Le défi d'une autre logistique urbaine devient urgent à relever

IDÉE. Pour être un véritable levier de la transition écologique et sociale dans la fabrique de la ville, la logistique urbaine va avoir besoin de la coopération de tous les acteurs. Par Laetitia Dablanc, Rémi Féredj et Jonathan Sebbane de la Chaire Logistics City(*).
(Crédits : iStock)

Ces dernières semaines, nos vies ont été affectées de bien des manières. De notre intimité à notre vie sociale, le bouleversement est considérable. Difficile de dire encore avec précision ce qui s'installera durablement et ce qui reprendra son cours dans la période ouverte par le déconfinement progressif depuis le 11 mai. Des interrogations qui valent notamment pour nos modes de consommation.

Au moment où le COVID a frappé et où le choix a été fait d'exiger le confinement pour le plus grand nombre, la logistique des marchandises en ville connaissait une croissance fulgurante, portée par l'explosion du e-commerce et le développement de la livraison à domicile : le chiffre d'affaires généré par les sites de commerces en ligne progressait en effet de plus de 10% chaque année et ce sont près de 90% des Français qui achetaient sur internet. Cette forme de consommation est à raison associée aux grandes plateformes mais la réalité entrepreneuriale et humaine du e-commerce est en réalité plus complexe - parmi les TPE, plus d'une entreprise sur dix réalise des ventes en ligne. Au-delà, elle a entraîné une mobilité accrue des biens dans les grandes villes qui ne s'y sont ni pleinement préparées, ni pleinement adaptées.

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 Il faut croiser les tendances lourdes

Qu'en sera-t-il maintenant ? Pas seulement pour les professionnels de la vente en ligne mais également pour les commerçants, les artisans et ceux qui les accompagnent, c'est à dire l'ensemble de la chaîne logistique ? A cet effet, il faut croiser les tendances lourdes qui étaient déjà à l'œuvre et ce que nous avons pu constater au cours de ces neuf semaines de crise sanitaire ainsi que des informations venues de l'étranger. Les tendances de report sur le commerce en ligne à New York, Londres, Séoul ou Pékin semblent massives, avec une accélération très importante, une diffusion à l'ensemble des classes d'âge et des catégories socio-professionnelles et une pérennisation (pour celles des villes qui ont déjà quelques semaines d'expérience du post-confinement). Confinés et très souvent inquiets même de faire nos courses, l'achat numérique est devenu pour beaucoup d'entre nous la solution la plus acceptable de consommer. Il a permis - nous le mesurerons bientôt - à certaines entreprises d'éviter la cessation totale d'activité et à quelques autres d'écouler des produits dans des volumes inédits.

Ce qui s'est joué et se joue encore aujourd'hui est considérable. Dès la semaine du 2 au 8 mars, avant même le confinement, le cabinet Nielsen avait déjà pu constater que les drives avaient connu les plus hautes ventes de leur histoire avec 164 millions d'euros de chiffre d'affaire. Aujourd'hui et dans les zones les plus denses, il faut s'y reprendre à plusieurs fois pour « valider son panier » et pour obtenir un créneau de livraison. Cette accélération des ventes s'est avérée quatre fois plus forte que dans le réseau de distribution physique, qui a pourtant lui-même connu un afflux de consommateurs désireux de stocker des produits essentiels. Monoprix a constaté, sur la première semaine de confinement, une progression du nombre d'ouverture de comptes, sur son site de près de 1000% par rapport à la moyenne de l'année passée, afin de se faire livrer ou de bénéficier du service de click & collect.

Mais tous les secteurs du e-commerce n'ont pas bénéficié de l'explosion des ventes que laisse imaginer l'éclatante cote boursière d'Amazon. Les sites liés au tourisme sont en chute libre. Ceux liés à la mode, à l'équipement des entreprises ou encore aux petites annonces comme Le Bon Coin ont également beaucoup baissé surtout en début de période, avant de reprendre des couleurs depuis. La situation est donc contrastée et en France, la FEVAD indiquait fin mars que 40% des e-commerçants n'étaient pas en situation de tenir plus de 3 mois.

Le e-commerce, un amortisseur le temps du confinement

Le e-commerce a sans aucun doute été un amortisseur, allégeant les tensions sur l'approvisionnement et sur la distribution dans nos villes et nos bassins de vie. Pour de nombreux commerçants et artisans, il a également servi de modèle d'efficacité et de contre-modèle de proximité, alors que la période du confinement et les mois qui viennent s'annoncent très difficiles pour le secteur. Nombre de commerces et de producteurs ont ainsi fait le choix de la vente en ligne, seule issue pour la pérennité de leur activité et l'accès direct au consommateur final que nous sommes. La force des choses ou la résultante d'habitudes déjà ancrées dans les pratiques du commerce en ligne ? Sans doute les deux à la fois à en apprécier le succès de certaines opérations.

Certains producteurs ont couplé cette approche à l'organisation d'un système de distribution local, devant le recul des commandes des grandes surfaces ou grandes chaînes de distribution. On pense également aux acteurs, y compris institutionnels, qui ont su prendre le parti d'organiser dans l'urgence de nouveaux circuits de distribution sur le dernier kilomètre : le marché de Rungis qui a mis en place un système de livraisons aux particuliers, la Région Occitanie qui lance une campagne pour inciter ses habitants à acheter et se faire livrer local, la commune de Caen qui met en ligne un site de vente de produits locaux ou encore la Ville de Paris qui facilite la livraison à domicile pour les commerces de proximité.

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L'adoption de pratiques pleinement vertueuses

La livraison à domicile, qui se développait comme une traînée de poudre avant la crise, s'est ainsi imposée durant le confinement comme une pratique réflexe et efficace, non seulement pour les consommateurs mais également pour les professionnels et les commerçants. Toutes les catégories démographiques sont désormais acquises à l'achat en ligne, y compris la génération des « boomers ». Gageons qu'un retour en arrière est désormais peu probable ; dès lors, l'intégration de cette nouvelle donne au développement urbain est indispensable pour que la livraison ne se fasse pas au détriment des commerces de quartier ou d'une urbanité de qualité de nos centre-villes ; le défi d'une autre logistique urbaine, qui était déjà considérable avant le COVID, devient urgent à relever pour les nouvelles majorités qui s'installent ou qui s'installeront à la tête des villes, dans un contexte post-crise.

Certes, une nouvelle logistique avait commencé à émerger : alors que la ville dense impose à la distribution urbaine de fonctionner en système global et intégré, la métropolisation avait conduit nombre d'acteurs à structurer un réseau de surfaces en ville ou proche des villes, pour éviter la circulation de camions volumineux et polluants et rendre ainsi plus efficace le parcours des derniers kilomètres qui sépare le colis de son destinataire. Une dynamique qui n'est pas sans poser de questions lourdes, notamment sur l'adoption de pratiques pleinement vertueuses sur le plan environnemental et social par les professionnels du transport, de la logistique et de la distribution.

Répondre à la révolution accélérée de la consommation

Pour être un véritable levier de la transition écologique et sociale dans la fabrique de la ville, la logistique urbaine va avoir besoin de la coopération de tous les acteurs : soutien massif à l'acquisition de véhicules électriques de livraison - que l'Etat et les villes doivent aider de façon forte et différenciée - et à l'installation de bornes de recharge rapide sur la voirie, mise en place accélérée des zones à faibles émissions, « urbanisme tactique » pour favoriser les solutions bas carbone de logistique urbaine, notamment sur les nouvelles infrastructures cyclables qui se multiplient en ville, programmes de formation initiale et continue auprès des livreurs pour qu'ils puissent progresser dans un métier qui doit devenir plus protecteur et plus attractif.

Cette logistique urbaine exigeante, qui met au cœur de ses préoccupations les enjeux économiques autant que les impératifs écologiques de la lutte contre le dérèglement climatique et la pollution de l'air, qui inscrit le souci de la qualité urbaine et des mobilités douces dans son ADN, qui assume de ne pas soumettre la ville à la vague déferlante du e-commerce est la mieux armée pour répondre à la révolution accélérée des pratiques de consommation qui vient, au premier rang desquels la généralisation rapide de la livraison à domicile.

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(*) Laetitia Dablanc, (directrice de recherche à l'université Gustave Eiffel), Jonathan Sebbane (directeur général de Sogaris) et Rémi Feredj directeur général de Post Immo) représentent la chaire de recherche Logistics City. Née en 2019 de la volonté de l'Université Gustave Eiffel et de Sogaris, rejoints en 2020 par Poste Immo, elle entend inscrire dans le champs des études urbaines la question des lieux logistiques et l'analyse des impacts sur les territoires des mobilités du e-commerce et des transformations numériques.

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Commentaires 2
à écrit le 10/06/2020 à 11:42
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Le ralentissement imposé des flux marchands permet déjà de prendre un peu de recul pour mieux homogénéiser le phénomène, jusqu'à présent la mode étant toujours plus toujours plus vite et donc toujours plus n'importe quoi, parce qu'il n'y a pas d'alte...

à écrit le 10/06/2020 à 11:40
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Il n'y a qu'à demander à Anne Hidalgo. Elle a plein d'idées toutes plus géniales les unes que les autres. Et au forceps, en plus !

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