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L'opération séduction d'Amazon pour conquérir les centres-villes

Après avoir investi les périphéries des villes, avec des entrepôts permettant de livrer ses produits commandés sur internet, Amazon jette son dévolu sur les centres-villes. Les commerçants tardent à s'adapter à la nouvelle donne digitale.

Accusé d'avoir contribué à asphyxier le commerce physique, Amazon lance une grande opération de séduction en développant des partenariats tous azimuts pour s'implanter... au coeur des villes. Scellé en mars 2018, l'accord qui lie le géant du numérique et Monoprix (groupe Casino), en témoigne : plus de 6.000 références produits, dont 1.500 proviennent des marques propres de Monoprix comme Monoprix Gourmet, sont commercialisées sur Prime Now, le programme d'adhésion d'Amazon destiné aux clients les plus fidèles. La collecte des articles est réalisée en magasin par les salariés de Monoprix et la livraison est prise en charge par Amazon. Les coursiers viennent chercher les commandes dans les points de vente du distributeur et les livrent directement, même le dimanche. A travers ce partenariat, leader dans les catégories multimédia, jouets, téléphonie, beauté, Amazon tente ainsi de mieux connaître les habitudes d'achat des consommateurs dans l'alimentaire, un secteur dans lequel il affiche de grandes ambitions.

L'entreprise américaine avait déjà passé des alliances avec d'autres enseignes, plus petites, comme Bio C Bon, Lavinia et Fauchon. Monoprix constitue la première grande enseigne avec qui il signe. De nouveaux partenariats ont aussi été lancés depuis, notamment avec Naturalia, le leader du bio en Ile-de-France. Plus de 2.000 références, dont des produits de la marque Naturalia mais aussi des fruits et légumes, produits frais, de l'épicerie et des produits ménagers écologiques, sont ainsi accessibles sur la plateforme d'Amazon. Un service disponible dans Paris et 35 communes limitrophes, avec des livraisons en moins de deux heures…

Aux Etats-Unis, la stratégie est déjà bien avancée. Amazon devrait ouvrir une nouvelle enseigne alimentaire physique en 2020. En 2017, Amazon a racheté la chaîne de magasins Whole Foods et le déploiement des boutiques Amazon Go sans caissier se poursuit.

Complémentarité entre commerce physique/e-commerce ?

Déjà fragilisé par des loyers chers, des opérations de vente express sur internet comme le Black Friday, la concurrence des grandes enseignes en périphérie, la circulation réduite, comment le commerce de centre-ville peut-il s'adapter à ces évolutions ? La question des complémentarités entre commerce physique et e-commerce a été abordée, le 11 décembre 2019, lors d'une table ronde organisée par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Pour Frédéric Duval, directeur général d'Amazon France, "l'avènement du e-commerce est une chance pour le commerce de centre-ville. Beaucoup de commerçants qui ont un pas de porte en centre-ville réalisent 10, 15 à 20% de leur chiffre d'affaires dans le e-commerce". 

D'ailleurs, selon la Fédération e-commerce et vente à distance (Fevad), "les acheteurs associent de plus en plus e-commerce, magasins physiques et écrans mobiles au long de leur parcours d'achat". Et les effets du e-commerce sur le commerce physique se font de plus en plus ressentir. Au total, 80% des commerçants qui ont un site voient un impact bénéfique d'internet sur leurs magasins : 79% constatent une augmentation de la fréquentation en magasin, 63% une augmentation du chiffre d'affaires en magasin et 42% un élargissement de la zone de chalandise… Par ailleurs, 28% des e-acheteurs ont profité du retrait d'une commande dans un point relais ou un magasin pour y acheter d'autres produits.

Accompagnement à la digitalisation

Pourtant les commerces traditionnels peinent à s'adapter. Pour le chercheur Olivier Badot, professeur à l'ESCP,  il y a bien sûr eu une "cannibalisation" des parts de marché du commerce physique par le e-commerce, mais ce dernier n'est pas le seul facteur (il met par exemple en avant la répartition des postes dans le budget des ménages). En 2016, ce docteur en anthropologie et en économie industrielle a créé une chaire sur la "Prospective du commerce dans la société 4.0". Dans ce cadre, une de ses doctorantes est en train d'analyser une soixante d'applications digitales de commerces de centre-ville. Or ses conclusions sont pour l'heure "assez pessimistes". "Il y a beaucoup de freins à l'adoption. Les commerçants trouvent ça compliqué si ce n'est pas soutenu par une structure d'accompagnement consulaire, municipale ou autre", relate Olivier Badot.

Un boulevard pour Amazon qui avance à grands pas dans le domaine de l'accompagnement des commerçants dans leur digitalisation, avec son "Amazon campus challenge". Ce concours destiné aux étudiants post-bac est organisé pour la troisième fois cette année. Il propose à ces étudiants, organisés par équipe de deux à cinq personnes issues ou non de la même école, de sélectionner une entreprise et de l'accompagner dans son développement sur la Marketplace d'Amazon. Chacune des équipes a huit mois pour convaincre le jury, et à la clé : pas moins de 28.000 euros de lots à se partager, dont 10.000 euros pour l'équipe gagnante. Amazon met aussi en place l'Amazon Tour, permettant aux commerçants de toute la France de bénéficier de conseils au travers d'ateliers et de sessions de coaching. L'opération a même séduit certaines chambres de commerce et d'industrie dont celle de Rouen qui s'est attirée de vives critiques d'associations de commerçants et d'élus.

A côté d'Amazon, Le Bon Coin n'est pas en reste. En mars 2019, la plateforme française a elle aussi lancé avec une dizaine de villes moyennes un programme destiné à relancer l'activité des commerces de proximité. Le programme prend la forme d'un "marathon créatif de 36 heures" réunissant des acteurs publics et privés du territoire, des propriétaires de locaux vacants et des concitoyens. Il aide les entrepreneurs à relancer une activité pérenne en centre-ville. A la clé : des loyers offerts et de la visibilité sur Le Bon Coin.

De son côté, le gouvernement tente de réagir à travers le plan national Action Cœur de ville. L'un des objectifs consiste à favoriser l'intégration du digital dans le business modèle des commerçants, à travers les e-services des CCI et à proposer des formations sur la qualité d'accueil et de service des commerces physiques. Mais l'initiative est encore très récente. En attendant, Amazon revendique plus de 10.000 PME qui utilisent sa Marketplace. "Nous contribuons à diminuer la fracture territoriale, peut se féliciter Frédéric Duval. Que vous soyez en Ariège, en presqu'île de Crozon ou en Savoie, vous avez le même choix."