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Économie

« Zéro artificialisation nette » : un objectif gouvernemental contredit par le projet de budget

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, en discussion au Sénat, n’a globalement pas d’ambition écologique. Il risque notamment de favoriser le bétonnage des terres, via des mesures allègent certaines taxes pesant sur les entreprises désirant construire. Le but : « Favoriser l’implantation ou l’extension d’activités sur le territoire. »

L’engagement date d’il y a deux ans. Le gouvernement annonçait alors, avec le plan biodiversité, l’objectif de « zéro artificialisation nette ». Comprenez : le béton ne devait plus gagner sur les terres agricoles ou naturelles. Emmanuel Macron avait répété l’engagement lors du salon de l’agriculture en 2019 : « Nous n’avons cessé de grignoter les terres agricoles pour ouvrir des zones commerciales, des zones industrielles et des zones de logistique. Il faut rompre avec cette pratique », déclarait-il. Cela s’est traduit notamment par des instructions du Premier ministre aux préfets, leur demandant vigilance sur les extensions de surfaces commerciales.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, actuellement en discussion au Sénat, reprend la rengaine. Il faut « diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030 », rappelle-t-il notamment. Pourtant, certaines mesures du budget de l’an prochain « risquent d’aboutir à des objectifs opposés à ceux annoncés par le gouvernement », alerte le spécialiste de la fiscalité écologique, professeur à Polytechnique, Guillaume Sainteny.

Les premières mesures concernent les entreprises. Il s’agit de les aider à se redresser — elles qui sont durement touchées par la crise du Covid-19 — et de restaurer leur « compétitivité », insiste le PLF. Pour cela, un moyen : « Baisser les impôts de production. » L’article 42 prévoit ainsi d’exonérer, pendant trois ans, les entreprises qui construisent ou s’agrandissent, de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Cette taxe est due par les entreprises sur leurs locaux ou terrains.

Plus de trois milliards d’euros offerts aux industriels, pour les aider à surmonter la crise

Cette dispense va permettre de « stimuler les investissements » et « favoriser l’implantation ou l’extension d’activités sur le territoire », explique le PLF. Mais « cela veut dire qu’on va diminuer le coût de l’artificialisation », conteste Guillaume Sainteny. « Alors que tous les rapports disent que quelqu’un qui construit ne paye pas assez cher les externalités négatives de l’artificialisation ! » Notons également que le produit de cette taxe va aux collectivités territoriales. Le gouvernement s’engage à compenser les pertes de recettes. Mais pour combien de temps ?

Par ailleurs, les bâtiments industriels bénéficient dans ce domaine d’un cadeau particulier : pour eux, la cotisation foncière des entreprises, ainsi qu’une autre taxe, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), sont divisées par deux. Le tout aboutit à plus de trois milliards d’euros offerts aux industriels, pour les aider à surmonter la crise et les encourager à relocaliser en France leurs usines.

Mais il y a un hic, signalent les Amis de la Terre France. Les entrepôts de e-commerce, grands gagnants de la crise sanitaire, sont considérés par l’administration fiscale comme des bâtiments industriels. Ils vont donc pouvoir bénéficier de ces allégements fiscaux « alors qu’ils ne produisent rien et sont l’inverse de l’industrie », relève Alma Dufour, chargée de campagne « surproduction et surconsommation » de l’association. « En important massivement des produits industriels à bas coût, ils créent même un environnement très défavorable à la relocalisation, par exemple dans les secteurs électronique et textile. »

Des entrepôts et un site de stockage de produits dangereux en construction sur une friche agricole dans le Vaucluse.

Ainsi, ces exonérations de cotisation foncière « vont favoriser les entreprises qui ont de grosses surfaces au sol, comme les entrepôts de logistique et les supermarchés », note Guillaume Sainteny. Les petits commerces, eux, bénéficieront certes de ce coup de pouce. Mais il restera aussi modeste que la taille de leurs boutiques. « Il est vrai que les entrepôts contribuent moins à l’artificialisation que les logements ou les transports. Mais si on veut arriver à l’objectif zéro artificialisation nette, il faut que tout le monde participe », précise le professeur.

Une consolation pour les pourfendeurs des profits des géants du e-commerce a tout de même été glissée dans le texte par les sénateurs. « Une taxe de 1 % sur les ventes des plateformes de e-commerce a été votée par la droite et la gauche du Sénat, contre l’avis du gouvernement », se félicite Quentin Parinello, en charge des questions de justice fiscale chez Oxfam. Reste à voir si elle survivra à la suite des épreuves parlementaires.

Une mesure du Grenelle de l’environnement ratiboisée

Cette invitation à s’étaler pour les entreprises est par ailleurs accompagnée de la suppression d’une taxe qui, elle, incitait à construire de façon économe. L’article 44 du PLF signe la fin d’une petite taxe appelée le « versement pour sous densité ». Elle est facultative. « Les maires peuvent l’utiliser pour instituer un seuil minimal de densité dans certains secteurs. Si on n’atteint pas ce seuil, le promoteur doit payer », explique Guillaume Sainteny. « C’était une réforme importante, obtenue lors du Grenelle de l’environnement. » Il énumère les avis qui demandaient au contraire une extension de cette taxe, voire qu’elle soit rendue obligatoire : celui du comité national de la biodiversité en 2019, du comité pour la fiscalité écologique dès 2013, du ministère de l’Écologie en 2017. « Il n’a pas été tenu compte de ces avis et études, l’étude d’impact de l’article indique même que cette suppression n’engendre aucune conséquence pour l’environnement ! » déplore M. Sainteny.

Il a été entendu par des sénateurs de plusieurs groupes : écologistes, socialistes et certains membres des Républicains ont déposé des amendements visant à conserver le versement pour sous densité.

Les entrepôts de e-commerce vont pouvoir bénéficier d’allégements fiscaux.

Des mesures contre l’artificialisation... au détriment de la biodiversité ?

Enfin, le projet de loi de finances comporte bien des mesures visant à lutter contre l’artificialisation, dans son article 43. Par exemple, il allège les taxes sur les places de parking situées dans les bâtiments, pour éviter que des mètres carrés de bitume supplémentaire s’étalent à l’extérieur. Il prévoit également d’affecter des fonds à la réhabilitation des friches et terrains artificialisés. Mais le choix de la provenance de ces fonds interroge. En effet, ils seront prélevés sur les recettes de la taxe d’aménagement des espaces naturels sensibles.

« C’est la principale taxe affectée à la protection de la nature et de la biodiversité en France », regrette M. Sainteny. Elle sert aux départements, par exemple pour gérer les réserves naturelles, aider le conservatoire du littoral, acheter des zones naturelles à préserver, etc. Or, les opérations de dépollution ou de réhabilitation de friches urbaines sont très coûteuses. L’ensemble des recettes de la taxe pourrait donc être rapidement consommé par ces opérations urbaines, et les espaces naturels sensibles se retrouver avec des ressources amoindries. « C’est plus visible pour les élus de dire qu’ils ont dépollué un terrain, que de créer une réserve. Le risque est qu’ils préfèrent utiliser ces fonds pour cela », poursuit le spécialiste de la fiscalité.

Autant d’arguments repris, en particulier, par les sénateurs écologistes. Reste à voir s’ils réussiront à faire entendre leur voix lors des débats ce week-end, lors duquel les articles en questions devraient être examinés.


UN PROJET DE LOI DE FINANCES SANS AMBITION ÉCOLOGIQUE

  • Grande annonce écologique du PLF, le malus sur les automobiles les plus lourdes, censé pénaliser les SUV — de lourdes voitures aux faux airs de 4x4 —, a bien été adopté. Il s’appliquerait à partir de 2022. Mais seulement sur les véhicules de plus de 1.800 kg, donc ne concernerait que 3 % des véhicules vendus, a calculé le Réseau Action Climat.
  • Les aides apportées par le plan de relance aux entreprises, sans conditions écologiques et sociales, continuent d’être vertement critiquées par les associations écolos.
  • La fin des subventions à la recherche de nouveaux gisements d’énergies fossiles a été votée, mais pour… 2025 pour le pétrole et 2035 pour le gaz. Les Amis de la Terre et Oxfam France ont dénoncé « un faux plan de sortie des subventions aux énergies fossiles ».
  • Le ministère de la Transition écologique subit une nouvelle baisse d’effectifs de 2 %. Les coupes seraient principalement dans les « fonctions support des administrations centrales » mais les syndicats relèvent des suppressions de poste aussi dans les Agences de l’eau et à l’OFB (Office français de la biodiversité). Des administrations telles que le Cerema (aide technique aux collectivités territoriales, notamment en terme d’environnement), continuent de subir des baisses d’effectifs. De même que Météo France, qui travaille pourtant aussi sur l’observation et l’adaptation au changement climatique.
  • Enfin, signalons que parmi les articles discutés ce week-end, l’un prévoie d’accorder un crédit d’impôt de 2.500 euros aux exploitations agricoles certifiées « Haute valeur environnementale ». Le tout pour une enveloppe totale de 76 millions d’euros. Or, les associations Agir pour l’environnement, France Nature Environnement ainsi que le syndicat la Confédération paysanne et le Synabio (qui rassemble les transformateurs de produits bios) critiquent fortement cette labellisation. Elle devait être une marche vers le bio lors de sa création en 2008, mais elle a abandonné cet objectif et permet l’utilisation d’OGM et de pesticides particulièrement dangereux pour la biodiversité, dénoncent ces organisations. Elles demandent le retrait de ce crédit d’impôt, et ont été relayés en cela par un amendement du sénateur écologiste Joël Labbé, qui sera lui aussi débattu ce week-end.
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