Main d’œuvre, matières premières, énergies : un monde en manque.

Mine à ciel ouvert en Mongolie (30 novembre 2015) ©AFP - BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR
Mine à ciel ouvert en Mongolie (30 novembre 2015) ©AFP - BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR
Mine à ciel ouvert en Mongolie (30 novembre 2015) ©AFP - BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR
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Manque de main d’œuvre, pénurie de matières premières, tension de l’offre en pétrole… L’économie mondiale peut-elle supporter ces manques ?

Avec

Augmentation des prix de l'électricité en France, pénurie de mains d’œuvre en Europe et aux États-Unis, tension de l’offre mondiale en pétrole… Après des années à courir après la croissance exponentielle, l’économie globale a-t-elle atteint ses limites ?

Outre les restreintes naturelles en matières premières et ressources en énergie comme les hydrocarbures, quelles sont les tendances économiques qui amènent à cette situation de manque ? Faudra-t-il bouleverser les logiques économiques actuelles pour pallier ces pénuries ?

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Nous en parlons ce matin avec nos deux invités :

Sylvie Matelly : économiste et directrice adjointe de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Auteure de Géopolitique de l’économie (Eyrolles, 2021)

Matthieu Auzanneau : directeur du Shift Project (groupe de réflexion sur la transition énergétique). Auteur de “Pétrole - Le déclin est proche” (édition du Seuil - collection Reporterre, 2021) avec Hortense Chauvin, journaliste à Reporterre.

Un marché à flux tendu

Sylvie Matelly rappelle que la reprise s’est produite dans un contexte où les entreprises n’ont pas pu produire pendant une certaine période, en Chine en particulier, il faut alors rattraper le retard et constituer un stock.

Pour certaines productions, on est sur des flux tendus. Cet accroissement de l’écart entre offre et demande impose d’accélérer la production. En bas de chaine vous manquez forcément de matière première et des composants les plus basiques. Ça ne peut pas augmenter instantanément il faut du temps pour acheminer. Le fret international a du mal à tenir la tendance. Tous ces retards et difficultés d’approvisionnement s‘accumulent et empêchent les entreprises de répondre à la demande. Elles sont obligées de mettre des personnes au chômage. Sylvie Matelly

C’est paradoxal car dans le même temps il y a une pénurie de mains d’œuvre. Avec les confinements les gens sont partis faire autre chose, ont monté leur entreprise. On est dans une situation de reprise où les marchés ont changé, l’offre et la demande ont changé. Sylvie Matelly

Les limites des énergies renouvelables

Pour pallier la crise des énergies non renouvelables, il faut des énergies renouvelables mais elles requièrent des produits et composants qui sont aujourd’hui en état de pénurie.

On s’apprête à déshabiller Pierre pour habiller Paul : sortir de la dépendance au pétrole pour aller vers une dépendance pour d’autres matières premières. L’Agence Internationale de l’Energie dit que si on électrifie massivement les usages de la mobilité et qu’on développe les énergies renouvelables ont va aller vers des besoins en minerais qui vont décupler. Pour le cobalt et le nickel, l’AIE [Agence internationale de l'énergie] parle d’une multiplication par 20 des demandes mondiales. Demandez au producteur de multiplier par 20 leur production de nickel en 20 ans, ils vous souriront. On s’approche des limites physiques de la croissance. Matthieu Auzanneau

Indépendance technologique mais dépendance aux matières premières

Avec les nouvelles technologies, on se pensait en parti émancipé des ressources du sous-sol. Sylvie Matelly rappelle que plus les économies se sont développées plus elles sont monté en gamme du point de vue technologique et plus elles ont eu besoin de matières premières importantes. Cela a démultiplié les enjeux géopolitiques et de dépendance vis-à-vis de pays comme la Chine et les pays avec des ressources en lithium et cobalt.

Quand la réponse à la transition énergétique est l’innovation technologique, il faut intégrerle besoin de matière première dans l’équation. La nécessité d’extraire ces matières premières là où elles sont amène à devoir nouer des relations avec les pays détenteurs de ces ressources. L’extraction de matière première peut être très polluante et assez peu acceptée par nos pays développés. On l’a vu en Europe avec le refus de l’exploitation des gaz de schiste mais aussi en Guyane où la réouverture de l’exploitation d’une mine est mal perçu et mal accepté par les populations. Sylvie Matelly

La technologie ne nous sauvera pas, pas toute seule. Il est intéressant de voir la diversification des besoins en minerais depuis une trentaine d’années. Si on revient sur des matières premières simples comme le cuivre, il nous faut beaucoup de cuivre. L’AIE table sur une multiplication par trois de la production mondiale de cuivre. Matthieu Auzanneau

Pénurie de main d'œuvre : une question de moyens et de revalorisation

Je pense que le défi de la pénurie en main d’œuvre est moindre que dans le cadre des matières premières : la main d'oeuvre on peut la former, la faire venir de l’étranger. Sur les matières premières on est dans une sorte de cercle vicieux. Le cuivre et l’acier, qui sont des composants présents dans les équipements, sont recyclables mais cela coute cher. Le prix des matières premières n’est pas suffisamment élevé pour inciter au recyclage. Sylvie Matelly

Je ne suis pas sur que le problème de pénurie de main d‘œuvre dans les secteurs clés soit moins délicat que la raréfaction des matières premières. Dans l’agriculture et le bâtiment on manque de gens qui savent faire et qui acceptent de travailler. La rénovation dans la bâtiment ou l’agriculture sont des activités mal considérées car mal payées pour des boulots difficiles. Un éleveur fait un boulot extrêmement dur et très mal payé. Ce n’est pas tenable. Pour le bâtiment on fait venir de la main d’œuvre au black de l’autre bout de l’Europe alors qu’on pourrait employer des gens avec des compétences. Matthieu Auzanneau

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