« Le Plan de relance ne consacre que 0,8 % à la grande pauvreté »

Stéphane Menu

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« Le Plan de relance ne consacre que 0,8 % à la grande pauvreté »

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Précarité énergétique ou alimentaire, la crise sanitaire a fait des dégâts. Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre, explique les multiples difficultés auxquelles sont confrontés les plus démuni.e.s. Et que la réponse publique est souvent loin d’être à la hauteur.

Chaque année, depuis désormais 26 ans (la prochaine édition sera rendue publique le 2 février 2021), la Fondation Abbé Pierre dresse un état des lieux du mal-logement en France. Dans la version 2019, publiée en janvier 2020, la Fondation rappelle que la précarité énergétique est au croisement des enjeux sociaux et écologiques et touche 12 millions de personnes en France qui ont froid (ou chaud) chez elles ou peinent à payer leurs factures de chauffage.

En 2018, on est resté en deçà du seuil des 75 000 logements rénovés par an pour le quinquennat actuel

« Le gouvernement souhaite en faire une priorité mais peine à passer à l’échelle adéquate, malgré une revalorisation de 50 euros en moyenne du chèque énergie en 2019, « faute de moyens dédiés, d’accompagnement et de volonté » qui permettraient de sortir les ménages de l’urgence des factures insupportable et d’engager la rénovation performante des sept millions de passoires énergétiques existantes », peut-on lire dans le rapport.

Les incohérences de la politique de rénovation énergétique

La Fondation pointe les incohérences de la politique de rénovation : en 2015, la loi de transition énergétique a fixé un objectif de 500 000 logements rénovés par an (la moitié occupée par des ménages modestes, dont 130 000 dans le parc privé et 120 000 dans le parc social).

En 1996, 10 % des personnes sondées par la fondation assuraient avoir froid chez elles

Or, les résultats annuels du programme Habiter mieux de l’Anah, globalement en hausse en 2018 avec 62 345 logements rénovés, restent en deçà du seuil des 75 000 logements rénovés par an pour le quinquennat actuel. Un objectif qui a été ramené à 60 000 logements par an dans la loi de finances pour 2020, mais qui ne concernera plus que le programme Habiter mieux sérénité.

Lire aussi : Approches de la pauvreté

Les gens ont de plus en plus froid chez eux

« Depuis que nous examinons l’état des logements en France, on peut clairement dire que ces derniers se sont améliorés au fil des années. Cependant, le coût du logement a crû de 30 à 40 % selon les régions dans le même laps de temps, ce qui induit une plus grande précarité des ménages, notamment pour satisfaire leurs besoins énergétiques », confie Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre. En 1996, 10 % des personnes sondées assuraient avoir froid chez elles ; elles étaient 19 % en 2013.

Il faudrait 2 à 3 fois plus que les 3 à 4 milliards d’euros débloqués chaque année, pour rénover en priorité les passoires thermiques

« C’est une augmentation significative. En 2008, lors de la crise financière, certains ménages ont tout simplement fait le choix de ne pas se chauffer, pour sauver ce qui pouvait l’être de leur pouvoir d’achat. On peut imaginer qu’avec la crise du Covid-19, des comportements similaires se produiront », affirme le directeur des études.

Prioriser les logements des plus fragiles

Le Grenelle de l’environnement a donné naissance à une politique de défiscalisation massive pour lancer des travaux de rénovation. Manuel Domergue redoute « qu’avec le plan de relance, les plus fragiles ne soient plus la cible prioritaire, ce qui est déjà le cas avec des aides dont les foyers les plus aisés bénéficient ».

Dans les files d’attente des distributions alimentaires apparaissent des profils que les associations n’avaient pas l’habitude de croiser

« 3 à 4 milliards d’euros sont débloqués chaque année par la puissance publique. Il en faudrait 2 à 3 de plus pour atteindre l’objectif de rénover en priorité les passoires thermiques des propriétaires les plus démunis », assure-t-il.

Lire aussi : État du monde : contre l'ignorance globale

Extension du domaine de la pauvreté

Au-delà de ce constat sur la précarité énergétique, Manuel Domergue anticipe les effets de la crise sanitaire sur l’appauvrissement de notre société. « Plusieurs voyants inquiétants s’allument. La crise économique et sociale est là. Tous les spécialistes annoncent 800 000 chômeurs en plus en 2021, avec des réels impacts notamment chez les plus jeunes. Perdre son boulot, c’est voir le risque de ne plus payer ses loyers augmenter, c’est faire basculer dans la pauvreté ceux qui étaient déjà sur le fil du rasoir.

« Ces aides ponctuelles ne sont pas à la hauteur de ce que vivent les plus précaires »

L’allongement de la file des personnes que l’on retrouve aux distributions alimentaires en apporte la preuve, avec la présence de profils (étudiants, intérimaires, travailleurs précaires, etc.) que les associations n’avaient pas l’habitude de croiser ». Le gouvernement a pu faire face, en augmentant « de façon significative les places d’hébergement. Dans les départements sous tension, en faisant le 115, on peut aujourd’hui trouver une place », constate-t-il.

Lire aussi : Crise sanitaire : alerte rouge sur le RSA

Ouvrir le RSA aux moins de 25 ans

Mais la Fondation Abbé Pierre a fait ses calculs. « Le Plan de relance ne consacre que 0,8 % du financement aux plus vulnérables. L’allocation de rentrée scolaire a été augmentée de 100 euros, le RSA a bénéficié d’un coup de pouce de 150 euros, plus 100 euros avec un enfant à charge lors du premier confinement. Une aide qui a été renouvelée à l’automne. Mais ce sont des aides ponctuelles, qui ne sont pas à la hauteur de ce que vivent les plus précaires. Il faut clairement augmenter le RSA et l’ouvrir aux moins de 25 ans parce qu’aujourd’hui, quand on n’a plus rien, c’est zéro euro en poche pour certains d’entre nous », poursuit-il.

Un constat prolongé par les dix-neuf présidents de conseils départementaux qui souhaitent que le débat sur le revenu universel inconditionnel soit relancé. Dans une tribune publiée par Le Monde (5 décembre 2020), les présidents rappellent : « Il aura fallu deux ans et une crise sanitaire mondiale, avec aujourd’hui plus d’un million de Françaises et de Français venu s’ajouter aux 9,3 millions de personnes vivant déjà en dessous du seuil de pauvreté, pour que la majorité présidentielle, qui refusait tout débat, se décide enfin à ouvrir la réflexion que nous demandions sur un revenu universel inconditionnel ». Le 26 novembre dernier, « les députés ont adopté une résolution majeure demandant au gouvernement d’ouvrir sur la création d’un « filet de sécurité inconditionnel et universel »», précisent les signataires de la tribune.

12 % de la population ont eu recours à l’aide alimentaire

Le gouvernement a reconnu, en cette fin 2020, que 8 millions de personnes avaient eu recours à l’aide alimentaire, soit 12 % de la population. « Huit fois plus que dans les années 1980. Tout le monde semble l’ignorer ou, pire, s’y être accoutumé. Cette situation est une honte dans notre pays riche ! », s’indigne le Secours catholique dans son État de la pauvreté 2020. L’association souhaite promouvoir un revenu minimum garanti correspondant à 50 % du revenu médian, soit 893 euros. Ce qui impliquerait une réforme de notre système fiscal, qui toucherait les plus riches mais aussi les classes moyennes. Sujet politiquement inflammable, même si le creusement des inégalités, Covid-19 ou pas, doit faire nécessairement l’objet d’un examen, quel que soit le gouvernement en place.

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