Guy Baudelle, géographe : « Le Covid va renforcer l’envie des gens de quitter les métropoles »

Philippe Créhange

Par Philippe Créhange

Nées dans les années 1980 dans certaines villes, les « politiques temporelles » visent à peser sur les rythmes des habitants afin d’éviter, entre autres, la congestion dans les transports. Le géographe rennais Guy Baudelle explique en quoi le temps peut avoir une incidence sur l’urbanisme et vice-versa. Et montre comment la crise sanitaire rebat les cartes en termes d’aménagement du territoire.

« Aujourd’hui, on revient à des formules de villes compactes, où l’on rapproche les fonctions, avec de la mixité sociale », décrypte Guy Baudelle, géographe, enseignant à l’Université Rennes 2.
« Aujourd’hui, on revient à des formules de villes compactes, où l’on rapproche les fonctions, avec de la mixité sociale », décrypte Guy Baudelle, géographe, enseignant à l’Université Rennes 2. (Photo Philippe Créhange)
Pour une ville, qu’entend-on par « politique temporelle », mouvement né dans les années 1980 en Italie ?

La concentration des rythmes aux heures de pointe a été observée par Jean-Paul Lacaze, président du Conseil général des Ponts et Chaussées. En raison de la désindustrialisation, l’économie est devenue plus tertiaire, avec des gens qui vivent à la même heure. Ils commencent tous leur travail à 9 h alors qu’avant, on avait beaucoup plus d’ouvriers qui démarraient à 8 h. Résultat, la congestion est aujourd’hui beaucoup plus forte, même à population égale, car les rythmes se sont homogénéisés. D’où cette idée de les dissocier.

La réponse à la congestion était jusqu’alors d’augmenter les capacités de transport. Pourquoi est-ce une mauvaise idée ?

Parce qu’agir sur le rythme des gens, c’est plus difficile que d’agir sur les infrastructures. On a créé des rocades, des transports en commun mais ce n’est pas une bonne solution car plus vous agrandissez les infrastructures, plus les gens l’empruntent. C’est une fuite en avant. On peut citer cet exemple au Texas de la construction d’une route à seize voies qui a coûté plusieurs milliards de dollars ! Elle a été congestionnée aussi vite. Cela s’est vu aussi pour le métro de Rennes. Le trafic a explosé dès le début.

« Aux Pays-Bas, s’ils ont développé autant le vélo, c’est qu’ils ont aussi réfléchi à l’urbanisme commercial ».
Raison pour laquelle Rennes s’est dotée, dès 2002, d’un « bureau des temps ».

Oui, pour mieux caler les rythmes des services aux besoins des populations. Cela s’est par exemple traduit par des négociations avec Rennes 2 pour démarrer les cours plus tard car les personnels de l’hôpital, à côté, commençaient à la même heure et le métro était bondé. Ce n’était pas idéal pour l’université car certains cours finissent parfois après 20 h, mais ça a marché. Ça a permis des économies considérables. La collectivité n’a pas eu à acheter de rames supplémentaires.

En quoi une politique des temps a une incidence sur l’urbanisme ?

L’urbanisme est un tout. Aux Pays-Bas, s’ils ont développé autant le vélo, c’est qu’ils ont aussi réfléchi à l’urbanisme commercial. Les hypermarchés de périphérie, comme en France, n’existent pas. Il n’y a que des supermarchés. À La Haye, ils ont aussi relocalisé tous les ministères autour de la gare, ce qui implique que les fonctionnaires viennent travailler en train. Il y a aussi la notion de ville de courte distance, ou de « citta slow » - ville lente, qui préconise de rapprocher l’ensemble des fonctions qu’on avait éclatées avec l’urbanisme fonctionnaliste moderne de type Le Corbusier.

« On peut développer un habitat dense sans qu’il soit vertical ».
Ce modèle est-il aujourd’hui dépassé ?

Le Corbusier était le théoricien, avec la Charte d’Athènes, de la séparation des fonctions. C’est une théorie hygiéniste qui nous ramène au Covid - la promiscuité fait que les épidémies se propagent - préconisant de séparer industries, jardins, habitat, ZUP, zones commerciales… C’est un modèle de ville qui dépend de la voiture. Aujourd’hui, on revient à des formules de villes compactes, où l’on rapproche les fonctions, avec de la mixité sociale.

Mais cette densification est pourtant rejetée par une partie de la population.

Les tours renvoient à l’urbanisme fonctionnaliste et sont associées, en France, à l’habitat social. Mais comme dans d’autres pays, on peut développer un habitat dense sans qu’il soit vertical, afin de conserver un habitat individuel.

En quoi le Covid peut-il peser sur notre rapport au travail ?
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Avec des collègues, nous menons des travaux de recherche dans plusieurs pays sur les espaces de coworking à la campagne. On pense que le Covid va renforcer l’envie des gens de quitter les métropoles. Si ça confirme, ça les soulagera et viendra redynamiser les villes moyennes et les bourgs.

Âgé de 59 ans et originaire de Lille (59), Guy Baudelle est géographe de formation. Il enseigne l’aménagement de l’espace et l’urbanisme à l’Université Rennes 2. Sa première thèse fut consacrée à la ville nouvelle de Villeneuve-d’Ascq. Il est installé en Bretagne depuis 1985.
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