la Chine, avec son "système des crédits sociaux" qui permet de cibler au mieux chaque citoyen : 

ça peut nous sembler très loin de notre monde, mais regardez la manière dont les grandes entreprises comme Facebook ou autres nous circonscrivent, via des profils  (que nous construisons nous-mêmes ) avec les likes que nous posons avec joie, en pensant être les membres d'une sorte de parlement mondial ... En réalité chacun de ces likes est une manière de construire les barreaux de notre prison, parce qu'ils définissent de plus en plus précisément notre profil,  et ce faisant ils permettent aux grandes sociétés de l'internet de mieux construire autour de nous une bulle - qui a pour l'instant des fins commerciales et non politiques - mais qui d'une certaine manière nous emprisonne tout autant. C'est pour moi une des grandes inquiétudes du monde de demain. (Jean-Marie Guéhenno)

La fragmentation en communautés closes réduit l'espace de débat, en même temps que le système des réseaux sociaux favorise une information choc plutôt qu'une pensée modérée : 

Les opinions clivantes, les opinions excessives, radicales, sont beaucoup plus attirantes que les opinions modérées.  Si vous dites "d'une part d'autre part", vous déclenchez beaucoup moins de clics que si vous posez une affirmation péremptoire ... (Jean-Marie Guéhenno)

S'ajoute à cela une crise de confiance dans les institutions : au lieu de coopérer, les différentes sources de pouvoir s'affrontent : légitimité du gouvernement (institutions politique) légitimité du savoir (institutions scientifiques) et légitimité du nombre (voix du peuple) sont dans une relation de défiance et non plus de confiance réciproque. 

Cette tendance est renforcée par l'écart qui s'accroît entre des élites à grande visibilité d'une part et d'autre part des citoyens moyens qui se sentent relégués dans l'ombre : 

Tant que le système actuel fera la coupure entre les visibles et les invisibles, avec la glorification des élites, il est d'une certaine manière assez logique et assez naturel que les invisibles se rebiffent, se révoltent. [...] Je pense qu'à la racine des revendications il y a cette idée qu'une société humaine est une société où chacun voit sa dignité reconnue. (Jean-Marie Guéhenno)

Jean-Marie Guéhenno termine avec l'idée qu'il faut réinsuffler un peu d'utopie dans la politique, celle d'un monde rêvé où le particulier peut s'accorder à l'universel. 

La Grande Table culture
27 min

Extraits sonores

  • Philippe Rochot Antenne, 11 novembre 1989, Chute du mur de Berlin
  • Gérald Bronner sur La Grande Table, 15 janvier 2021
  • Francis Fukuyama sur Les vendredis de la philosophie 24 octobre 2008

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