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Braquer les projecteurs sur les jeunes des petites villes : une urgence pour éviter l’explosion ?

Salomé Berlioux, co-auteur avec Erkki Maillard du livre "Les Invisibles de la République", présidait la séquence intitulée "Défi de la jeunesse : quelle égalité des chances pour l’avenir des jeunes des petites villes ?", aux Assises de l’APVF le 19 septembre à Uzès, dans le Gard. Selon elle, il y a urgence à s'occuper de ces jeunes de la France périphérique qui n'auraient aucune perspective de formation, d'emploi, d'avenir et seraient assignés à domicile par une autocensure dans leurs choix. Hors radars depuis trop longtemps, ils seraient en marge de la société et de ses propositions… Une frustration qui peut mener à l'explosion si on ne veut pas l'entendre, affirme-t-elle.

Une diction fluide, une petite voix rapide, Salomé Berlioux, co-auteur avec Erkki Maillard du livre "Les Invisibles de la République. Comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique", présidait la séquence intitulée "Défi de la jeunesse : quelle égalité des chances pour l’avenir des jeunes des petites villes ?", aux Assises de l’Association des petites villes de France le 19 septembre à Uzès, dans le Gard.
Privée de l’un des deux intervenants prévus, la table ronde n’aura pas duré suffisamment longtemps pour laisser à l'auditorium le loisir de poser des questions et d’apporter, peut-être, des solutions. Mais la trentenaire a résumé les grandes problématiques de la jeunesse de ces territoires qu’elle connaît plutôt bien, née et élevée dans un hameau de 180 habitants de l’Allier.

À la question majeure "Qui sont les jeunes de ces territoires ?", elle précise que 60% des jeunes Français âgés de 15 à 19 ans vivent en dehors des 25 grandes villes et banlieues. Si les jeunes des banlieues ont souvent le radar braqué sur leurs problématiques, bien réelles également, ceux que l’on appelle "de la France périphérique" demeurent selon elle dans un angle mort. "Des jeunes pas très revendicatifs, qui ne grandissent pas comme les jeunes des grandes villes. Qui n’ont pas accès aux mêmes réseaux, aux mêmes possibilités, aux mêmes chances en fait." Des jeunes qui cumulent les obstacles : manque de mobilité, de moyens économiques, d'accès à l’information, à l'orientation, à des opportunités professionnelles, pris aux mains de la fracture digitale… Des manques qui, lorsqu'ils se cumulent, entraînent une inévitable autocensure. Celle qui les assigne à domicile parce qu'il leur est impossible de se projeter hors les murs.

"Je circule donc je suis"

Prendre conscience de leur réalité c’est, selon Salomé Berlioux, "cesser de s’interroger sur l’ampleur du phénomène et se pencher sur les causes. Montrer que la collectivité refuse de se résigner". Et d'apporter l’exemple de Charlotte, cette jeune femme non boursière qui se prive d’études de médecine, pour faire infirmière dans une école plus proche de chez elle et beaucoup moins coûteuse. Salomé Berlioux le précise, le devance : "Il n’y a aucun problème à vouloir faire infirmière, c’est un métier louable à valoriser, mais si cette jeune femme voulait faire médecine, pourquoi ne pas l’aider." "Nous sommes dans la réalité du 'Je circule donc je suis', affirme-t-elle. Dans un monde où sont valorisés des stages à l’étranger, sur le territoire, qui témoignent d’un goût de l’aventure, de l'audace, il est stigmatisant de ne proposer qu’un CV réduit au minimum et dont beaucoup ont honte." Mais l'impossibilité de pouvoir bouger par manque de modes de transport est une évidence pour la ruralité. La distance est capitale pour les jeunes ruraux, plus que pour aucune autre jeunesse. Et Salomé Berlioux de proposer l'élargissement de l’opération des 30.000 stages à l’image de ce qui s’est fait pour les jeunes de 3e des quartiers des banlieues de grandes villes. Un plan avancé par Emmanuel Macron qui, lors de la présentation de son programme "La France, une chance pour chacun" en mai 2018, appelait ces jeunes à sortir là aussi de "l'assignation à résidence".

Partir, rester, revenir… juste avoir le choix

"Il y a un décalage entre la réalité de ces jeunes et le modèle promis. Un choc frontal. Cette jeunesse est dans l’incapacité de s’emparer des idées de 'start-up Nation'. Il est important de considérer les jeunes des territoires. Ne pas le faire constituerait un risque politique évident, à commencer par les municipales", insiste-t-elle. "Il faut coller à leur quotidien. On ne veut pas que tout le monde aille vivre à Paris bien entendu, mais nous invitons à bouger, pour revenir aussi parfois…"

Vincent Chauvet, maire d’Autun*, présent à la table ronde, pondère un peu le discours de Salomé Berlioux en précisant que l'on peut aussi avoir envie de rester chez soi. "On n'est pas obligé de bouger!", insiste-t-il. Et l'élu de souhaiter "ne pas tomber dans un déterminisme géographique absolu qui serait contre-productif", disant "attendre l’étude qui prouverait qu’en habitant à Autun on réussit moins bien qu’en habitant à Dijon". Selon lui, certaines mesures vont dans le bons sens : les campus connectés pour ceux qui veulent rester sur leur territoire, Parcoursup "qui lève l’ambiguïté, une plateforme transparente, tout le monde a accès à toutes les formations...".

Quatre objectifs pour 2025

Celle qui fut un temps conseillère politique de Jean-Marc Ayrault s'est donné, à travers son association Chemins d'avenirs (voir encadré ci-dessous), quatre objectifs à horizon 2025 : obtenir une couverture nationale, un référent dans tous les territoires, un modèle économique optimisé, et des débouchés sur le terrain des politiques publiques. "Les politiques publiques doivent s’accaparer cette jeunesse ! Cela doit ensuite conduire à élargir le champ des possibles de ces jeunes." Un appel que semble avoir entendu Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, qui l'a chargée d'une mission de réflexion sur les difficultés rencontrées par la jeunesse dans les zones rurales et les petites villes. La présidente de Chemins d'avenirs devra donner ses conclusions début 2020. Elle perçoit cette lettre comme un gage sincère d'intérêt. "Les choses changent. Je doute maintenant que l'on puisse revenir en arrière", dit-elle.
D'ores et déjà, le plan en faveur des territoires ruraux annoncé le lendemain par le Premier ministre lors de son intervention devant les maires ruraux le 20 septembre va dans ce sens, avec un volet destiné à la jeunesse rurale où la question de l'élargissement des stages de 3e, entre autres, a été acté. Parmi les autres mesures figurant dans ce plan inspiré par la mission Agenda rural : "faire des jeunes ruraux un public prioritaire du dispositif Erasmus+ pour faciliter leur mobilité dans l'UE, promouvoir le permis à 1 euro, mieux soutenir les projets associatifs, mieux territorialiser les politiques publiques en faveur des jeunes ruraux...
Pour l'heure, la jeune femme qui avait poussé les portes de Sciences Po en dépit des obstacles, poursuit son engagement avec Chemins d'avenirs et organise le 12 octobre à Paris une rencontre jeunesse et territoires en partenariat avec la Banque des Territoires, sur le thème d’une jeunesse audacieuse. Une journée autour de 8 ateliers sur l’audace donc… "La matinée se déroulera au Cese, l’après-midi on ne sait pas encore", précise-t-elle.

* Autun fait partie des 222 communes retenues par le ministère de la Cohésion des territoires pour intégrer le plan gouvernemental "Action cœur de Ville", dont la Banque des Territoires est un partenaire privilégié

"L'association Chemins d'avenirs vient en aide aux jeunes issus des zones rurales et des petites villes. Elle s'est déployée très rapidement, parce qu'elle pouvait s'appuyer sur le soutien de partenaires engagés, sur celui des acteurs de l'Éducation nationale (on passe une convention avec le rectorat), d'associations engagées en matière d'égalité des chances, notamment dans les quartiers, que nous avons pu consulter. Nous accompagnions 100 jeunes en 2016, ils sont 1.000 aujourd’hui, sélectionnés dans sept académies. Chaque parrain suit pendant 18 mois son filleul. Il l'aide à trouver des stages, rédiger un CV, une lettre de motivation... Pour informer, motiver et promouvoir, Chemins d‘avenirs met à disposition des jeunes participants de l’association une série d’outils innovants. Ils ont été recrutés sur questionnaire. Pas sur leur dossier scolaire, pas sur l’orthographe, pas sur les fautes… juste sur leur curiosité et leur motivation à bénéficier de tout notre soutien. Le critère est la motivation, c'est tout", insiste Salomé Berlioux.

 

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