La France, championne de la taxation des terres agricoles et, donc, de l’artificialisation des sols

Une étude comparative de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité consacrée à la taxation des terres agricoles en Europe montre que la France excelle en la matière. Une surtaxation qui pourrait bien être la cause d’une tendance accrue à l’artificialisation des sols, domaine dans lequel la France fait aussi la course en tête. Les auteurs préconisent l’instauration d’une "écofiscalité incitative", taxant les terres en fonction de leur valeur écologique, des services environnementaux qu’elles délivrent, voire de leurs pratiques d’exploitation. Ils recommandent à tout le moins une diminution de leur taxation, en appelant notamment l’État à aider les collectivités territoriales à favoriser les exonérations.

"[Lorsque] la taxation des terres agricoles est trop élevée, elle peut diminuer la profitabilité de l’agriculture et donc faciliter l’urbanisation", démontre dans une récente étude comparative sur la taxation des terres agricoles en Europe la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. La France étant championne de la taxation de ces terres, on ne sera donc guère surpris qu’elle fasse également la course en tête en matière d’artificialisation des sols.

En matière de taxes, la France ajoute la qualité à la quantité

L’étude montre en effet qu’en matière de taxation de ces terres, la France cumule quantité et qualité.
Le nombre d’abord : "Outre plusieurs taxes annuelles liées au revenu (impôt sur le revenu et prélèvements sociaux), la France applique, sur les terres agricoles, cinq taxes non liées au revenu : la taxe foncière, la taxe pour frais de chambres d'agriculture, les droits de mutation à titre onéreux, les droits de mutation à titre gratuit et, le cas échéant, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), dont trois sont annuelles. Cela explique que leur taux d’imposition puisse, parfois, dépasser 100% de leur revenu."

Les taux ensuite : la France "leur applique le taux marginal d‘imposition le plus élevé en Europe pour l’impôt sur le revenu, le deuxième taux marginal le plus élevé pour les DTMG (droits de mutation à titre gratuit), le quatrième taux le plus élevé pour les DTMO (droits de mutation à titre onéreux) et le cinquième taux le plus élevé pour les plus-values immobilières, avec des abattements très lents et la durée de taxation la plus longue. Elle est l’un des quatre seuls pays dans lesquels un impôt sur la fortune s’appliquant aux terres agricoles existe. Elle est le seul pays dans lequel cet impôt s’applique uniquement au foncier, désavantageant ainsi les terres agricoles par rapport aux valeurs mobilières ou liquidités. Elle est aussi le seul pays où cet impôt s’applique aux terres agricoles malgré des loyers de fermage réglementés".

Le tout "vient diminuer leur rentabilité après impôt voire la fait entrer en zone de rendement négatif, ce qui peut conduire à des pressions accrues pour changement d’usage des sols". Un changement qui est en outre doublement facilité : "D’un côté, l’État divise par deux les revenus du foncier non bâti. De l’autre, via les rémunérations de complément, l’État soutient indirectement les revenus versés aux détenteurs de foncier acceptant de l’artificialiser par les exploitants d’énergie solaire au sol et éolienne terrestre."

Cette situation est singulière, puisque l’étude constate par ailleurs que "les terres agricoles semblent globalement peu taxées en Europe", plusieurs pays cumulant en outre "les dispositifs fiscaux en faveur des terres agricoles". Plus encore, ses auteurs constatent que "la taxation des terres agricoles françaises a augmenté ces dernières années", alors que "la tendance européenne semble s’orienter vers un allègement de la fiscalité en général".

Une taxation à la tête du client, et non en fonction des bénéfices systémiques

L’étude rappelle qu’il existe bien en France une fiscalité discriminatoire, mais "elle ne tient aucunement compte de la richesse en biodiversité du terrain agricole concerné ni des pratiques agricoles". Elle ne vise en effet que les exploitants agricoles, qui bénéficient seuls de taux de taxation "différents et inférieurs" : revenu agricole déclaré au titre des bénéfices agricoles et non des revenus fonciers, DTMO acquittés "plus de dix fois" inférieurs au taux usuel, plus-values immobilières le plus souvent exonérées, absence de soumission à l’IFI, transmissions d’exploitations et des terres agricoles en faisant partie bénéficiant du mécanisme Dutreil. Or "plus de 80% des terres agricoles ne leur appartiennent pas", est-il souligné. Les auteurs pointent ainsi le fait qu’un même type de milieu naturel sera donc "très peu taxé s’il appartient à un exploitant agricole", même s’il s’agit d’une "parcelle de grande culture, cultivée en agriculture intensive, à l’aide de grandes quantités de produits phytosanitaires et d’engrais de synthèse, labourée annuellement, dont les sols restent nus en hiver", et "très taxé s’il appartient à un bailleur", quand bien même serait-il "une prairie permanente utilisée en élevage extensif ou en agroforesterie ou en agriculture biologique".

Pis, l’étude relève que la fiscalité des terres agricoles non seulement "ne semble guère les orienter vers les usages les plus aptes à conserver leur biodiversité, à stocker le plus de carbone ou à mieux concilier leur rôle de production de cultures et de maintien d’une biodiversité de milieux ouverts qui s’érode", mais elle incite même "au retournement des prairies en terres de culture par au moins trois biais".

Réformer le système

Pour inverser ces incitations néfastes, les auteurs recommandent d’opter pour une "écofiscalité incitative", taxant un terrain "en fonction de sa valeur écologique, des services environnementaux qu’il délivre, voire des pratiques qui permettent de maintenir sa valeur écologique et la délivrance des services écosystémiques, voire de les augmenter". Notamment en considérant les écosystèmes, ou certains d’entre eux, "comme des infrastructures naturelles". Le renversement d’un modèle fiscal à bout de souffle n’étant en rien certain, ils proposent à tout le moins un certain nombre d’aménagements, dont certains concernent directement les collectivités locales : revoir ou atténuer, notamment pour les petites communes rurales, la règle de non-compensation des dispositifs d’exonération nationale de la TFNB ; mettre en place "une compensation au moins partielle par l’État ou un dispositif de péréquation" afin de faciliter l’exonération (en augmentant en outre la durée de cette dernière) d’un certain nombre de dispositifs éco-conditionnés de taxe foncière par les collectivités ; inclure l’agroforesterie dans les incitations fiscales ou encore faire en sorte qu’État et collectivités renoncent à certaines taxes affectant les terres qui font l’objet d’un bail rural à clauses environnementales (BRE), l’étude relevant que si l’exploitant comme le bailleur acceptent librement de faire via ce BRE un effort en faveur de la biodiversité et de l’environnement, "ni l’État, ni les collectivités territoriales ne consentent un effort dans ce cadre".

Plus généralement, ils préconisent soit d’augmenter les loyers bruts des terres, soit de diminuer leur taxation et celle des terres agricoles – avec une préférence pour la seconde option (à rebours des plus classiques demandes de surtaxation, voir notre article du 22 février 2022) –, estimant dans tous les cas que "la poursuite de la coexistence d’une rémunération brute très faible de la terre et de sa taxation très élevée n’est pas soutenable pour le foncier non bâti, ni compatible avec l’objectif de ZAN [zéro artificialisation nette], la SNB [Stratégie nationale pour la biodiversité], le plan Climat, etc.".