Et si l’on misait sur le potentiel économique des quartiers ?

Stéphane Menu

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Et si l’on misait sur le potentiel économique des quartiers ?

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© Frédérique Bertrand

À rebours de la déploration habituelle que s’infligent les acteurs de la politique de la ville, le Centre de ressources de la politique de la ville du Nord - Pas-de-Calais (IREV) a réuni associations de quartiers et acteurs économiques dans le cadre de Pop-up. Une rencontre physique et concrète dont tout le monde peut tirer un profit immédiat.

Ce sont deux mondes qui s’ignorent. Une frontière de nature presque exclusivement spatiale. Développeurs économiques et porteurs de projets dans les quartiers ne se croisent pas parce qu’ils ne fréquentent pas les mêmes lieux. Pourtant, ils ont tant de choses à se dire. Pop-up économiques ? Quèsaco ? L’anglicisme désigne une opération de terrain où l’ensemble des acteurs se retrouvent (élus, associations, techniciens, collectivités, opérateurs, etc.) au pied des immeubles pour sensibiliser les habitants sur le potentiel économique de leurs quartiers.

De nombreuses associations ont découvert que le quartier offrait des opportunités pour tenter l’aventure de l’entreprise.

Le 21 septembre dernier, à l’initiative de l’IREV, cent soixante-dix personnes ont ainsi pris part, tout au long de la journée, à des rendez-vous itinérants qui ont donné lieu à des débats aussi divers que variés : émergence, potentiel urbain, dynamiques commerciales, coopération et territoires. « Depuis cinq ans, l’IREV travaille sur le développement économique dans les quartiers et nous avons noté que, sur le terrain, les actions menées dans ce domaine sont montées en puissance depuis 2014. Nous avons fait comme constat que les professionnels ont un besoin de se familiariser avec cette nouvelle manière de faire du développement économique local à l’échelle des quartiers », explique Pierre-Édouard Martin, directeur adjoint de l’IREV. Ainsi, le format Pop-up offre la possibilité d’échanger sur « des exemples menés sur le commerce dans les centres-bourgs par exemple ou sur le cheminement administratif pour tirer profit des opportunités foncières du renouvellement urbain afin de développer de nouveaux produits d’immobilier d’entreprise », poursuit le directeur adjoint. De nombreuses associations ont découvert que le quartier offrait des opportunités pour tenter l’aventure de l’entreprise, dans un cadre sécurisé sur le plan financier.

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« La reconquête de l’activité des quartiers »

« Le lieu retenu, le Quai de l’innovation, n’était pas anodin non plus. Pour Amiens Métropole, la volonté de développer l’innovation se retrouve dans ce lieu qui donne à voir comment fonctionnent les coopérations entre acteurs économiques innovants en mélangeant espaces de coworking, clusters, incubateurs, centre de congrès pour faciliter les échanges, avec un enjeu : quelle est la place des quartiers dans ce type de lieu ? », poursuit M. Martin.

Pour Milouda Ala, présidente de l’IREV et élue à la région des Hauts-de-France, « d’ordinaire, l’action portée sur ces quartiers se lit plutôt sous l’angle de l’emploi et de l’insertion et non de la création d’activité. L’instauration d’un volet développement économique dans les contrats de ville érige le développement économique en levier de la reconquête de l’activité des quartiers ». Car les quartiers sont des viviers d’emplois et de compétences, qui « nécessitent simplement une attention accrue des acteurs publics pour se développer et qu’il puisse s’y incarner des projets viables ».

Briser les murs invisibles s’impose « pour faire dialoguer les habitants des quartiers, le monde de l’action publique et le monde de l’économie. Favoriser le croisement de ces mondes, c’est l’ambition de l’exécutif régional afin d’encourager la création d’entreprises dans et à proximité des quartiers, de faciliter l’entrepreneuriat, la création d’activité par et pour les habitants, ou encore de faire correspondre besoins du territoire et compétences locales ».

D’ordinaire, l’action portée sur ces quartiers se lit plutôt sous l’angle de l’emploi et de l’insertion et non de la création d’activité.

Que les choses soient claires : il ne s’agit pas de créer artificiellement de l’activité économique mais de répondre aux attentes d’une population dont les besoins ne sont pas toujours satisfaits. La preuve en a été donnée lors du concours « Activateur de quartier » proposé dans la journée. Six candidats sont venus au-devant d’un jury pour présenter leur savoir-faire. C’est Sarah Ingrid Héranger qui a été la plus convaincante, avec son projet « Atelier 420 » de customisation de chaussures. Elle est repartie avec un chèque de 300 euros. Une aide plus symbolique que conséquente pour poursuivre le travail lancé, mais surtout la valorisation d’une démarche audacieuse et volontaire. « Je crois qu’il est plus que temps et nécessaire de faire dialoguer les habitants des quartiers, le monde de l’action publique et le monde de l’économie », prolonge la vice-présidente de la région. La création d’activité par et pour les habitants réclame en effet une méthodologie sans faille et continue pour que les engagements pris ne soient pas remisés au rayon des promesses non tenues.

Ras-le-bol « Un gouvernement hors-sol »
Un sentiment de ras-le-bol collectif. Un de plus. Les maires des communes de banlieue se sont réunis le 16 octobre pour émettre une série de mesures dont ils espèrent la concrétisation dans les trois prochains mois. Un attelage politique œcuménique où la maire LR de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), Catherine Arenou, a partagé la même vision que le maire communiste de Grigny, Philippe Rio. Les élus et les habitants des quartiers difficiles se comparent à de vrais « coqs gaulois » : « Nous avons les pieds dans la m… en permanence, et pourtant, nous continuons de chanter », affirme-t-elle.

Le maire de Grigny en appelle à l’intelligence du gouvernement actuel : « En 2016, la ville a fait l’objet d’un rapport interministériel, qui a donné lieu à une série de mesures spécifiques, regroupées dans un contrat intitulé « Feuille de route pour Grigny 2030 ». J’ai écrit au président de la République au mois de juin, pour lui demander de sauver ce laboratoire d’idées, il ne m’a répondu qu’en octobre. C’est un mauvais signal ».

Organisée à l’initiative des associations Bleu Blanc Zèbre, Villes de France et Ville et banlieue, la journée s’est achevée par la formulation d’une série de mesures d’urgence, « à mettre en œuvre avant le budget 2018 ». Ces dernières répondent en effet à un caractère de mobilisation exceptionnelle : la suspension de la réduction des contrats aidés, le rétablissement des financements de la politique de la ville, un fonds d’urgence immédiat doté de 100 millions d’euros pour 100 quartiers parmi ceux connaissant les plus grandes difficultés, le doublement du budget de la politique de la ville à 1 milliard d’euros, et le rétablissement et le renforcement, dans les territoires les plus fragiles, des effectifs de police et des moyens de justice.

Stéphane Gatignon, maire de Sevran, constate, un brin dépité : « Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que le gouvernement se soit vraiment soucié de redonner aux banlieues la place qui doit être la leur. Or, si l’on considère qu’elles représentent 5 millions de personnes, et qu’on ne leur consacre que 0,5 % du budget de l’État, on comprend bien que ce n’est pas là qu’il faut réaliser des économies ». D’où le reproche de gouvernement « hors-sol » formulé par Catherine Arenou. « Ils partent du principe que si la France va mieux, les quartiers sensibles iront mieux eux aussi. Mais nos populations nécessitent un accompagnement long, et ont des besoins spécifiques, en termes d’éducation et d’emploi, notamment ».
Lors de son entretien télévisé du dimanche 14 octobre, Emmanuel Macron a annoncé qu’il souhaitait rencontrer les maires de banlieue pour expliquer sa philosophie sur le sujet. Un rendez-vous annoncé imminent et indispensable pour mieux comprendre l’approche, pour l’heure cryptée, du président de la République.

Lire aussi : Catherine Arenou : "Les maires de banlieue partagent un diagnostic commun"

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