Relocalisations industrielles : après l'électrochoc, le paracétamol suffira-t-il ?

Le président Macron le 28 août lors de la visite à l'usine de Villeneuve-la-Garenne du groupe pharmaceutique Seqens, l'un des 31 premiers bénéficiaires du Fonds de relocalisation ©AFP - Christian Hartmann
Le président Macron le 28 août lors de la visite à l'usine de Villeneuve-la-Garenne du groupe pharmaceutique Seqens, l'un des 31 premiers bénéficiaires du Fonds de relocalisation ©AFP - Christian Hartmann
Le président Macron le 28 août lors de la visite à l'usine de Villeneuve-la-Garenne du groupe pharmaceutique Seqens, l'un des 31 premiers bénéficiaires du Fonds de relocalisation ©AFP - Christian Hartmann
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Du paracétamol français d’ici trois ans : c’est l’une des promesses phare des mesures de relocalisation prévues dans le plan de relance à 100 milliards d'euros. Vrai opportunité ou nouveau mirage ? La longue marche vers les usines du Made in France est loin d’être finie.

Un « électrochoc » pour l’industrie française titrait la presse en mars alors que l'industrie française était la deuixième la plus affectée en Europe et découvrait de manière cuisante sa dépendance aux importations étrangères, médicaments en tête (80 % produits à l'étranger).  

D’où un soutien étatique sans précédent : 1/3 des 100 milliards du plan de relance, pour endiguer une vague de délocalisations et pour relocaliser celles qui pouvaient l’être, circuits courts, marchés stratégiques ou d’avenir. 

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Les entreprises montrent un réel appétit : plus de 1600 projets pour les « Territoires d’industrie » (des aides à la reconversion de friches et à la numérisation), la version locale du plan ; et plus de 3600 demandes pour son volet national,  le Fonds de Relocalisation de 600 M € qui doit servir à créer de nouveaux secteurs stratégiques.

La pharmacie est la première bénéficiaire, mais les 31 premiers projets annoncés concernent aussi l’agroalimentaire innovant, compléments alimentaire ou nourriture à base d’insectes. L'engouement est tel que, Selon Bruno le Maire, « il sera probablement nécessaire de rapatrier une partie des crédits de 2021 sur 2020 tellement la demande […] est forte ».  

1 % du plan de relance pour les relocalisations 

L’objectif a été qualifié de « prioritaire » par Bruno Le Maire et Emmanuel Macron au début du confinement  : 43 des 70 mesures du plan de relance sont à destination de l’industrie ; mais attention aux trompe-l’œil, avertit notamment l’économiste Nadine Levratto.  

Selon elle « l’écart entre les annonces et la distribution effective est important » et le milliard prévu pour la relocalisation risque de manquer sa cible, voire d’être contre-productif : car d’une part, « ce ne sont pas les industries les plus prometteuses qui sont les plus avantagées », ni l’industrie manufacturières, ni le « marché d’avenir » de la transition écologique, mais l’électricité, l’extraction, la banque ; d’autre part la baisse des impôts de production fragilise les collectivités, alors que les investissements locaux sont un moteur de relocalisation.   

Même scepticisme de la part de la géographe Anaïs Voy-Gillis : certes, l’industrie génère 3 à 4 emplois pour 1 en usine ce dont « aucun autre secteur n’est capable », et la transition d’une « production de masse » vers une « personnalisation de masse » est un mouvement enclenché depuis quelques années ; mais les freins structurels perdurent et on ne reverra pas en France d’« usines avec 10 000 salariés », il n’y aura pas de Billancourt 4.0… 

Au-delà du plan de relance, saura-t-on contrer la désindustrialisation ?  

On part de loin car le paysage industriel s’est peu à peu dépeuplé : l’industrie ne compte plus que pour 14 % du PIB, contre 10 pts de plus en Allemagne et au Japon ; elle ne crée plus qu’1/5 des emplois.   

Il y a un facteur mondial favorable : l’augmentation des coûts de production en Asie entraîne déjà depuis 20 ans un mouvement de relocalisation : c’est le ralentissement de l’ « hypermondialisation » dont parle l’économiste El Mouhoub Mouhoud. 

Mais la dépendance industrielle aux importations reste forte (36 %) et les relocalisations n’y répondront que partiellement ; car ce n’est pas le coût du travail humain qui est le frein principal, les ouvriers de l’industrie sont mieux payés en Allemagne qu’en France, ce sont les usines elles-mêmes et leur gestion : les « 3 plaies » détaillées par le journaliste Julien Dupont-Calbo dans Les Echos : faible rotation du capital (retour sur investissement lent), faible robotisation et faible impact sur l’emploi local en raison de leur internationalisation... 

Choix industriels, des politiques ou des consommateurs : comment réintégrer les chaînes de valeur mondiales ?   

Depuis des années, les gouvernements identifient des secteurs privilégiés de relocalisation, ils sont 5 dans la dernière version : de la mécanique de pointe aux matières première « essentielles » ; mais un plan étatique n’est pas une étude de marché et le débat porte de plus en plus sur la demande : le cabinet PwC identifie 113 produits potentiellement relocalisables, pour lesquels la demande locale se fait forte, 115 Md € de produits aujourd’hui importés.

La période donne lieu à une profusion d’avis et de conseils : dans Les Echos, le PDG de Michelin pose ses 5 conditions, dans Marianne le Think Tank Conférence Gambetta professe ses Dix recommandations, soulignant chacun l’importance des régions, d’une coordination européenne et d’une formation de qualité.  

Cependant les entreprises aussi doivent changer, écrit dans Les Echos toujours, le Dr R&D de Huawei France Merouane Debbah : ce sont elles qui doivent s’ouvrir aux académiciens et chercheurs, en leur permettant de baigner dans le double milieu et de faire de la recherche fondamentale. Indispensable « relocalisation scientifique », sous peine de revivre l’épisode du prix Nobel du « Crisper Casp » attribuée à la française Emmanuelle Charpentier, mais pas à la France, qui se prive d’un brevet industriel et d’un marché d’avenir majeur… D'un électrochoc à l'autre ?

XM

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