Insee Analyses Auvergne-Rhône-AlpesEn 30 ans, davantage de cadres et d’employés non qualifiés

Hélène Decorme, Aline Ferrante, Insee

Depuis trente ans, les mutations économiques et sociales ont transformé la structure de l’emploi. En Auvergne-Rhône-Alpes, la moitié des emplois supplémentaires depuis 1982 sont des emplois de cadres et de professions intellectuelles supérieures. En 2014, leur part atteint ainsi 16,3 % de l’emploi total. La part des employés non qualifiés s’est également accrue avec le développement du commerce et des services de proximité. À l’inverse, la désindustrialisation et les gains de productivité ont entraîné une forte diminution des emplois d’ouvriers non qualifiés. La progression de l’emploi des cadres se concentre dans les grands pôles urbains régionaux, celle des employés non qualifiés se diffuse partout tandis que la baisse des ouvriers non qualifiés concerne davantage le coeur des pôles urbains.

Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes
No 48
Paru le :Paru le16/11/2017
Hélène Decorme, Aline Ferrante, Insee
Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes No 48- Novembre 2017

En 2014, Auvergne-Rhône-Alpes comptabilise 3,2 millions d’emplois au sens du recensement (définitions et méthodes). Au cours des trente dernières années, la croissance du nombre d’emplois a été plus dynamique dans la région (+ 25 %) qu’en France métropolitaine (+ 21 %).

La structure de l’emploi connaît de profondes mutations depuis le début des années 1980. Les fonctions de production concrète (fabrication de biens industriels, agriculture et bâtiment-travaux publics) sont en déclin alors que les fonctions dites « métropolitaines » (recherche, gestion, commerce interentreprises, culture-loisirs, prestations intellectuelles) se sont largement développées dans les entreprises.

Ces mutations s’accompagnent de modifications profondes de la société telles que l’allongement de la durée des études et l’augmentation du niveau de formation, la hausse de l’activité des femmes, l’évolution des modes de vie et des habitudes de consommation.

Depuis 1982, la structure par profession de l’emploi s’est ainsi transformée. Les ouvriers non qualifiés (définitions) ont vu leur proportion divisée par deux sous l’effet de la désindustrialisation (de 17,3 % à 8,9 %). En revanche, la part des employés non qualifiés a progressé avec le développement des services. Ils représentent actuellement 12,4 % des emplois. L’évolution la plus forte concerne toutefois les cadres et professions intellectuelles supérieures dont le poids a plus que doublé (figure 1).

Figure 1De profonds changements dans la structure de l’emploiPart des cadres, employés non qualifiés et ouvriers non qualifiés, en Auvergne-Rhône-Alpes, en 1982 et 2014

en %
De profonds changements dans la structure de l’emploi (en %)
1982 2014
Cadres et professions intellectuelles supérieures 7,4 16,3
Employés non qualifiés 7,5 12,4
Ouvriers non qualifiés 17,3 8,9
  • Source : Insee, Recensements de la population au lieu de travail 1982 et 2014

Figure 1De profonds changements dans la structure de l’emploiPart des cadres, employés non qualifiés et ouvriers non qualifiés, en Auvergne-Rhône-Alpes, en 1982 et 2014

  • Source : Insee, Recensements de la population au lieu de travail 1982 et 2014

Les cadres sont particulièrement présents en Auvergne-Rhône-Alpes

En 2014, la région compte 516 000 cadres et professions intellectuelles supérieures, soit 16,3 % de l’emploi total. Cette part est, avec celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur, la deuxième plus élevée derrière l’Île-de-France (29,5 %). En effet, une forte proportion de cadres travaille dans les pôles urbains de Grenoble et Lyon, qui se classent respectivement 3e (derrière Paris et Toulouse) et 6e en France (derrière Rennes et Montpellier).

En Auvergne-Rhône-Alpes, la part des cadres a davantage progressé (+ 9 points) que dans les autres régions, hormis en Île-de-France (+ 14 points). En 2014, cette proportion rejoint celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur qui lui était pourtant supérieure de plus d’un point en 1982. Cette progression rapide s’explique par un développement très dynamique de l’emploi des cadres dans les pôles de Grenoble et Lyon, où leur nombre a presque été multiplié par 3, contre seulement 2,5 dans les pôles de Marseille-Aix-en-Provence et Nice.

En 30 ans, les 327 000 emplois supplémentaires de cadres regroupent pour près de la moitié d’entre eux des ingénieurs d’études ou de recherche, des cadres administratifs spécialisés en ressources humaines ou dans les services bancaires et financiers, des avocats ou des juristes. Les cadres de l’État, des collectivités locales et les métiers de la santé constituent aussi plus d’un quart des emplois supplémentaires de cadres depuis 1982. Dans une moindre mesure, un nouvel emploi de cadre sur dix est celui d’un cadre de maintenance, de l’environnement, de l’hôtellerie-restauration ou de la vente. Le transport, la logistique et le commerce interentreprises fournissent, quant à eux, 7 % des nouveaux cadres. Enfin, bien que perdant de nombreux emplois sur la période, l'industrie, la construction et l'agriculture créent tout de même des emplois de cadres (8 %), tels que des ingénieurs en électronique, en chimie ou de l’agro-alimentaire ou encore des cadres de planification de production.

Dans les centres des grands pôles urbains, un emploi sur quatre est celui d’un cadre

L’emploi des cadres se concentre dans les grands pôles urbains (figure 2). Ainsi 69 % des cadres et professions intellectuelles supérieures de la région travaillent dans les pôles de Grenoble, Lyon, Clermont-Ferrand, Annecy, Valence, Saint-Étienne, Chambéry et Annemasse, contre 52 % pour l’ensemble des emplois. Les cadres sont davantage présents au coeur de ces pôles, où ils représentent 25 % des emplois, que dans leur banlieue (19 %).

Figure 2Les cadres se concentrent principalement au cœur des grands pôles urbainsPart des cadres dans l’emploi des aires urbaines

  • Source : Insee, Recensement de la population au lieu de travail 2014

Dans les villes-centres de Grenoble et Lyon, les cadres occupent même trois emplois sur dix. Cette proportion a très fortement augmenté depuis 30 ans (+ 16 points), bénéficiant de la présence des universités et d’emplois dans la conception-recherche et les prestations intellectuelles. Grenoble constitue un pôle scientifique de premier plan avec la présence du Centre national de recherche scientifique (CNRS) et du Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

La couronne de l’aire urbaine de Grenoble se distingue par une proportion importante de cadres (16 % des emplois contre 12 % dans l’ensemble des couronnes des grandes aires urbaines de la région) grâce notamment aux établissements des secteurs de la fabrication d’équipements électriques et de produits informatiques, électroniques et optiques.

À Clermont-Ferrand, le coeur de l’agglomération accueille de grands groupes et des activités de recherche et développement spécialisés dans le caoutchouc ou l’ingénierie notamment. La part de cadres s’y élève à 21,5 %. Annecy compte 19 % de cadres, travaillant par exemple dans le secteur de la fabrication de machines et d’équipements automobiles.

La part de cadres est relativement faible à Saint-Étienne avec 18 % des emplois, au même niveau que Valence, et légèrement devant Chambéry (17 %). Cela s’explique par l’histoire industrielle de la ville et une spécialisation dans des secteurs où le taux d’encadrement est faible. Saint-Étienne s’inscrit parmi les pôles urbains où la part de cadres augmente moins que la moyenne régionale depuis 1982 (+ 8 points), sans doute pénalisé par sa proximité avec Lyon. Enfin, l’économie du Genevois français tournée vers les activités de services aux résidents explique la faible part de cadres travaillant à Annemasse (13 %).

Au-delà des grands pôles urbains, la proportion de cadres peut être également importante dans des territoires de plus petite taille. C’est le cas des aires de Pierrelatte, Cruas et Saint-Paul-Trois-Châteaux qui comptent en moyenne 19 % de cadres du fait de l’implantation de la filière nucléaire, ou encore dans la couronne de Modane portée par la présence de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales à Avrieux.

Des employés non qualifiés plus nombreux partout

La progression de la part des employés non qualifiés concerne l’ensemble des territoires, car ils travaillent principalement dans le commerce et les services de proximité. La région compte 393 000 employés non qualifiés, soit 12,4 % des emplois en 2014 contre 7,5 % en 1982. La quasi-totalité des 202 000 postes supplémentaires sur la période s’est d’ailleurs faite dans ces secteurs, le reste provenant de l’administration et de la santé (emplois d’agents de services de la fonction publique). Plusieurs changements sociétaux contribuent à ces nouveaux postes. Ainsi, la progression du taux d’emploi des femmes amplifie le besoin de modes de garde des enfants, le vieillissement et la dépendance des seniors ont accru la demande de services à la personne.

De même, l’augmentation du nombre de repas pris à l’extérieur du domicile, l’essor des grandes surfaces ou encore le développement des services aux entreprises ont favorisé la croissance des postes d’employés non qualifiés. Assistantes maternelles, employés de libre-service, serveurs et employés de la restauration rapide, agents de sécurité, aides à domicile ont ainsi vu leur nombre croître en 30 ans.

Plus on s’éloigne des grands pôles urbains et plus la part d’employés non qualifiés dans l’emploi est élevée et progresse fortement (figure 3). Toutefois, cela s’explique en partie par le poids parallèlement plus important des cadres et professions intellectuelles supérieures dans les grands pôles urbains. En effet, bien que la répartition des employés non qualifiés soit moins concentrée que celle des cadres et professions intellectuelles supérieures, près d’un employé non qualifié de la région sur deux travaille dans un grand pôle urbain.

Figure 3Davantage d’employés non qualifiés dans tous les territoiresPart des employés non qualifiés par catégorie d’aires urbaines

en %
Davantage d’employés non qualifiés dans tous les territoires (en %)
1982 2014
Ensemble 7,5 12,4
Communes hors influence des pôles 7,9 15,6
Communes multipolarisées 5,4 13,3
Moyennes et petites aires 7,5 13,5
Couronnes des grandes aires urbaines 6,4 13,6
Autres grandes aires urbaines 8,1 13,1
Banlieues des pôles urbains de plus de 100 000 habitants 7,9 11,5
Villes-centres des pôles urbains de plus de 100 000 habitants 7,8 11
  • Source : Insee, Recensements de la population au lieu de travail 1982 et 2014

Figure 3Davantage d’employés non qualifiés dans tous les territoiresPart des employés non qualifiés par catégorie d’aires urbaines

  • Source : Insee, Recensements de la population au lieu de travail 1982 et 2014

L’aire urbaine de Genève-Annemasse se démarque par la présence importante d’employés non qualifiés (17 %), l’emploi du Genevois français étant fortement tourné vers les services à la personne et le commerce. La part des employés non qualifiés est également importante dans les zones de haute montagne. Leur orientation touristique, notamment liée aux sports d’hiver, génère des emplois saisonniers dans le commerce, l’hébergement et la restauration.

Moins d’un emploi sur dix est celui d’un ouvrier non qualifié

Les emplois d’ouvriers non qualifiés ont fortement diminué depuis 1982 (– 36 %), dans la région comme en France métropolitaine. En 2014, ils sont 282 000 en Auvergne-Rhône-Alpes, principalement de type industriel et artisanal (respectivement 55 % et 39 % des emplois d’ouvriers non qualifiés). Les trente dernières années ont été marquées par un important phénomène de désindustrialisation. Les gains de productivité et les délocalisations d’activités ont davantage concerné les emplois industriels non qualifiés dont le nombre a diminué de moitié en 30 ans.

Les effectifs d’ouvriers non qualifiés de type artisanal n’ont baissé que de 8 % car il s’agit d’activités moins délocalisables (bâtiment, entretien et réparation, nettoyage de locaux, etc.). Parallèlement, le nombre d’ouvriers agricoles est resté relativement stable (– 0,6 %). En 2014, la part des ouvriers non qualifiés en Auvergne-Rhône-Alpes est proche de celle de la France métropolitaine (8,9 % contre 8,4 %). Comme au niveau national, cette proportion a presque diminué de moitié en 30 ans.

Pour des raisons foncières et d’accessibilité, les industries ont tendance à quitter le coeur des villes (figure 4). Le nombre d’ouvriers non qualifiés a ainsi davantage baissé dans les villes-centres (– 57 % en 30 ans). En 2014, un quart d’entre eux travaille dans les banlieues des grands pôles urbains de la région et leur part dans l’emploi est d’autant plus forte que l’on s’éloigne des villes-centres. Le nombre d’ouvriers non qualifiés a par exemple augmenté de plus d’un tiers dans la banlieue et la couronne de Chambéry ainsi que dans la couronne d’Annecy (même si leur part dans l’emploi total y a baissé). Au contraire, dans les pôles urbains de Lyon, Grenoble et Clermont-Ferrand, la part d’ouvriers non qualifiés est très faible. À Saint-Étienne, elle est en revanche équivalente à la moyenne régionale.

Figure 4Peu d’emplois d’ouvriers non qualifiés au cœur des agglomérationsPart des ouvriers non qualifiés dans l’emploi des aires urbaines

  • Source : Insee, Recensement de la population au lieu de travail 2014

La part d’ouvriers non qualifiés reste importante dans des zones à forte spécificité industrielle. Elle s’élève notamment à 18 % dans le pôle urbain d’Oyonnax spécialisé dans la plasturgie. Dans les couronnes de Bourg-en-Bresse, Mâcon et Annonay, la proportion d’ouvriers non qualifiés varie entre 14 % et 19 %, avec une forte présence dans la construction de camions, de pièces pour poids lourds et de véhicules frigorifiques. L’activité de décolletage à Cluses ou encore la présence de l’industrie pharmaceutique à Ambert permettent à ces deux aires de conserver 15 % d’emplois d’ouvriers non qualifiés. L’aire d’Issoire en compte 13 %, principalement dans l’aéronautique et l’équipement automobile. Cette part est similaire à celle de Thiers, réputée pour sa coutellerie et diversifiée dans tous les domaines de la métallurgie et de la fabrication de produits métalliques. Enfin, par la forte présence des activités agricoles, les aires de Saint-Flour et Brioude comptabilisent en moyenne 12 % d’ouvriers non qualifiés.

Pour comprendre

Les données sont celles des recensements de la population de 1982 et 2014 pour l’emploi au lieu de travail. Basées sur les déclarations des individus aux enquêtes de recensement, qui se déroulent en début d’année civile, elles peuvent différer des estimations localisées d’emplois. Celles-ci sont produites à partir d’une synthèse de sources administratives donnant le nombre de personnes en emploi au 31 décembre selon le concept d’emploi du Bureau international du travail (BIT). Les comparaisons nationales se réfèrent à la France métropolitaine car les données ne sont disponibles pour les DOM que depuis 1999.

Dans cette étude, les emplois sont principalement répartis en trois groupes de qualification à partir de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) :

Les emplois de cadres et professions intellectuelles supérieures (CS 3) qui comprennent les cadres d’entreprise ou de la fonction publique, les professeurs et chercheurs, les professions de l’information des arts et des spectacles ainsi que les professions libérales ;

Les ouvriers non qualifiés qui sont directement identifiables dans la nomenclature PCS (CS 67, CS 68 et CS 69) c’est-à-dire les ouvriers non qualifiés de type industriel ou artisanal et les ouvriers agricoles ;

Les employés non qualifiés dont la définition est issue des travaux d’Olivier Chardon présentés dans l’Insee-Première n° 796 de juillet 2001 « La transformation de l’emploi non qualifié depuis 20 ans » et qui exercent une profession ne requérant majoritairement pas un diplôme de la même spécialité que leur profession.

Les emplois intermédiaires, non abordés dans cette étude, sont les autres emplois : agriculteurs exploitants (CS 1), artisans, commerçants, chefs d’entreprise de plus de 10 salariés ou plus soit l’ensemble de la CS 2. Ils comprennent aussi les professions intermédiaires (CS 4), les employés qualifiés et les ouvriers qualifiés (CS 62, CS 63, CS 64 et CS 65).

Cette étude utilise le zonage en aires urbaines. L’aire urbaine est constituée par un pôle urbain, unité urbaine offrant au moins 10 000 emplois, et sa couronne. Le pôle urbain comprend une ou plusieurs villes-centres et la banlieue.

Pour en savoir plus

« Cadres et employés non qualifiés : les deux moteurs de l'emploi des territoires », Insee Première n° 1674, novembre 2017

« Industrie : mutation des emplois et des territoires », Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes, n° 34, mars 2017

« Les métropoles concentrent les arrivées d’emplois et d’actifs qualifiés », Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes, n° 28, novembre 2016

« Depuis la crise, une évolution de la qualité des emplois à double vitesse », Insee Analyses Rhône-Alpes, n° 31, juin 2015