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Note

Services publics et transitions : réformer la réforme de l’Etat

Dans le contexte du nouveau mandat présidentiel d’Emmanuel Macron et de la formation du gouvernement, l’enjeu de la présente note est de proposer les termes d’une approche profondément renouvelée de la réforme de l’Etat et, pourquoi pas, de la pensée publique. Nous sommes à un de ces moments historiques où il faut repenser l’Etat, comme on l’a fait après-guerre pour la reconstruction du pays, comme on l’a fait dans les années 1990 dans le double contexte de mondialisation et de décentralisation.
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Introduction

Surenchère sur la réduction du nombre de fonctionnaires, polémiques sur les excès du recours aux cabinets de conseil privés et à la dématérialisation des services publics… la campagne présidentielle de 2022 n’a pas dérogé à la règle qui veut que le service public plane sur le débat politique sans pour autant que celui-ci n’entre au cœur des vraies questions. Dans le contexte du nouveau mandat présidentiel d’Emmanuel Macron et de la formation du gouvernement, l’enjeu de la présente note est de proposer les termes d’une approche profondément renouvelée de la réforme de l’Etat et pourquoi pas de la pensée publique.

La réforme de l’Etat menée depuis trente ans a essentiellement procédé d’un rétrécissement de ce dernier, au profit du marché, des collectivités territoriales et de l’Europe, auquel s’est combiné un ensemble de réorganisations et de développements technologiques. Entre 2009 et 2019, la population française a cru de 3,9% alors que les effectifs des administrations publiques n’ont progressé que de 0,4%. Logiquement, le nombre d’emplois publics pour 1000 habitants a diminué. Ce processus, porté au cœur des années 1990 par l’expression idéalisée d’un « Etat stratège » en quête d’un « recentrage » quasi mythique et s’appuyant sur les techniques du new public management, a atteint ses limites. En atteste l’inquiétante fragilisation opérationnelle de fonctions essentielles du service public (éducation, justice, santé…) et les difficultés de recrutement de fonctionnaires qui en découlent.

« Plus ou moins d’Etat ? » : au fond, la question est dépassée. Le défi est bien plutôt de repenser l’Etat dans ses priorités, postures et voies d’action dans le contexte incroyablement renouvelé que traverse notre pays : changement climatique, révolution numérique, retour de la souveraineté, aspiration à la participation, fractures géographiques et identitaires, nouvelles inégalités, retour des menaces avec la vague terroriste et désormais de la guerre aux frontières de l’Europe… C’est toute la « gouvernementalité » qui mérite d’être questionnée à l’aune de ces transitions, comme Thierry Pech et Pascal Canfin[1] le suggèrent plus particulièrement à l’aune du défi environnemental.

Quelle planification pour bâtir une France soutenable et souveraine, dans un contexte mouvant et alors que l’Etat omnipotent des Trente Glorieuses n’est plus ? Comment dépasser le seul prisme budgétaire dans le pilotage des administrations ? Quel équilibre entre dématérialisation et présence territoriale de l’Etat ? Quelle stratégie RH face aux crises de vocations et au risque de dépendance accrue au privé ? Comment associer les citoyens à la décision publique, devenue si complexe, et inversement limiter le pouvoir des lobbies ? …

La question du « comment faire ? » est devenue aussi, si ce n’est plus importante que celle du « quoi faire ? ». Telle est l’ambition et l’originalité de cette note : proposer une nouvelle ingénierie pratique et une marche d’ensemble concrète pour remodeler l’Etat à l’aune des grands défis de notre époque.

NB : Le périmètre visé par la note est celui des services publics nationaux (Etat, sécurité sociale), même si l’on est amené à évoquer l’interaction entre Etat et collectivités territoriales. A dessein ne sont pas ici évoquées de propositions institutionnelles telle qu’une décentralisation généralisée ou un changement de la Constitution, car si ces enjeux sont réels, ils n’épuisent pas la question des modes d’action publique qui mérite une attention spécifique.

Préliminaire : aujourd’hui, l’Etat, c’est quoi ?

Un Etat devenu minoritaire dans le périmètre de l’action publique

La dépense publique représentait en France 61,6% du PIB en 2020[2]. La sécurité sociale représentait 43% du total des finances publiques, contre 18% pour les collectivités locales et 39% pour l’Etat. Ainsi la réalité budgétaire actuelle de la France est celle d’un effort public minoritairement tourné vers l’action propre de l’Etat et majoritairement vers les financements allant à la protection sociale et aux des dotations aux collectivités territoriales.

Cet équilibre est à peine différent quant à la répartition des emplois publics selon les trois « versants » de la fonction publique : d’Etat, territoriale et hospitalière. Fin 2019, plus de 5,61 millions d’agents travaillent au sein de la fonction publique, ce qui représente un emploi sur cinq du pays. La fonction publique d’Etat représente 2,49 millions de personnes (soit 44% du total), la fonction publique territoriale 1,94 millions (35%) et la fonction publique hospitalière 1,18 millions (21%).

Ventilation des effectifs par type de fonction publique et par missions

Fonction publique d’Etat

2.494.487

Enseignement

1.425.778

Intérieur et Outre-Mer

300.475

Armées

271.429

Economie et finances

148.795

Social

98.124

Justice

90.700

Ecologie, logement, cohésion des territoires

70.332

Culture

25.360

Fonction publique territoriale

1.935.435

Communes et intercommunalités

1.142.762

Départements

346.241

Régions

94.923

Fonction publique hospitalière

1.184.338

Hôpitaux

Dont Médecins et internes

Dont personnel soignant non médical

1.034.712

120.896

643.221

Ehpad

107.254

Autres établissements médico-sociaux

42.372

Source : DGAFP, Rapport annuel sur la fonction publique, Editions 2021.

Notion d’Etat opérateur / Etat financeur / Etat régulateur

Pour la conduite des analyses et propositions qui viennent, la note propose de distinguer les activités de l’Etat selon une classification qui suit, non les périmètres juridiques, statutaires ou budgétaires classiques, mais les grandes familles de l’action publique selon leur mode d’intervention. Sur le périmètre qui nous intéresse ici, à savoir les administrations nationales, y compris de sécurité sociale, les interventions de l’Etat peuvent être rapprochées de l’une des trois postures suivantes :

  • Etat opérateur : la puissance publique intervient par elle-même pour apporter un service ou une infrastructure au public, qu’il s’agisse de sécurité (police, gendarmerie), d’éducation, de justice, de défense nationale… ou via une entreprise publique (ex. SNCF). Cette intervention se fait parfois en cohabitation avec le secteur privé, comme dans l’enseignement supérieur, la recherche ou la santé.
  • Etat financeur : l’intervention publique est d’abord financière, qu’elle soit mobilisée en direction des ménages (APL, assurance maladie, vieillesse, aides sur l’énergie…), des entreprises (aides agricoles, aides à la restructuration, au verdissement, garanties…), des collectivités territoriales (dotations), par le biais de programmes d’investissement et d’appels à projets ou de soutien à l’activité en période de crise. Dans une certaine mesure peuvent être aussi considérés les crédits d’impôts et allègements de charges.
  • Etat régulateur : l’Etat oblige, encadre ou interdit par le biais de lois et règlements, qu’ils soient d’origine nationale ou dérivant du droit de l’Union européenne et par leur application par les décisions de justice. Il peut s’agir aussi de donner force juridique aux accords interprofessionnels dans le cadre du dialogue social. Cela peut relever aussi de l’action d’autorités indépendantes dans des secteurs précis (ex. télécoms).

Sans prétention scientifique et pour faciliter la lecture, les principales politiques publiques nationales sont ventilées ci-dessous selon un diagramme « de Venn »[3] :

Proposition n° 1 : Penser un « futur souhaitable de l’Etat », en tournant la page de la réforme de l’Etat menée depuis trente ans

Nous sommes à un de ces moments historiques où il faut repenser l’Etat, comme on l’a fait après-guerre pour la reconstruction du pays, comme on l’a fait dans les années 1990 dans le double contexte de mondialisation et de décentralisation. Désormais, c’est un Etat pour les transitions qu’il nous faut organiser[4].

L’Etat tel qu’il fonctionne aujourd’hui a été pensé dans les années 1990

La réforme de l’Etat telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui et en fait depuis trente ans, peut se décrire sommairement comme une somme de techniques imposées « par le haut » et combinant des instruments de pilotage budgétaires des administrations (généralisation des indicateurs de performance[5] et des contrats d’objectifs, régulation du nombre d’emplois publics, recours accru à la sous-traitance), des mouvements organisationnels (création d’agences, fusions entre administrations[6] ou entre universités, optimisation de la présence publique sur le territoire – ex. carte judiciaire), des incitations économiques (appels à projets, tarification à l’activité dans l’hôpital public, primes de résultat…), des privatisations (libéralisations, création d’autorités indépendantes), enfin un processus de dématérialisation avec le numérique.

Il faut souligner combien les années 1990 ont été le moment d’une catalyse de ces méthodes, à l’époque nouvelles, dans un contexte de véritable crise de l’Etat. L’Etat moderne, façonné après la Seconde Guerre mondiale dans un contexte de reconstruction[7], se trouve alors à la croisée des chemins. L’Europe[8] s’impose comme une réalité de plus en plus prégnante pour les Français et contraignante pour les gouvernants[9], et à ce mouvement « par le haut » s’ajoute l’émergence, « par le bas », des collectivités territoriales au travers des lois de décentralisation. Urbanisme, action sociale, routes… des pans entiers passent du national au local. Enfin, le crépuscule douloureux des Trente Glorieuses met en évidence une véritable crise de croissance de l’Etat, incapable de gérer des déficits endémiques[10].

C’est face à cette équation qu’émerge l’idée d’un Etat resserré, un « Etat stratège » qui serait comme le poste de pilotage d’une superstructure actionnant de multiples bras armés, un peu à l’instar d’une holding du privé coordonnant ses filiales à coup de fusions/acquisitions, de fermetures de succursales non rentables et de délocalisations et peu sensible à l’impact des actions menées ou non par les filiales. D’importants travaux académiques et administratifs sont conduits pour donner une traduction concrète à cette intention[11], à travers les instruments mentionnés plus haut, lesquels sont encore largement à l’œuvre aujourd’hui. A noter que l’enjeu national fait à l’époque écho à un mouvement international plus large et d’inspiration libérale qui s’est propagé avec la mondialisation : le new public management. Synthèse économico-managériale, cette doctrine se revendique des travaux de l’école du choix public de Chicago et des pratiques de gestion issue du secteur privé et met en exergue le modèle de l’entreprise pour inspirer les réformes des administrations.

Réussites et limites du new public management à la française

Quelles leçons tirer de la réforme de l’Etat menée depuis trente ans ? Un premier bilan est proposé en annexe[12], dont on retiendra en synthèse que les services publics historiques (école, justice, santé…) ont été particulièrement abîmés par la logique de pilotage par le haut et la montée en puissance du privé. Un certain désarmement opérationnel de l’Etat (avec toutefois des exceptions notables) est à constater, synonyme de détérioration du service rendu au public (inadaptation aux besoins des Français et aux nouveaux enjeux, éloignement notamment au niveau territorial) comme du sens pour les agents de terrain et l’attractivité de leurs métiers.

Ce retrait de l’Etat opérateur s’est accompagné d’une expansion de l’Etat financeur (sécurité sociale avec de nombreux nouveaux droits et prises en charge, dotation aux collectivités territoriales en lien avec les transferts de compétences, mais aussi les nouveaux programmes d’investissement et plans de financements). Ce mouvement laisse un bilan mitigé au plan budgétaire, dans la mesure où les efforts consentis par l’Etat opérateur ont été plus que compensés par les nouvelles dépenses de l’Etat financeur. Aussi et surtout, il faut souligner la grande désorganisation induite par les techniques d’incitations de cet Etat financeur (appels à projets, tarification à l’activité des hôpitaux…), qui ont alimenté un grand foisonnement et éclatement des initiatives[13] et justifié une nouvelle couche de bureaucratie pour piloter les financements. S’ajoutent à cela les ambiguïtés de l’Etat vis-à-vis des collectivités territoriales, avec le maintien d’une présence parfois artificielle par son pouvoir réglementaire et ses financements, malgré de réelles réussites des territoires sur la plupart des missions décentralisées.

Les principales réussites de la réforme de l’Etat sont à trouver dans les lieux d’autonomie, c’est-à-dire les agences, autorités indépendantes (dont l’affirmation s’est cependant souvent faite au détriment des administrations centrales) et entreprises publiques ainsi que dans le champ du numérique (dématérialisation des procédures, politique de la donnée). Parmi les missions socle de l’Etat, les armées et les impôts se sont adaptés avec succès aux nouveaux enjeux – mais plus par une volonté propre que par des injonctions venues d’en haut. L’innovation publique a également porté ses fruits au travers de programmes pensés dans une approche partenariale et centrée autour de l’utilisateur (cf. proposition 3) mais sans que ces méthodes n’atteignent le cœur des fonctions historiques de l’Etat.

L’Etat régulateur a été le lieu d’une impressionnante inflation normative, que n’ont pas su arrêter, loin s’en faut, les efforts de simplification. L’accélération de la vie publique (réseaux sociaux, chaînes d’infos…) a conduit les gouvernements à encore multiplier les plans et annonces, avec des services publics particulièrement exposés comme police/justice. De manière positive, la France a su mettre en place des dispositifs de régulation sectorielle (télécoms, audiovisuel, énergie…) efficaces pour orienter le marché ou corriger ses excès. Mais cette régulation sectorielle a été insuffisamment mobilisée, que ce soit pour mieux équilibrer la cohabitation entre public et privé dans des secteurs comme la santé et l’éducation ou simplement contrebalancer le pouvoir grandissant des grandes entreprises sur le destin national.

Réformer la réforme de l’Etat, en abandonnant le mythe du « recentrage » et de « l’Etat stratège »

Ce qui frappe dans les premiers éléments de bilan de la réforme de l’Etat menée depuis trente ans, c’est le rôle de certains « mythes modernisateurs », plus ou moins implicites, qui se sont révélés mal adaptés à la réalité du monde administratif et politique. C’est particulièrement le cas des indicateurs de performance et des incitations financières, inspirés du monde de l’entreprise mais d’abord facteurs de désordre dans le service public. De même, le rêve d’un Etat épuré et rationnel se fracasse contre la réalité du pouvoir politique, pris par le besoin d’agir dans l’instant et, il faut le dire aussi, par une méfiance à l’égard de l’autonomie et la crainte de voir émerger des contre-pouvoirs.

Comment faire mieux ? Trois convictions fortes guident les propositions de la note :

  • Repenser la réforme de l’Etat, ce doit d’abord être repenser l’Etat. Plutôt que de « moderniser pour moderniser » ou de n’avoir pour prisme que les questions budgétaires, le défi tient à la nécessaire clarification des grands attendus de l’Etat pour faire face aux défis d’avenir : quel Etat pour la transition écologique ? face aux nouvelles inégalités ? dans la géopolitique en recomposition ? face à l’accélération technologique ?
  • Il est également temps de mettre fin au mirage de l’Etat stratège et du mythique recentrage. Prenons acte d’une aspiration constante de nos concitoyens à une présence forte de l’Etat et pensons positivement une palette de modes d’action qui permettent au pouvoir politique de répondre présent sans pour autant tomber dans une certaine « course à l’annonce » ou céder au « micro-management » qui déstructurent l’action publique sur le moyen terme. Autrement dit, la question ne doit plus être ce qu’il faut arrêter ou s’empêcher de faire, mais comment faire différemment.
  • Enfin, la réforme de l’Etat a été largement conçue comme une contrainte externe, détachée de l’action publique. Il faut penser une boucle de rétroaction continue entre la réalité de terrain et la décision publique, et pas seulement des mécanismes institutionnels et de contrôle descendants et ponctuels.

Renouveler les sources d’inspiration

Afin de penser un Etat pour la nouvelle ère, commençons par renouveler les sources d’inspiration, au-delà de la référence à l’entreprise qui était au cœur du new public management et de la nostalgie de l’Etat de la Reconstruction et des Trente Glorieuses.

On peut citer en ce sens le municipalisme, qui, sans aller jusqu’à ses formes les plus radicales, procède d’une logique de subsidiarité pour rapprocher la décision du terrain, avec le souci d’une association constante des parties prenantes et des citoyens[14]. Un cran plus loin, on assiste à l’affirmation de communs[15], c’est-à-dire de collectifs informels qui s’« auto-instituent » pour porter des enjeux d’intérêt général en alternative aux modèles du public et du privé. Ces communs procèdent en général d’une ressource mise en partage et entretenue par la communauté, depuis les cas emblématiques du numérique avec Wikipedia et le logiciel libre jusqu’à des enjeux très concrets du quotidien comme à Bologne (Italie) et à Gand (Belgique)[16]. La politique d’ouverture des données publiques (open data) a aussi tracé des voies nouvelles de coopération entre la puissance publique, la société civile et le marché[17], comme cela est apparu pendant la crise sanitaire avec le site Covid tracker, les applications Briser la chaîne et Vite ma dose ou le rôle joué par la société Doctolib pour favoriser l’accès aux tests et aux rendez-vous de vaccination. L’utilisation du design hors du seul champ esthétique est au cœur de nouvelles visions pour penser des modes d’échanges et de rencontre, comme dans les circuits courts, la logique de guichet unique ou les tiers lieux.

En partage de toutes ces inspirations, on trouve une certaine humilité qui ne rogne pas pour autant pas l’ambition : le souci de co-construire les solutions et d’embarquer des parties prenantes pour faire masse et relever les défis, de concevoir aussi les politiques publiques en plaçant au centre l’utilisateur/bénéficiaire. Autrement dit, à l’effacement public sous-jacent au new public management, on préfère ici un changement de posture, la recherche de l’impact par des formes d’intervention moins directives et surplombantes, plus partenariales. Un autre Etat plutôt que moins d’Etat.

Penser un Etat pour les transitions

Prenons un peu de recul. Par rapport au monde des années 1990, le paysage a radicalement changé. L’environnement international dans lequel évolue notre pays est devenu extrêmement interdépendant, crisogène et en évolution accélérée. Les enjeux environnementaux et technologiques se sont imposés comme des facteurs structurants d’une géopolitique du quotidien, visible aussi bien dans l’assiette que dans la formation des opinions et où la France est désormais une puissance moyenne.

Dans le même temps, la capacité d’action du corps social national n’a jamais été aussi puissante : son tissu économique mais aussi associatif et citoyen, académique, sa population éduquée et capable de changer ses comportements à large échelle, la vigueur de ses collectivités locales… avec en contrepoint de cette richesse, le risque d’un certain fractionnement de la société, qu’il soit social, géographique, générationnel ou identitaire.

C’est dans cette équation que se joue l’avenir de l’Etat : traverser les transitions en entrainant positivement les forces de la Nation ; faire corps dans le tourbillon, non plus seulement par la contrainte et la solidarité mais aussi par l’entraînement d’une galaxie d’acteurs dont le potentiel de transformation est immense.

Ecrire une nouvelle page, y compris au niveau politique et pas seulement technique

La réforme de l’Etat est ainsi intimement liée à une vision du destin national, laquelle mérite d’être discutée, contredite, mise en débat. C’est pourquoi il est proposé d’ouvrir largement le métier sur lequel l’Etat est amené à être repensé, en mettant à bord le personnel politique et la société civile. A l’instar des importants travaux académiques et administratifs conduits dans les années 1990, il convient d’ouvrir grand la réflexion sur l’Etat et les services publics en y associant aussi la société civile et la population, car les aspirations sont aujourd’hui très fortes.

Mesure proposée : Organiser des « Etats généraux du service public » pour travailler le rôle de l’Etat et ses postures, ses modes d’action et ses instruments de pilotage et d’évaluation. Dans ce cadre, associer partenaires sociaux, collectivités territoriales, partenaires du service public (associations, entreprises, collectifs…), académiques, représentants des administrations et des citoyens… Un tel exercice sera également l’occasion de partager un bilan raisonné de la réforme de l’Etat menée depuis trente ans et de se nourrir de comparaisons internationales sur le fonctionnement des administrations. A l’issue de ces travaux, le gouvernement pourra établir un document de « doctrine d’action publique ». Celui-ci pourra être soumis aux assemblées pour un débat sans vote, pour bien marquer l’importance du document et le dépassement d’une vision seulement technocratique.

Proposition n° 2 : Organiser le réarmement opérationnel de l’Etat

La séparation de la stratégie et de l’exécution voulue par la chimère d’un Etat stratège, outre qu’elle a grandement fragilisé l’Etat opérateur, n’est plus un paradigme adapté aux transitions. Dans un contexte complexe, mouvant et interdépendant, un Etat éthéré qui se contenterait de distribuer ses ordres depuis un poste de pilotage éloigné du terrain est voué à répondre demain aux problèmes d’hier et qui plus est à y répondre mal.

Face au risque d’un Etat hors sol, il faut retrouver un ancrage dans le réel, réinvestir dans l’opérationnalité. Au-delà de la question des moyens, cela signifie de refaire confiance au terrain, de sortir d’une forme de naïveté vis-à-vis du privé, d’investir dans les compétences et les organisations, d’instaurer un dialogue apaisé avec les territoires… Cela passe aussi par la nécessaire remise en cause de dispositifs de pilotage, notamment budgétaire, qui jouent contre ces impulsions.

Etat opérateur : des missions socle à réparer

La première priorité doit être de « remplumer » l’Etat dans ses missions socle, c’est-à-dire le volet Etat opérateur. S’il appartient au gouvernement d’identifier les secteurs prioritaires à cette fin, on relèvera que la santé et l’éducation nationale font partie des quatre premières priorités exprimées par les Français de manière constante depuis 2004 dans le baromètre Delouvrier[18] au niveau de leurs attentes à l’égard des services publics. Les résultats sont-ils au rendez-vous de ces attentes ? Il est permis d’en douter au regard de l’ampleur des déserts médicaux comme des piètres performances de la France au classement PISA pour son système d’éducation. D’ailleurs, les Français qui le peuvent se détournent de plus en plus du public dans ces domaines de la santé et de l’éducation, où une alternative privée[19] existe souvent. Les règles du jeu sont trop souvent pénalisantes pour le secteur public. Elles peuvent alimenter une spirale d’affaiblissement de ce dernier et, du même coup, de la cohésion nationale.

Parmi les principales attentes des Français, la question du service de l’emploi est plus ou moins importante suivant les années du baromètre, avec toutefois une diminution constante depuis 2012. A l’inverse depuis 2014, les questions de sécurité ne cessent de progresser. Les questions relatives à la justice sont plus ou moins prégnantes selon les zones. Police et gendarmerie sont attendues en zone dense et moyennement dense, tandis que c’est la justice qui est citée dans les communes peu denses ou très peu denses.

L’attention à porter à ces domaines de l’Etat opérateur n’est pas qu’une affaire de moyens : comme les éléments de bilan de la réforme de l’Etat rassemblés dans la note le montrent, beaucoup de la fragilisation opérationnelle des services publics se joue dans son pilotage budgétaire et RH. Il y a aussi un nouvel équilibre à rechercher le cas échéant entre les moyens dévolus à l’Etat opérateur et l’Etat financeur en fonction des contraintes budgétaires que fixera le gouvernement.

Mesure proposée : Pour les domaines prioritaires que retiendra le gouvernement, notamment à la suite des Etats généraux du service public, établir un programme spécial de réarmement opérationnel. Celui-ci pourra notamment prévoir : (i) une contractualisation quinquennale des moyens financiers et humains avec le ministère chargé du budget, (ii) une enveloppe d’investissement pilotée en autonomie par le secrétariat général du ministère concerné, (iii) un programme de réinternalisation raisonné de certaines dépenses et compétences externalisées, (iv) des dispositions législatives pour mieux réguler le secteur privé le cas échant lorsqu’il y a cohabitation avec le public pour un meilleur équilibre[20].

Une sous-traitance à maîtriser

De manière transverse, il convient également de réinterroger le pilotage budgétaire de l’Etat. Celui-ci prévoit en particulier un principe de « fongibilité asymétrique », en vertu duquel la masse salariale allouée aux administrations chaque année peut être transférée en budget de fonctionnement et non l’inverse, ce qui favorise mécaniquement le remplacement de postes d’agents publics par des prestataires externes[21]. Ce dispositif a été particulièrement décrié par le collectif Nos services public, dans une note faisant état d’une sous-traitance subie dans les administrations[22], qui conduit à des situations de perte de savoir-faire et de souveraineté et parfois aussi de surcoût[23]. Le rapport récent de la commission d’enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publique[24] a, sans toutefois faire le lien avec la règle de fongibilité asymétrique, relevé que le recours à des prestations de conseil pourrait parfois être évité au profit de compétences internes.

Mesure proposée : Supprimer du pilotage budgétaire le principe de « fongibilité asymétrique » qui crée une sous-traitance « subie » ou, à défaut[25], instaurer un suivi de la sous-traitance par domaines métiers, pouvant donner lieu le cas échéant à des alertes voire des recommandations de réinternalisation à l’attention des administrations[26]. Dans le domaine, symbolique, du conseil en stratégie, une doctrine de recours à des cabinets externes pourrait être établie et contrôlée a posteriori par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), administration placée auprès du Premier ministre. De même dans le conseil en informatique, sous le contrôle de la Direction interministérielle du numérique (DINUM).

Ouvrir le débat de la responsabilité pénale

Il faut enfin reposer la question de la responsabilité pénale dans la chaîne de décision publique. La crise sanitaire a offert le triste spectacle de décideurs publics soumis à de lourdes procédures judiciaires en pleine gestion de l’urgence[27]. De nombreux témoignages ont aussi fait état d’un réflexe « d’ouverture du parapluie » dans la chaîne de décision[28], corroborant une dérive déjà identifiée en dehors du contexte du covid-19[29]. Comme le souligne le Conseil d’Etat[30], il faut éviter que les actes accomplis dans l’exercice de fonctions exécutives, qui s’inscrivent parfois dans des processus complexes, puissent constituer des « infractions involontaires ». Cela pourrait se traduire par le fait de cantonner les mises en cause au pénal pour inaction aux situations dans lesquelles le choix de ne pas agir pourrait être directement et personnellement imputable au décideur.

Mesure proposée : Ouvrir un débat sur les effets contreproductifs de la responsabilité pénale des décideurs publics, incluant le cas échéant la question d’un renforcement des autres modes de contrôles administratifs, démocratiques et déontologiques. Ce travail pourrait prendre la forme d’une conférence de consensus ou d’une mission confiée au Conseil économique, social et environnemental (CESE) afin que les décideurs publics ne soient pas soupçonnés d’œuvrer à leur propre protection.

Organiser la présence territoriale de l’Etat de manière systémique et transparente

La présence publique dans les territoires fait apparaître de grandes disparités (cf. carte ci-dessous), objet de polémiques récurrentes. Ces disparités peuvent dans une certaine mesure se justifier au regard des besoins différenciés des populations, eux-mêmes liés à la démographie, la géographie et d’autres critères spécifiques aux territoires concernés. Mais l’exemple de la Seine-Saint-Denis, sur lequel l’Assemblée nationale a décidé en 2018 de faire une évaluation spécifique[31] a de quoi interroger tant les comparaisons sont cruelles aussi bien pour la justice, que pour la police ou encore l’éducation nationale[32]. Cet écart dans l’attribution des moyens de l’éducation nationale au regard de la situation socio-économique de ceux-ci a également été relevé dans une note de septembre 2017 de France Stratégie[33].

Lecture : Le taux d’administration moyen dans la FPE pour 1000 habitants est de 32. Il oscille de 84 pour Paris à 26 pour les départements de classe 6. Pour la FPH, le taux moyen est de 16 avec un écart de 26 pour Paris à 13 pour les départements de catégorie 6. Pour la FPT, le taux moyen est de 26 avec un écart allant de 34 (toujours Paris) à 23 pour les départements de catégorie 6.

S’ajoute à cela la question, symbolique, des sites de l’Etat en région et de leur évolution (au-delà des écoles et hôpitaux, il s’agit des casernes, tribunaux, trésoreries, commissariats et antennes de police, bureaux de poste, universités, services des préfectures et sous-préfectures…). Force est de constater que la « carte administrative » a été particulièrement chamboulée au cours des dernières années[34] et si, là encore, les justifications existent, les fermetures de sites ont été ressenties avec émotion sur le terrain. Ainsi et malgré le déploiement engagé depuis quelques années des maisons France services rassemblant en un lieu unique un bouquet de services dans les territoires, s’est installé un sentiment de « déserts de services publics » dans nombre de territoires périurbains et ruraux, dépassant la seule question des déserts médicaux. Cette dimension était d’ailleurs bien ressortie du « Grand débat » organisé après le mouvement des Gilets jaunes par le gouvernement.

En la matière, si les priorités d’implantation et de déploiement des moyens relèvent du choix politique du gouvernement, de grands progrès sont à réaliser en matière de dialogue et de transparence. Un travail peut ainsi être fait pour (i) assurer la bonne coordination entre les branches de l’Etat afin d’éviter l’effet « coup de massue » que l’accumulation de décisions de fermetures de sites ou de réduction d’effectifs mal coordonnées peut provoquer[35] et (ii) mieux partager avec les acteurs territoriaux les choix gouvernementaux, ne serait-ce que pour mettre en évidence les priorités de solidarité accordées aux territoires les plus fragiles[36]. Le partage local peut aussi être l’occasion pour les territoires d’exprimer leurs attentes à l’égard de l’Etat, certains pouvant être plus attentifs au redéploiement de moyens humains de l’Etat (Etat opérateur) que de subventions (Etat financeur).

Mesure proposée : Mettre en place une « carte de la présence publique » pour coordonner l’évolution des sites des différents services publics nationaux en région, pilotée par l’agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en lien avec les associations d’élus. Présenter sur cette carte les sites actuels et les évolutions projetées à horizon pluriannuel (3 à 5 ans) et organiser autour de ces données des discussions locales avec les acteurs territoriaux, animées par les préfets en lien avec les agences régionales de santés et les rectorats. La carte pourrait identifier des zones prioritaires de présence publique en fonction des choix gouvernementaux. Elle serait publique et en données ouvertes, permettant à chacun d’identifier les services publics à moins de X minutes de chez soi (isochrones).

Investir dans l’humain et les organisations

Le pilotage par le haut voulu par la doctrine d’Etat stratège et le développement de l’Etat financeur ont fait perdre de vue l’importance des enjeux managériaux et RH du monde public. Ces enjeux ont pris pourtant dans le même temps une place de plus en plus cruciale au sein des entreprises, qui jouent souvent leur avenir pour attirer les talents sur les métiers en tension, et ce à tous les échelons de la pyramide.

Le management à la performance a engendré des effets contre-productifs désormais bien documentés dans la plupart des services publics[37], non seulement pour l’efficacité des politiques publiques elles-mêmes mais aussi pour la motivation des équipes de terrain, qui ressentent une forte distorsion entre leur vocation et le discours managérial. Compte tenu de l’importance du sens dans l’engagement public, ce facteur participe indéniablement au déficit d’attractivité qui frappe nombre de métiers publics[38].

Dans un autre registre, les difficultés de recrutement que rencontre l’Etat dans les métiers du numérique – développeur, data scientist, architecte SI… – doivent alerter. Si un travail a été fait pour combler en partie le déficit d’attractivité salariale[39], l’administration garde, notamment auprès des jeunes générations, une image de rigidité et d’austérité[40]. Le risque de cette situation est une dépendance toujours plus grande de l’Etat aux géants du numérique et/ou aux intégrateurs et conseils en informatique et une difficulté concomitante pour les administrations à utiliser le numérique et la donnée pour repenser le cœur même de leur action, au-delà du seul enjeu de dématérialisation[41].

Un premier travail à réaliser réside ainsi dans une évolution profonde des pratiques managériales, dans un sens qui respecte la vocation et l’autonomie des agents. A cette aune, il faut souligner le renouvellement profond des pratiques, y compris d’ailleurs dans le monde de l’entreprise, dont le paysage est bien plus mouvant et divers que le portrait-robot dressé par le new public management voudrait le laisser croire. Les pratiques d’intelligence collective et de co-développement, au-delà du cliché des « réunions post-it », apportent une respiration dans des processus de décision généralement très analytiques. Le management libéré[42] démultiplie l’initiative et l’engagement des équipes à qui une réelle autonomie de décision et d’organisation est reconnue. Les organisations apprenantes mettent l’accent sur les boucles de rétroaction avec les utilisateurs, partenaires, fournisseurs et les équipes, passant de la pyramide au tour de table.

Ces inspirations ne sont pas à prendre telles quelles mais elles interpellent tant le fossé est grand avec les préoccupations courantes des directions RH des administrations. Ce qui est à développer avant tout, c’est un réflexe consistant à penser la dimension RH et managériale comme un élément structurant de chaque politique publique. Pour ne citer que l’exemple de l’éducation nationale, les analyses comparées des systèmes scolaires, comme celles de l’OCDE issues de l’enquête PISA depuis maintenant vingt ans, soulignent que les systèmes scolaires les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à chaque établissement, fédérant à ce niveau la communauté éducative, dont les parents, autour d’un projet commun qui encourage les enseignants à être novateurs et à améliorer leur performance et celles de leurs collègues[43]. Autrement dit, les enjeux sont d’abord managériaux. Pour autant, il faut insister sur un point : la réponse n’est pas unique et le travail est à mener administration par administration, à l’image de ce qui a été conduit récemment par des administrations comme la DGALN[44] ou la DGE[45].

Mesure proposée : Systématiser les projets d’administrations, qui permettent de donner du sens à l’action, de résister (au moins partiellement) au « zapping » des réformes, d’identifier le cas échéant les enjeux techniques (rôle de la donnée, de l’informatique en nuage…), de repenser régulièrement les grands objectifs et modes de travail. Enfin, ces projets offrent l’occasion de se projeter sur le moyen terme au niveau RH, pour mener les campagnes de recrutement, de formation et de reconversion nécessaires pour la conduite des nouveaux enjeux. La conduite de ce type d’exercice suppose une attention bienveillante de la tutelle politique : les ministres sont comme les « sponsors » de leurs administrations pour que celles-ci puissent se réinventer.

Pour investir dans l’humain, encore faut-il que les instruments de pilotage le permettent, au-delà de la règle de « fongibilité asymétrique » déjà mentionnée. Or le pilotage budgétaire actuel met l’accent non seulement sur le budget total des administrations, mais aussi sur la maîtrise du nombre d’agents travaillant au sein de celles-ci. L’argument employé pour justifier une telle attention aux emplois publics tient en général au fait que les fonctionnaires sont employés à vie, de sorte que leur rémunération pèserait sur une longue période alors que les administrations ne seraient en mesure de justifier des besoins que sur le court et le moyen terme. Un tel raisonnement doit cependant être relativisé au regard des pratiques actuelles[46], de sorte que ce pilotage des emplois renvoie plus certainement aux polémiques récurrentes sur le nombre de fonctionnaires, qu’il conviendrait de dépasser[47].

Qui plus est, le ministère du budget a, dans sa pratique, décliné les plafonds d’emploi non seulement au niveau des grands programmes ministériels, mais aussi administration par administration et en y ajoutant des « schémas d’emplois » mesurant les équivalent temps plein travaillés au cours de l’année civile en plus du nombre d’emplois occupés au 31 décembre de chaque année. Il en résulte un réseau de contraintes particulièrement rigide qui rend difficile une gestion RH sereine.

Mesure proposée : Simplifier le pilotage budgétaire à travers un suivi centré sur la masse salariale plutôt que sur le nombre d’emplois publics, en laissant aux ministères l’autonomie pour arbitrer dans leur périmètre entre administrations, opérateurs, etc. 

Proposition n° 3 : Réinventer la planification pour les transitions, à travers un « Etat en réseau »

A côté d’un Etat opérateur remis en selle, il nous faut aussi repenser l’Etat financeur et l’Etat régulateur à l’aune des transitions.

L’expansion de l’Etat financeur observée sur les trente dernières années (cf. proposition 1) est compréhensible dans son principe en ce qu’elle peut tendre à amplifier les forces de la Nation et apporter un filet de sécurité à chacun. Mais il faut corriger les dispositifs d’incitation et de pilotage de ces dépenses (appels à projets et autres), qui ont trop souvent arrosé le sable et/ou conduit à une grande désorganisation. A l’heure des transitions, l’impératif est celui du passage à l’échelle, de sorte que l’Etat financeur doit assumer un rôle de renforcement voire de structuration du paysage d’acteurs investis dans les transitions. Il est essentiel de miser sur les dynamiques existantes plutôt que de s’imposer à l’aveugle au détriment de celles-ci.

L’Etat régulateur doit quant à lui réfréner ses ardeurs normatives et contrôlantes. Au lieu d’interdire, la priorité doit être donnée aux modes d’intervention procédant par l’entrainement des initiatives économiques, sociales, écologiques ; bref, amplifier le positif plutôt que cantonner le négatif. On attend ainsi de l’Etat de fixer le cap dans les transitions, au travers de mécanismes de type feuille de route, schéma directeurs, défis technologiques… établis et concertés au bon niveau. Quant à la surveillance et à la contrainte, il faut la focaliser sur ceux qui peuvent biaiser les transitions, en particulier les lobbies et grands intérêts privés. Dans le domaine de l’environnement, en proie à la critique d’une « écologie punitive » qui s’en prendrait davantage aux ménages modestes qu’aux grandes firmes polluantes, il faut des régulations qui sachent cibler ces dernières.

Planification : attention aux faux amis, tout est à réinventer

La planification a profondément marqué l’imaginaire français. Les plans quinquennaux établis après-guerre sur fond de reconstruction, les grands paris industriels du gaullisme, les plans pompidoliens… sont perçus comme un âge d’or perdu, une vision fantasmée d’un Etat paternaliste qui répondait aux besoins de long terme du pays. En pratique cependant, les tentatives récentes de planification calquées sur ces références, notamment dans le domaine industriel, ont toutes été des échecs, que l’on pense à l’Agence d’innovation industrielle[48], au projet de « cloud souverain » du premier programme des investissements d’avenir (2011) ou aux « 34 plans de la nouvelle France industrielle » (2014).

La planification « à l’ancienne » n’est plus adaptée à notre époque pour deux grandes raisons : (i) l’Etat opérateur n’a plus la profondeur ni la surface suffisante pour être un acteur crédible et opérer par lui-même les transformations nécessaires, à part dans un nombre très ciblé de domaines comme la production électrique et le ferroviaire à travers EDF et la SNCF, (ii) les paris technologiques sont extrêmement difficiles à réaliser dans un contexte mouvant, interdépendant et à innovation accélérée et l’Etat a perdu la capacité de pilotage nécessaire y compris dans sa posture d’Etat financeur, à l’exception notable du domaine de l’armement.

Pour autant, et c’est d’autant plus une évidence depuis que le président de la République Emmanuel Macron a annoncé vouloir faire de la France une grande Nation écologique, il nous faut retrouver une capacité de transformation du réel et l’inscrire sur le moyen terme. Autrement dit, il faut réinventer de fond en comble la planification, en réécrire la grammaire.

Un « Etat en réseau » pour relever le défi du passage à l’échelle

Au cœur de l’intention planificatrice, il y a non seulement l’ambition d’un Etat qui sache fixer le cap mais aussi une mécanique de mise en mouvement collective pour passer à l’échelle. La planification, c’est bien plus que l’anticipation ou la coordination : cela implique aussi un mode opératoire de transformation du réel et c’est bien sur cette dimension que l’Etat stratège des années 1990 est singulièrement inopérant.

Dans leur note Gouverner la transition écologique, Thierry Pech et Pascal Canfin relèvent ainsi que les défis de la transition écologique (ex. rénovation thermique des bâtiments, installation de bornes de recharge électrique…) nécessitent des opérateurs, c’est-à-dire des acteurs (qu’ils soient publics, privés, associatifs…) ayant la capacité de réaliser les opérations nécessaires sur le terrain et ce, à une échelle industrielle. Trop d’enjeux en restent à l’état d’expérimentations, d’appels à projets ou d’initiatives disparates. « Le déploiement de l’offre décarbonée attend toujours ses opérateurs » soulignent les auteurs. Autrement dit, la transition cherche encore son passage à l’échelle.

A cette aune, plusieurs programmes gouvernementaux sont à signaler, procédant d’une ingénierie publique que l’on peut embrasser sous l’expression Etat en réseau en ce qu’ils reposent d’abord par des constructions d’alliances tendant à structurer une action d’ensemble et de long terme, justement en vue d’un passage à l’échelle (cf. encadré).

Etat en réseau : une nouvelle ingénierie publique pour passer à l’échelle (encadré)

L’approche « Etat en réseau »[49] consiste à étendre l’impact de l’Etat en nouant des alliances avec des écosystèmes potentiellement larges d’acteurs – collectivités locales, associations, collectifs citoyens, entreprises privées… Le rôle de l’Etat est de fixer le cap, cartographier les acteurs et amplifier les dynamiques positives. L’Etat est d’abord un guide, un entremetteur et aussi une ressource, avec pour objectif le passage à l’échelle. Trois exemples :

Les programmes Action cœur de ville (2017) et Petites villes de demain (2020) accompagnent les centres de villes moyennes et petites en déprise, en rassemblant les aides éparses de l’Etat et des grands bailleurs de fonds (soutien aux petits commerces et aux lieux culturels, rénovation des logements, restauration du patrimoine, urbanisme et mobilités…)[50] pour les mettre au service d’un projet stratégique de revitalisation du centre-ville défini et conduit par le maire.

Le Plan France très haut débit (2013) organise le déploiement d’un nouveau réseau télécoms en fibre optique sur tout le pays, en s’appuyant sur les grands opérateurs privés, les collectivités locales, les industriels. Le plan combine des actions de coordination des investissements, de péréquation territoriale, d’équilibre des relations public-privé et entre entreprises privées par la régulation sectorielle, enfin d’animation. La France est en passe d’avoir équipé 80% des foyers en fibre optique et la quasi-totalité d’ici trois ans, pour un coût maitrisé et sans retard significatif. Malgré une impression de patchwork, la fibre se déploie à un rythme plus important que celui du plan téléphone du temps du monopole public des PTT.

Territoires zéro chômeur longue durée (2016) n’est pas un programme gouvernemental mais une initiative d’associations[51], qui consiste à mettre en emploi des chômeurs de longue durée au sein d’Entreprises à but d’emploi (EBE) reconnues par la loi. Des comités locaux définissent les travaux pertinents (recyclerie, atelier bois, couture, épicerie en milieu rural…) pour remettre le pied à l’étrier de chômeurs destinés à rejoindre ensuite le marché du travail. Le financement public dépasse légèrement les économies d’allocation chômage, dans une logique de rentabilité sociale et de long terme. Le programme, prometteur, est en phase expérimentale dans une cinquantaine de territoires.

Mesure proposée : Redéfinir toute la grammaire de la planification pour les transitions, en combinant (i) une logique de feuilles de route, à l’instar de la Stratégie nationale bas carbone[52], ou de grands défis (technologiques typiquement), pour donner la visibilité et la cohérence nécessaire aux décisions publiques et d’investissements, aux projections RH et à l’adaptation des comportements, (ii) une démarche « Etat en réseau » de passage à l’échelle par structuration proactive du paysage des opérateurs susceptibles de réaliser les changements sur le terrain, mobilisant des modes renouvelés de financement au-delà des appels à projet et le cas échéant le recours à la régulation sectorielle (cf. ci-dessous). Ce travail de structuration doit être réalisé thème par thème et gagnera à être porté par une entité dédiée, à l’instar de ce qui a été réussi dans le domaine de l’armement à travers la Direction générale de l’armement et l’Agence d’innovation de défense[53]. Sur chaque thème, la première étape de la structuration consiste à cartographier les acteurs et les dynamiques en place.

Etat financeur : remettre en cause le réflexe des appels à projets, qui trop souvent « arrosent le sable » et épuisent les acteurs

Depuis une quinzaine d’années, la logique des appels à projets s’est largement imposée dans le paysage administratif français, popularisée par l’Agence nationale de la recherche et le Programme des investissements d’avenir. Loué pour ses qualités de neutralité (l’appel est ouvert à tous) et d’émulation (entre les répondants), l’appel à projets a souvent remplacé les besoins auxquels répondait autrefois la planification ou ce qui pouvait s’en rapprocher, notamment dans le domaine technologique. Si l’appel à projets reste une modalité intéressante pour encourager les acteurs (entreprises, collectivités locales, associations…) à investir leurs forces dans une direction fixée par l’Etat[54], il est essentiel de souligner le grand foisonnement et l’éclatement auquel il conduit, la grande déperdition d’énergie qu’il génère pour préparer, conduire et contrôler les projets. Mentionnons enfin le caractère infantilisant que revêtent ces procédures pour ceux qui s’y soumettent, notamment les collectivités territoriales, remises en quelque sorte sous tutelle de l’Etat, ou encore les acteurs du médico-social qui ont pourtant porté pendant des années les innovations dans les domaines du handicap ou du grand âge.

A l’aune de ce retour d’expérience, ressort l’impression générale que l’Etat a souvent « arrosé le sable », sans réussir à structurer l’action collective sur le moyen terme, et au contraire en créant une désorganisation certaine. Il faut noter les efforts récents du gouvernement pour contourner ces écueils, que ce soit à travers le projet européen d’« Airbus des batteries » ou via des programmes visant à concentrer des aides auparavant éparses tels que Action cœur de ville, Petites villes de demain (cf. encadré), Territoires d’industries dans le soutien économique, Ma Prime Renov’ pour la rénovation énergétique des bâtiments… Ces contournements doivent nous alerter et inviter à chercher des modes d’action qui, d’emblée, fonctionnent par sédimentation/structuration et intègrent la dimension de passage à l’échelle.

Mesure proposée : Développer des modes de financement alternatifs ou complémentaires aux appels à projet et qui soient plus favorables à la structuration des écosystèmes d’acteurs, tels que : (i) des programmes de « chasse », c’est-à-dire de recherche proactive de bons projets, notamment dans les domaines technologiques et innovants[55], ce qui pourrait notamment être fait dans le cadre du nouveau programme France 2030, (ii) des dispositifs de sécurisation des investissements par contractualisation[56], (iii) une mobilisation de la commande publique qui permette à l’Etat de mieux choisir ses cibles/partenaires et de « miser » ponctuellement sur des projets choisis en lien avec les transitions, par exemple par l’élargissement du concept d’achat public innovant[57], (iv) des « appels à communs » pour rassembler toutes les bonnes volontés autour de défis partagés dans une logique de structuration (on cherche la mutualisation plutôt que la compétition)[58], (v) examiner la possibilité de soutenir en fonctionnement des partenaires associatifs et/ou des communs, dans le respect de leur gouvernance.

Etat régulateur : utiliser la régulation sectorielle pour limiter le pouvoir des lobbies et les dérives du marché

Une préoccupation récurrente face aux grands enjeux actuels tient à l’influence supposée ou réelle des grands groupes privés, nationaux ou internationaux et/ou des très grandes fortunes françaises sur le destin national. Le domaine du numérique est emblématique de ce phénomène, que ce soit à travers la mainmise de la Big Tech (GAFA et autres), le caractère oligopolistique du marché des télécoms, autrefois monopole d’Etat et désormais largement aux mains de « milliardaires », ou encore la menace supposée de l’équipementier chinois Huawei sur la sécurité des réseaux. De même, le secteur de la santé a sa Big Pharma et les questions écologiques et alimentaires sont régulièrement l’objet de polémiques sur le rôle des lobbies et leur capacité à guider les choix politiques.

De fait, la montée en puissance des entreprises privées dans des secteurs omniprésents dans nos vies quotidiennes et les dérives du marché qui, sans être la règle, restent bien réelles comme l’exemple du groupe Orpéa l’a douloureusement rappelé dans l’actualité à propos des Ehpad[59], pose un vrai défi à l’Etat et finalement à la démocratie. L’exemple de la privatisation des autoroutes en 2005 illustre également une certaine naïveté de l’Etat face au risque de comportements prédateurs.

Dans les transitions, l’Etat doit retrouver la capacité à peser sur les choix structurants des grandes entreprises. Il ne s’agit pas de revenir à une économie administrée où le gouvernement fixait le prix de la baguette de pain, mais de pouvoir inciter les grands groupes à certains choix d’investissement et de positionnement (cf. point précédent sur la planification réinventée) ou pour mettre des limites à certains comportement contraires aux impératifs de la Nation dans les transitions.

Il faut pour cela davantage mobiliser la régulation sectorielle. Rappelons que dans les secteurs régulés, le régulateur peut ordonner aux entreprises la communication d’informations confidentielles pour contrôler leurs comportements et le cas échéant prononcer des sanctions pécuniaires. Le régulateur peut imposer des obligations telles que le partage de certaines infrastructures à des tarifs régulés pour empêcher la monopolisation du marché. En outre, la régulation peut être ciblée sur les acteurs les plus puissants du marché, ce qui permet d’éviter de faire porter à tout un secteur une charge administrative disproportionnée[60].

Or si la régulation sectorielle a été souvent conçue à l’origine dans une logique de libéralisation, les développements récents montrent que la régulation peut être un outil puissant de structuration du marché aux fins de répondre à des objectifs d’intérêt général. Ainsi dans les télécoms, l’accent a été mis sur l’investissement dans les réseaux et la couverture des territoires et plus récemment sur le suivi de l’impact environnemental du numérique[61], dépassant de loin les enjeux de développement de la concurrence et de bienfait du consommateur.

En complément de la régulation au sens strict, mentionnons aussi les outils dont disposent l’Etat et les territoires en matière d’occupation du domaine public[62] et qui peuvent être mobilisés aux fins d’orienter le marché.

Mesure proposée : lancer une mission de réflexion pour de nouvelles régulations sectorielles portant sur des enjeux structurants pour les transitions (logement, alimentaire…) ou pour le fait de compléter des régulations existantes (transports, énergie…), avec pour objectifs d’orienter, limiter ou structurer le marché.

Proposition n° 4 : Passer de « l’Etat profond » à la « démocratie profonde »

La complexité et le caractère systémique des transitions appellent un renouvellement des pratiques démocratiques vers plus de participation. Le programme présidentiel d’Emmanuel Macron pour son nouveau mandat prévoit d’ailleurs l’organisation de « conférences des parties prenantes » sur des thèmes majeurs comme celui de l’avenir de l’école et l’accès aux soins. Il est essentiel que cette participation ne s’arrête pas aux portes du processus de décision politique. Les services publics gagnent immensément à s’immerger dans une relation avec les citoyens au quotidien, pour mieux coller à leurs réalités et leurs attentes en continu. Au pilotage par le haut, dont les indicateurs de performance de l’Etat stratège des années 1990 sont le stigmate, doit se substituer une boucle d’interaction et de rétroaction de nature à favoriser de manière beaucoup plus intime l’adéquation et l’efficacité des services publics.

Le vent de la participation doit souffler aussi dans les administrations

Les analyses et rapports se multiplient[63] pour appeler à une intégration beaucoup plus soutenue de la participation citoyenne dans les grands choix publics, dans un contexte de défiance accrue à l’égard des institutions – mouvement qui dépasse d’ailleurs largement les frontières nationales[64]. « Cycle délibératif national », « continuum délibératif », « démocratie continue »… les formules convergent pour davantage impliquer les Français, que ce soit sous la forme de grandes consultations comme le Grand débat organisé après la crise des Gilets jaunes, de conventions citoyennes thématiques comme la Convention citoyenne pour le climat, l’inclusion de témoins et/ou de groupes de citoyens tirés au sort dans des travaux tels que les Etats généraux de la justice, la mise en place de plateformes numériques pour créer une médiation avec les citoyens…

Mais cette montée en puissance du participatif, éminemment souhaitable pour revivifier la démocratie représentative, est surtout évoquée dans le débat public à propos des grandes décisions de nature politique. Cet éveil des consciences bienvenu ne doit pas occulter le volet administratif de la participation, qui est au moins aussi important. Signalons en effet la défiance croissante exprimée à l’égard des hauts fonctionnaires et des syndicats de la fonction publique, soupçonnés de se servir de l’Etat comme d’une prébende chacun à sa manière. Les fantasmes autour d’un « Etat profond » (deep state) ont depuis quelques années franchi l’Atlantique dont ils étaient originaires et le pouvoir politique national s’interroge lui-même régulièrement sur la loyauté réelle de son administration lorsqu’il ne la tance pas pour sa supposée propension à l’attentisme voire au blocage des réformes par grève du zèle

Au-delà de la co-décision, systématiser la co-conception, la co-action et la co-évaluation

Sur une note plus positive, la participation peut être un outil puissant pour assurer une meilleure adéquation des services publics aux besoins des Français. Les inspirations précédemment évoquées dans la note pour réinventer l’Etat (municipalisme, communs, données ouvertes, design, approche « Etat en réseau »…), nous montrent la voie d’une interpénétration potentiellement très profonde entre les administrations et la société, à la fois en termes d’acteurs impliqués (collectifs citoyens, associations, collectivités territoriales, entreprises, communs, partenaires divers) mais aussi à chaque étape du processus, c’est-à-dire non seulement à travers la co-décision mais aussi :

  • la co-conception des réponses, comme par exemple dans le New deal mobile[65] conclu en 2018 entre le gouvernement, les grands opérateurs télécoms et le régulateur sectoriel pour la couverture 4G des zones rurales, dans lequel ce sont les maires des communes qui font remonter leurs besoins de couverture, à partir de leur expérience du terrain et de leurs priorités, et obtiennent un pylône installé et payé par les opérateurs (alors que dans les programmes précédents, ce sont les opérateurs qui décidaient des implantations) ;
  • la co-action, c’est-à-dire l’implication de tiers dans l’opérationnalisation de la réponse, comme par exemple dans la Réserve civique mise en place avec le site jeveuxaider.gouv.fr et qui a mis en relation des volontaires et des bénéficiaires d’aide en plein cœur de la crise sanitaire[66] ; on peut aussi citer les Partenariats public-commun comme celui initié par l’IGN (institut national de l’information géographique et forestière) pour créer notamment une base ouverte de vues immersives alternative à Google street view en lien avec la communauté libre Open Street Map qui revendique 40 000 contributeurs[67] ;
  • la co-évaluation, que promeut par exemple l’initiative gouvernementale Service public + qui accompagne depuis 2019 des administrations en lien avec le public dans une démarche d’amélioration continue mobilisant des retours d’utilisateurs ; signalons que la co-évaluation appelle aussi un changement de culture pour permettre aux administrations d’admettre s’être trompées sans être mises en risque.

Toutes ces dimensions, qui forment la promesse d’une véritable « démocratie profonde » en contrepoint d’un putatif « Etat profond », ne sont pas toujours déclinables avec la même intensité en fonction des services publics concernés. Par exemple dans la police, il est difficile d’imaginer de mobiliser une large population de réservistes pour venir en soutien des forces de l’ordre dans une logique de co-action (pour des raisons de sécurité, de respect des libertés, de bonne marche du service…). En revanche, pourquoi ne pas davantage concerter les choix d’équipements et les techniques d’intervention des policiers, qui sont l’objet de polémiques récurrentes, dans une logique de co-conception ? Partout, la participation peut et doit trouver sa place.

Mesure proposée : Généraliser la participation dans les services publics eux-mêmes, au-delà de la dimension proprement politique des grandes consultations et conventions citoyennes. Au-delà de la co-décision, il faut intégrer la co-conception des réponses, la co-action dans l’opérationnalisation de celles-ci et la co-évaluation dans une logique d’amélioration continue des services publics. Ces démarches de participation doivent impérativement être portées par les administrations elles-mêmes, dans une logique proche de l’animation de communautés, à rebours de l’idée qui a pu être avancée de confier une sorte de monopole en la matière à une institution telle que la Commission nationale du débat public (CNDP). Cette autorité indépendante pourrait en revanche évoluer vers un rôle proche d’un « conseil de l’ordre » vis-à-vis des « garants » qui seraient chargés de veiller au respect de principes (d’information, de transparence, d’accessibilité, d’inclusion…) dans la conduite des démarches participatives.

Transparence sur les lobbies… et ceux qui les contrôlent

A propos des enjeux démocratiques, indiquons ici une nouvelle fois l’importance prise par de grands acteurs privés dans la vie quotidienne de nos concitoyens et la nécessité d’y faire contrepoids dans les transitions, notamment à travers la régulation sectorielle (cf. proposition 3). La crainte de voir les lobbies peser dans les grands choix d’avenir invite à exiger la plus grande transparence non seulement sur les grands intérêts privés mais aussi vis-à-vis des autorités sectorielles qui les contrôlent. Le fait que celles-ci soient indépendantes du pouvoir politique constitue une garantie essentielle mais qui n’épuise pas la question de leur contrôle démocratique, que l’on peut traduire par la formule « Quis custodiet ipsos custodes ? » ou « qui est-ce qui garde les gardiens ? ».

Mesure proposée : En complément des garanties générales entourant le fonctionnement des autorités indépendantes (collégialité, inamovibilité des membres du collège, prévention des conflits d’intérêt, décisions soumises à consultation publique et susceptibles de recours…), prévoir une audition de leur collège par des jurys citoyens tous les deux ou trois ans autour des grands enjeux liés aux transitions. Ces derniers pourraient par exemple être composés sous le contrôle du Conseil économique, social et environnemental (CESE)[68].

Proposition n° 5 : Passer de la réforme de l’Etat à la fabrique des réformes

La réforme de l’Etat a trop été vue sous l’angle de la « simplification » et de la « modernisation ». Ces injonctions venues d’en haut n’ont su que rarement entraîner les organisations et les collectifs de travail concernés. Il est temps de penser une véritable fabrique de l’action publique qui sache placer en son centre les services publics eux-mêmes et permette de réconcilier les priorités politiques, le discours managérial et la vocation des agents, le tout au service de nos concitoyens.

Privilégier le « dernier kilomètre » des priorités gouvernementales à une réforme exhaustive et scolaire de l’Etat

Tous les dispositifs de réforme de l’Etat depuis les années 1990 partent du présupposé selon lequel « tout le monde doit y passer ». Ainsi le commissariat à la réforme de l’Etat sous la présidence de Jacques Chirac, les exercices de la RGPP (révision générale des politiques publiques) sous celle de Nicolas Sarkozy, la MAP (modernisation de l’action publique) avec François Hollande et AP 2022 (action publique 2022) au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, chacun de ces programmes a, à sa manière, procédé par exhaustivité, passant en revue chaque politique publique, chaque administration pour chercher les économies, simplifications et gains de performance à réaliser.

Cette technique du tamis exhaustif mobilisant un discours modernisateur assez général s’avère en fait peu adaptée. Plutôt que de raisonner sur le « stock », c’est-à-dire sur l’existant, mieux vaut agir sur le « flux », c’est-à-dire sur les projets porteurs des priorités politiques du gouvernement ou répondant à des actualités particulières. Le succès de la mise en œuvre du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu au 1er janvier 2019, ou du dispositif SI-DEP de remontée de tests covid mis en place en trois semaines auprès de 5000 laboratoires en pleine crise sanitaire, illustrent combien l’impératif politique peut servir à la fois de momentum et de motivateur pour permettre aux administrations d’évoluer en profondeur. De même, les programmes déjà cités Action cœur de ville, Petites villes de demain, Plan France très haut débit et New deal mobile définis ou complétés concomitamment à la mise en place de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) accréditent le bienfondé de cette approche : les politiques publiques et les organisations qui les mettent en œuvre se nourrissent l’une l’autre dans des dynamiques positives porteuses de nouvelles visions.

Cette priorité à donner au « flux » est aussi une manière de répondre à la préoccupation exprimée ces dernières années par l’exécutif autour de l’enjeu du « dernier kilomètre », c’est-à-dire en creux du risque de voir certaines actions décidées par le pouvoir politique imparfaitement mises en œuvre sur le terrain. En couplant objectif politique et évolution des administrations, on maximise les chances de succès dans l’implémentation.

Chaque ministère et chaque administration garderait bien entendu sa capacité d’initiative pour conduire des programmes de modernisation, notamment dans le cadre de projet d’administration comme évoqué à la proposition 2.

Mesure proposée : Faire de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) une Fabrique des réformes, chargée de faire vivre la doctrine d’action publique issue des Etats généraux du service public (cf. proposition 1). Le Premier Ministre inviterait alors ses ministres à co-construire leurs plans et réformes au sein de la Fabrique, en commençant par les mesures annoncées dans son Discours de politique générale. Le ministre de tutelle de la Fabrique serait ainsi co-auteur des principales réformes gouvernementales et en assurerait la cohérence. La Fabrique continuerait à porter les missions de la DITP, notamment les programmes de modernisation ouverts à toutes les administrations.

Passer de l’inspection à l’amélioration continue et partagée

Si la question de l’évaluation des politiques publiques est l’objet de débats et d’analyses récurrentes[69], les conclusions qui en ressortent portent le plus souvent sur la nécessité de renforcer l’évaluation des administrations par le haut : donner plus d’indépendance et de cadrage méthodologique aux évaluations commanditées par l’exécutif, rapprocher le monde administratif et celui de la recherche, muscler les études d’impact conduites à l’occasion des projets de loi, renforcer le contrôle de l’exécutif par le Parlement… Ce biais, typique de l’Etat stratège des années 1990, peut aussi se lire dans la « hiérarchie » qui prévalait traditionnellement entre les corps de sortie de l’ENA, plaçant à sa tête les corps d’inspection et de contrôle (Inspection des finances, Conseil d’Etat, Cour des comptes, Inspection des affaires sociales), jugés au fond plus « nobles » que les corps à dominante opérationnelle (Préfectorale, corps des administrateurs civils) échéant en général aux élèves les moins bien classés.

Si ces dispositifs d’évaluation sont nécessaires pour des raisons tant juridiques que démocratiques, ils ne doivent pas occulter le besoin éminent qu’ont les administrations de se doter de dispositifs d’évaluation interne et d’amélioration en continu. Sur ce thème, se joue également le défi de sortir des silos administratifs, qu’illustre bien la difficulté dans laquelle se trouver la justice judiciaire. Cette dernière, se trouvant en bout de chaîne, hérite d’une inflation de contentieux résultant souvent des fractures notamment sociales qui perdurent et se trouve ainsi en quelque sorte victime de l’insuffisante efficacité des autres services publics. Pour autant, l’on manque d’un d’espace de remontée de ces carences susceptible d’alimenter une boucle de rétroaction utile. Dans un autre registre, on peut mentionner les pompiers, de plus en plus sollicités pour des situations qui dépassent leur vocation initiale mais pour lesquelles ils se trouvent mobilisés à défaut d’autre réponse publique.

Mesure proposée : Outre la co-évaluation, systématiser les démarches de retex consistant pour les administrations à formaliser des retours d’expérience sur des projets ou des réformes. Les administrations pourront le cas échéant se doter d’équipes d’évaluation interne à cette fin[70]. Ces retex doivent pouvoir garder le statut de documents internes pour ne pas émousser la franchise de leur contenu. La DITP pourra jouer un rôle de passeur et de facilitateur pour ouvrir des espaces d’échange et de partage entre pairs à l’intérieur de la sphère publique autour de ces retex.

Des hauts fonctionnaires leaders dans les transitions

Essayons enfin de dresser le portrait-robot du parfait dirigeant public dans les transitions. Beaucoup des changements que la présente note développe sont en réalité de nature culturelle, de sorte que le dirigeant a d’abord un rôle à jouer pour « décaler » le regard par rapport au moule technocratique traditionnel, faire un pas de côté vis-à-vis d’un certain réflexe de contrôle et de centralité inhérent au monde administratif. Il y a un « lâcher prise » à autoriser, que ce soit au profit d’une plus grande autonomie reconnue au terrain, d’un travail en écosystèmes et au sein d’alliances nouées avec des partenaires, d’une progression en mode essai/erreur… Le dirigeant public peut gagner à dépasser sa posture de personnage institutionnel pour être aussi porteur de sens et participer à l’attractivité de son administration. Il peut s’agir de mettre du récit dans les visions stratégiques, de placer l’accent sur l’humain dans les projets RH, d’activer le levier de l’envie et de la fierté (« voilà comment demain nous allons répondre aux défis de la Nation ») plutôt que le discours de la contrainte (« on nous demande de nous moderniser »). Mentionnons également les nouveaux ingrédients apportés par le numérique, le design, ou encore les sciences comportementales : l’utilisateur au centre, l’importance de la donnée, la participation, les techniques d’incitation douce… Evidemment, les enjeux environnementaux doivent, plus que jamais, intégrer le logiciel des dirigeants et au-delà une « curiosité » pour les réalités de la vie quotidienne des Français.

Soyons honnêtes, tout cela fait beaucoup ! Aussi, plutôt qu’un moule unique, c’est d’abord la diversité des profils et des parcours qu’il y a lieu de privilégier, en intégrant l’enjeu de féminisation et de diversité sociale. Valorisons non seulement le passage en entreprise mais plus généralement des changements de contexte dans les parcours : expériences opérationnelles et en région, variété de politiques publiques traitées, engagement associatif, activité de recherche… La priorité est d’éviter la monoculture là où il faut des regards croisés. A fortiori, ne pas céder à la tentation d’une réponse unique tendant typiquement à « former les hauts fonctionnaires ».

Mesure proposée : Confier à la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE), récemment mise en place dans le cadre de la réforme de l’ENA pour jouer le rôle de « DRH » des cadres publics, un rôle d’animateur de cette communauté, en décloisonnant entre fonction publique d’Etat, territoriale et hospitalière[71]. Systématiser les programmes de sensibilisation aux transitions mais plutôt sous forme de sessions apprenantes et d’explorations que de simples formations, en suscitant l’engagement au travers de projets concrets. Favoriser les pratiques « virales » d’échanges entre pairs, en valorisant les réseaux d’agents publics plus ou moins formels. Mettre en place des « contrats de génération » inversée afin que les jeunes hauts fonctionnaires transmettent aux cadres supérieurs administratifs en place leur savoir sur des enjeux clés comme l’écologie, le numérique ou la participation.

Reste enfin la question des nominations des dirigeants publics. Aussi utile et nécessaire qu’ait été la réforme de l’ENA et des « grands corps », elle ne fera pas disparaître en un jour les divers biais sociologiques et corporatistes qui peuvent jouer dans des processus de désignation qui, bien que s’étant grandement professionnalisés ces dernières années avec la mise en place de comités d’audition de plus en plus systématiques, restent encore trop opaques.

Mesure proposée : Le recrutement des directeurs d’administrations et d’établissements publics doit respecter, sans exception autre que des motifs impérieux, les principes suivants : (i) publicité préalable sur la disponibilité des postes, (ii) comité d’audition avec composition normalisée des comités, (iii) intégration les enjeux relatifs aux transitions dans les critères de recrutement.

Annexe : bilan express de la réforme de l’Etat menée depuis 30 ans

Ce document propose un premier bilan de la réforme de l’Etat menée depuis 30 ans, sur la base de rapports administratifs, parlementaires et académiques, comme de l’expérience propre des auteurs, qui reconnaissent le caractère partiel et trop rapide de ce document. Notons qu’il ne s’agit pas d’un bilan du quinquennat passé, ni de l’action de tel ou tel gouvernement mais d’un essai d’appréciation portant sur toute la réforme de l’Etat de ces trente dernières années.

 

Réussites

Limites

Décentralisation

Le rapprochement du terrain a été très positif pour les politiques les plus visibles des citoyens (infrastructures, espaces publics, services publics locaux).

Les régions ont bien investi leur rôle de stratège territorial, notamment dans le champ de l’économie, des transports et de l’environnement.

La dynamique des EPCI permet de rattraper des coordinations jusqu’alors insuffisantes (aménagement périurbain).

Surinvestissements (TER coûteux, stades surdimensionnés).

Bilan des départements peu lisible dans le champ social.

L’Etat continue de maintenir une présence parfois artificielle par son pouvoir réglementaire et ses financements.

Paysage instable du fait du rythme trop soutenu des lois portant sur les compétences des collectivités.

Agenciarisation

Professionnalisation des activités confiées aux agences, grâce notamment à une action structurée sur le moyen/long terme et des politiques RH plus flexibles.

De nouvelles agences, parfois issues de fusions, ont significativement accru l’impact de l’Etat. Ex : Bpifrance, Pôle Emploi, Business France.

La création de la Banque des territoires a permis une meilleure intégration des priorités gouvernementales par la Caisse des dépôts et consignations.

Des autorités indépendantes qui ont apporté des garanties de neutralité dans le champ des droits (ex. Défenseur des droits, CNIL), de l’économie (ex. Autorité de la concurrence, Arcep) ou autre (ex. ASN).

L’affirmation des agences s’est trop souvent faite au détriment des administrations centrales supposées assurer leur tutelle (ou être leur pendant gouvernemental pour les autorités indépendantes).

L’autonomie reconnue aux agences a conduit à une certaine profusion des initiatives, sans coordination suffisante.

Faible renouvellement du corps social des agences (effet de silo RH).

Les autorités indépendantes restent des objets administratifs mal acceptés par le pouvoir politique.

Incitations économiques et pilotage à la performance

A permis de poser un fondement rationnel au pilotage des moyens et résoudre certaines inégalités historiques (ex. moyens dévolus aux hôpitaux publics).

Le développement des ressources propres a parfois conduit les administrations à se rapprocher de leurs publics et partenaires.

Incitations contreproductives : ex. le suivi des statistiques de la délinquance peut influencer le comportement des policiers, ex. la tarification à l’activité dans la santé peut désinciter les acteurs à coopérer sur le terrain.

Risque de perte de sens pour les agents publics : critères d’évaluation ne correspondant pas à la vocation, déconstruction des collectifs de travail, temps important dévolu à la recherche de financements …

La chasse aux financements (ANR, programmes d’investissement d’avenir, ressources propres, emplois « hors plafonds »…) induit un risque de zapping des projets sans sédimentation, alimentant un grand foisonnement et éclatement des initiatives (concurrence entre institutions publiques vs. coopération) et induisant une nouvelle couche de bureaucratie désautonomisante (collectivités territoriales se sentent sous tutelle, création de nouvelles structures de pilotage…).

Les indicateurs (en général des moyennes nationales) représentent rarement la diversité et la complexité des situations (à noter toutefois l’effort du baromètre départemental de l’action publique). Une évaluation des politiques publiques trop abstraite.

Montée en puissance du secteur privé 

Le recours à la sous-traitance a permis à l’Etat de se recentrer sur son cœur de métier (ex. progiciels, gestion du courrier…) et d’accéder à un meilleur état de l’art (ex. stockage des données numériques dans le nuage).

Le modèle des délégations de services publics est sous contrôle depuis l’arrêt des PPP, qui avaient conduit à des dérives.

Parmi les secteurs récemment ouverts à la concurrence, celui des télécoms est le plus convaincant en termes de service apporté aux usagers (accès, prix, technologie), au prix toutefois d’une intervention publique qui est restée significative (plan France Très Haut débit).

Le pilotage budgétaire (plafonds et schémas d’emplois combinés au principe de « fongibilité asymétrique ») a conduit à une externalisation subie avec le risque d’une perte de savoir-faire pour l’Etat, un coût potentiellement plus élevé à l’arrivée et des filières RH insuffisamment structurées (ex. grands projets informatiques pilotés par des SSII).

La cohabitation entre public et privé a eu des résultats très hétérogènes, avec des secteurs régulés où cela fonctionne plutôt bien (ex. culture) et d’autres où les services publics sont en souffrance par déficit de régulation (lycées et universités, hôpitaux publics et EHPAD).

Concurrence : régulation trop tardive des transports (concessions autoroutières) et résultats mitigés dans l’énergie.

Dématérialisation 

Des réussites exemplaires dans la mise en place de procédures en ligne (déclaration et paiement des impôts, permis de conduire, à suivre : espace de santé).

La France parmi les premiers pays de l’OCDE pour l’ouverture des données publiques.

Une nouvelle architecture coopérative pour l’informatique d’Etat, avec l’exemple de « France connect ». La mode des grands projets SI ruineux semble globalement passée.

Une forme de naïveté techno-solutionniste des années 2000 a fait des dégâts avec la disparition des guichets physiques (sentiment de maltraitance, situations d’illectronisme). A noter toutefois la mise en place récente de médiations numériques.

Une vision systémique des enjeux numériques de l’action publique portée tardivement (ex. administrateurs ministériels des données désignés en 2019) et encore partiellement.

Des filières métier insuffisamment structurés sur des compétences en tension.

Un effort encore trop porté sur les procédures externes au détriment de l’interne, où des systèmes anciens et inadaptés perdurent souvent.

Simplification administrative et « carte » des services publics

Une forme de maturité récente (après une certaine brutalité de la RGPP et de la ReAT) sur le fait de ne pas piloter les réformes d’abord par les aspects organisationnels et le souci de ne pas multiplier les structures.

Un renforcement récent de la présence publique dans les territoires (Maisons France Services, redéploiement d’antennes de la DGFiP en région).

Développement récent d’une approche qualité (service public +) et design (design +).

Un rôle des préfets récemment étendu à la coordination de l’action gouvernementale en région.

Portée très limitée des démarches de simplification normative.

La restructuration de la présence en région des services publics a été gérée sans coordination ni vision d’ensemble, conduisant à un sentiment d’abandon de certains territoires.

Le développement du financement par projets a accru l’émiettement de l’action publique, avec des gouvernances alourdies par des cofinancements généralisés.

Rien n’a réussi à empêcher l’inflation législative et normative ni le zapping des réformes.

L’Etat en région a souvent le mauvais rôle (contrôle), notamment par rapport aux agences, ce qui freine sa capacité d’entraînement des acteurs en local.


[1] Thierry Pech et Pascal Canfin, « Gouverner la transition écologique », Terra nova, novembre 2021.

[2] Au sens d’Eurostat, contre 50,8% en Allemagne et 53,8% en moyenne en Europe.

[3] Certaines politiques relèvent concomitamment de plusieurs modes d’action, ex. la culture qui combine l’Etat opérateur (ex. musées nationaux, audiovisuel public), l’Etat financeurs (ex. soutien à la création, loi Malraux) et de l’Etat régulateur (ex. prix unique du livre, chronologie des médias). Pour faciliter la lecture, le choix est toutefois fait de donner priorité à une dimension dominante lorsqu’elle existe.

[4] Voir aussi le rapport Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique, publié en mai 2022 par France Stratégie après deux ans de travaux.

[5] La LOLF, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, prévoit la mise en place d’une série d’indicateur de performance pour chaque politique publique selon une classification par programme budgétaire.

[6] Particulièrement pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy à travers la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de l’administration territoriale de l’Etat (ReATE).

[7] A travers la constitution de grands services publics et des principales administrations, le statut général de la fonction publique, la généralisation de la sécurité sociale, la planification, sans parler des nationalisations.

[8] Avec l’Acte unique (1986), le traité de Maastricht (1992), la mise en place de l’espace de Schengen (1985–1995). La supériorité de tous ces traités est reconnue par le fameux Arrêt Nicolo du Conseil d’Etat (1989).

[9] La règle des 3% de déficits publics, l’encadrement strict des aides publiques, un droit national soumis à la règle du pays d’origine dans un nombre croissant de domaines, la libre circulation des capitaux… ainsi que des mouvements d’ouverture à la concurrence, à commencer par celui du secteur des télécoms en 1998.

[10] Pour une histoire de l’Etat français et de sa réforme, voir Bezes P., Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962–2008), PUF, 2009.

[11] Rapport du Commissaire général au plan Christian Blanc, Pour un état stratège, garant de l’intérêt général, 1993 ; rapport de la « commission Picq » mandatée par Edouard Balladur, L’Etat en France, service une nation ouverte sur le monde, 1994

[12] Voir aussi Bacache-Beauvallet M. Où va le management public ?, rapport Terra Nova, 2016

[13] Phénomène récemment dénoncé par Jean-Louis Borloo dans L’alarme, avril 2022.

[14] La commune de Saillans (Drôme) a adopté son PLU (plan local d’urbanisme) de manière participative. La commune de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) propose un programme « fifty-fifty » de co-financement d’initiatives citoyennes.

[15] Voir notamment, Emmanuel Dupont, Edouard Jourdain, Les nouveaux biens communs ? Réinvernter l’Etat et la propriété au XXIe siècle, Fondation Jean Jaures et Editions de l’Aube, 2022.

[16] Ex. collectifs de citoyens pour le nettoyage des murs dans la ville de Bologne. Voir le dossier très complet de la 27ème Région enacting the commons : https://enactingthecommons.la27eregion.fr/

[17] Voir par exemple le rapport Pour une politique publique de la donnée coordonné par le député Éric Bothorel, décembre 2020.

[18] Institut Paul Delouvrier, 22e édition du baromètre de l’institut Paul Delouvier : les services publics vus par les Français et les usagers, janvier 2022.

[19] Cela est particulièrement notable pour l’enseignement supérieur où le privé représente 21,3% des étudiants contre 12,8% en 2000 et 17,6% en 2010. Source : MESRI, Note flash du SIES, n° 17 juillet 2021.

[20] A propos de la régulation sectorielle, voir Proposition 3.

[21] Pour généraliser le propos, cette règle incite, à coût identique, à rendre le service en minimisant le nombre d’emplois « sous plafond » mobilisés. Outre la sous-traitance, il peut s’agir de rechercher une automatisation des tâches, une réduction de la présence territoriale au profit d’interfaces numériques, le recrutement d’employés « hors plafond » (apprentis, contractuels dans le cadre de programmes de financement).

[22] https://nosservicespublics.fr/externalisation                                                       

[23] Le domaine des grands projets informatiques est particulièrement emblématique de ces surcoûts issus d’une maîtrise insuffisante des travaux par les commanditaires.

[24] https://www.senat.fr/rap/r21–578–1/r21–578–1.html

[25] Il s’agit d’une disposition de la LOLF, déjà citée. S’agissant d’une loi organique, sa modification suppose une majorité absolue à l’Assemblée nationale et un accord du Sénat, ce qui peut requérir un consensus politique au-delà de la seule majorité gouvernementale et présente donc un certain aléa.

[26] Ce suivi devrait en toute hypothèse être réalisé par la Direction des achats de l’Etat. Mais il faudrait que celle-ci dispose en ce sens d’un mandat fort compte tenu de ses liens historiques avec Bercy et du prisme budgétaire y afférent et/ou d’une évolution de sa tutelle ministérielle.

[27] Rappelons qu’en juillet 2020, la cour de justice de la République ouvrait une information judiciaire pour « abstention de combattre un sinistre » à l’encontre de six responsables politiques, gouvernementaux et administratifs de la première vague du covid-19 du printemps, dont le Premier ministre Edouard Philippe et le ministre de la santé Olivier Véran. La presse s’est fait l’écho d’opérations de perquisition au domicile et au lieu de travail des personnes concernées en octobre de la même année, lors de la deuxième vague.

[28] Outre les nombreux témoignages oraux recueillis par les auteurs de manière informelle, on peut citer Bergeron H., Borraz O., Castel P., Dedieu F., Covid-19 : une crise organisationnelle, Presses de Sciences Po, 2020.

Au printemps 2020, le Sénat a également relayé l’inquiétude des maires et des exécutifs locaux face à de possibles mises en cause pénale pour leur gestion de la crise sanitaire au plan local.

[29] De manière générale, les effets pervers de la responsabilité pénale sur la bonne marche de l’administration avait été analysée en détail dans l’étude annuelle 2018 du Conseil d’Etat : La prise en compte du risque dans la décision publique : pour une action publique plus audacieuse.

[30] Etude annuelle 2021 du Conseil d’Etat : Les états d’urgence : la démocratie sous contraintes.

[31] Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, Rapport d’information sur l’évaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine Saint Denis, mai 2018.

[32] Sur 12 TGI aux caractéristiques proches de celui de Bobigny, celui-ci est en dernière position en termes de moyens. La ville de Saint-Denis compte 1 policier pour 464 habitants alors que le 18e arrondissement de Paris, moins criminogène bénéficie d’1 policier pour 315 habitants. Dans le domaine de l’éducation nationale, l’établissement le moins bien doté est mieux doté que le plus doté des établissements de la Seine-Saint-Denis.

[33] France Stratégie, « Elèves, professeurs et personnel des collèges publics sont-ils équitablement répartis ? », n° 61, septembre 2017. Certains collèges hors éducation prioritaire apparaissent mieux dotés que nombre d’établissement d’éducation prioritaires même si la moyenne est au profit des collèges en zone prioritaire. Surtout cette note montre que les moyens alloués aux établissements sont extrêmement hétérogènes et sont plus le fruit de l’histoire que d’une approche de critères objectifs compte tenu des besoins.

[34] Rapport de la Cour des comptes, Les services déconcentrés de l’État, décembre 2017.

[35] Dossier La Gazette des communes, « Quand les services publics s’en vont ».

[36] Laurent Davezies souligne l’importance de la redistribution au profit des territoires. L’État a toujours soutenu ses territoires, Seuil, 2021.

[37] Pour une synthèse : Soriano S., Un avenir pour le service public, Odile Jacob, 2020, chap. 2.

[38] Rapport sur les travaux relatifs aux perspectives salariales dans la fonction publique de Paul Peny et Jean-Dominique Simonpoli, mars 2022. S’agissant de la question du sens, le rapport précise : « Chez les candidats aux concours de la fonction publique, c’est l’intérêt du métier qui demeure la première motivation, mise en avant par plus de neuf candidats sur dix ainsi que l’intérêt pour le service public et l’action publique (75 % des candidats mettent en avant ces éléments) ».

[39] Fin 2021, un référentiel a été adopté pour fixer des seuils de salaires pour 56 métiers du numérique et des systèmes d’information et communication. Ce dispositif s’applique seulement aux contractuels.

[40] Ce facteur est une des raisons d’être du programme très réussi des « entrepreneurs d’intérêt général », sorte de sas pour ouvrir l’Etat à des profils qui ne candidateraient pas spontanément sur des emplois au sein de l’Etat.

[41] Bégon-Tavera H., La transformation numérique des administrations, La documentation Française 2021.

Babinet G., Refondre les politiques publiques avec le numérique, Dunod, 2020.

[42] Laloux F., Reinventing organizations, Diateino, 2015.

[43] Voir par exemple la note sur les enjeux structurels de la Cour des comptes Une école plus efficacement organisée au service des élèves, décembre 2021.

[44] Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature au ministère de la transition écologique. Le projet « DGALN demain » vise à fluidifier la chaîne d’action administration centrale – services déconcentrés de l’État – collectivités territoriales.

[45] Direction générale des entreprises, Bercy. La nouvelle organisation distingue les missions structurelles des « missions à impact », conduites en mode projet.

[46] Au regard au moins de deux facteurs : (i) les dépenses massives engendrées par les grands programmes d’investissement (investissements d’avenir, plan de relance…), (ii) le fait que les emplois publics peuvent le cas échéant être pourvus par des agents contractuels, de plus en plus nombreux et qui sont pourtant comptabilisés de la même manière que les fonctionnaires dans les plafonds et alors que la loi de transformation de la fonction publique de 2019 généralise les possibilités de recourir aux contractuels dans l’administration.

[47] Voir Ruiz E., Trop de fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française (XIXe – XXIe siècle), Fayard, 2021 et aussi la note Terra Nova de Mathilde Bras sur la fonction publique de La grande conversation 2022.

[48] Agence de financement de projets portés par des grands groupes, qui n’aura vécu que 27 mois (2005–2007).

[49] Voir Opt. Cit. Soriano S.

[50] Le gouvernement indique que cinq milliards d’euros ont été mobilisés sur cinq ans pour Action cœur de ville, dont 1 milliard d’euros de la Caisse des dépôts en fonds propres, 700 millions d’euros de prêts, 1,5 milliard d’euros d’Action logement et 1,2 milliard d’euros de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

[51] ATD Quart Monde, en partenariat avec le Secours catholique, Emmaüs France, Le Pacte civique et la Fédération des acteurs de la solidarité.

[52] Cette stratégie définit une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 2050 et fixe des objectifs à court-moyen termes par grands domaines (transports, agriculture…) : les budgets carbone. En complément, la loi Climat et Résilience (2021) prévoit des feuilles de route de décarbonation détaillées dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre.

[53] Dans le domaine du numérique, qui a connu plusieurs échecs de planification « à l’ancienne », on pourra penser à l’Inria (institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), dont la stratégie s’est accentuée en matière d’innovation et de souveraineté.

[54] Et bien sûr par l’Europe, qui recourt largement à ce type de procédé.

[55] C’est l’approche retenue par l’Agence d’innovation de défense. Voir Sirapian. M, L’innovation ouverte de défense : connaître, anticiper, agir, La jaune et la rouge, novembre 2021.

[56] Pascal Canfin et Thierry Pech proposent pour l’écologie de s’inspirer des contracts for différence développés dans le secteur de l’énergie pour sécuriser les investissements en fixant un prix d’achat garanti d’une production associé à un prix équivalent carbone.

[57] L’enjeu est de pouvoir déroger dans un cadre sécurisé au droit de la concurrence et de la commande publique. Le domaine militaire bénéficie d’une dérogation générale qui permet à la Direction générale de l’armement de piloter ses programmes en choisissant directement leurs bénéficiaires. Pour le domaine civil, des exceptions au principe de mise en concurrence existent mais sont limitées, comme l’achat public innovant pour des marchés de moins de 100 000 euros.

[58] L’Ademe (agence de la transition écologique) a lancé un appel à communs sur la résilience des territoires : https://resilience-territoire.ademe.fr/

[59] Rappelons que la transformation des anciennes maisons de retraite en Ehpad, avec une prise en charge sanitaire plus importante, a largement été sous-traitée aux acteurs du privé lucratifs, dont le poids ne cesse de croître en conséquence depuis le début des années 2000. Et cette croissance a été étonnamment accompagnée par une diminution importante des contrôles par les autorités de tutelle.

[60] Dans les télécoms, les directives européennes de 2002 ciblent les opérateurs disposant d’un « pouvoir de marché significatif ». La régulation financière mise en place après la crise de 2008 pour mieux contrôler les banques « too big to fail » vise une vingtaine de « banques systémiques ». Le Digital markets act (DMA), très récemment adopté pour encadrer la Big Tech, prévoit la notion d’entreprises « contrôlant l’accès ». Cette logique de ciblage, bien ancrée dans le paysage européen, gagnerait à être développée en France.

[61] L’investissement annuel dans le secteur des télécoms est passé de 7 milliards d’euros en 2014 à 11,5 milliards en 2020, permettant de financer l’installation de la fibre optique et le déploiement de la 4G au-delà des zones les plus denses. Sur l’environnement : voir la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.

[62] C’est le levier utilisé par la Mairie de Paris pour réguler les entreprises de free floating. A Rennes et Lyon ont été mis en place des organismes de fonciers solidaires pour modérer le prix de l’immobilier.

[63] Rapport de France Stratégies Soutenabilités : Orchestrer et planifier l’action publique, mai 2022.

Rapport du Conseil économique, social et environnemental Rétablir la confiance des Français dans la vie démocratique – 50 propositions pour un tournant délibératif de la démocratie française, février 2022.

Voir aussi Gilli F. La Promesse démocratique, Armand Colin, 2022.

[64] OCDE, Participation citoyenne innovante et nouvelles institutions démocratiques. La vague délibérative. 2020

[65] https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/france-mobile-54

[66] On peut également mentionner la réserve citoyenne mise en place dans la gendarmerie pour mobiliser des compétences rares ou ponctuelles.

[67] https://www.ign.fr/institut/fabrique-des-geo-communs-premier-appel-intrapreneur/ et

https://www.openstreetmap.fr/geo-communs-chiche/?msclkid=1e18d2e1cf0e11ecb22bc866e82ee9c7

[68] Depuis sa réforme de 2021, le CESE doit en effet être le « carrefour des consultations publiques » et « l’institution de référence en matière de participation citoyenne ».

[69] Conseil d’Etat, Conduire et partager l’évaluation les politiques publiques, Rapport annuel 2020

France Stratégie, Évaluation d’impact des politiques publiques : que peut apprendre la France des pays les plus avancés ? décembre 2019

Assemblée nationale, comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, Rapport d’information sur l’évaluation des dispositifs d’évaluation des politiques publiques, 15 mars 2018.

[70] Au Canada, l’évaluation est obligatoire pour tous les ministères et organismes publics. Elle a souvent donné lieu à la création d’unités internes chargées de formaliser un plan pluriannuel d’évaluation ministériel permettant d’identifier, programme par programme, les besoins attendus et les méthodes à considérer.

[71] On pourra relancer le projet de « campus de la transformation publique », qui devait également associer la DITP et l’IGPDE (institut de la gestion publique et du développement économique) de Bercy.

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