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Débats

À l’ombre des éoliennes

Concerter en dehors de la réglementation ICPE

Le développement de projets éoliens terrestres fait l’objet de vifs débats locaux, alors que la transition énergétique est attendue par de nombreuses formations politiques et collectifs citoyens. À partir d’une analyse du cadre réglementaire des installations éoliennes, l’auteur soulève les enjeux démocratiques de déploiement de cette énergie du vent.

Les éoliennes terrestres, visibles de loin par leur silhouette élancée, sont de plus en plus présentes dans les espaces ruraux. Sources de production d’énergie renouvelable, elles sont au cœur de débats portés par des collectifs d’habitants, des associations environnementales mais également des élus locaux (Canel-Depitre 2017 ; Vidalou 2020). De nombreux riverains des futurs parcs éoliens craignent de subir des nuisances (visuelles, sonores) et des collectifs mettent en avant les conséquences écologiques de la fabrication (terres rares, acier) et de l’implantation (socle en béton) des éoliennes [1]. Dépassant le simple effet micro-local, dans le cadre des élections départementales et régionales 2021 et des élections présidentielles 2022, certaines formations politiques ont revendiqué leur volonté de ne plus développer les éoliennes sur le territoire français. Dans ce vif débat politique et local sur la place de l’énergie du vent en France, une véritable méconnaissance réglementaire règne autour des éoliennes terrestres, alimentant des frustrations diverses de la part des habitants et des élus des communes concernées. Les professionnels du secteur éolien (notamment le syndicat France Énergie Éolienne), tentent de réaliser une communication positive et une approche apaisée du développement éolien pour résoudre par la discussion des conflits territoriaux énergétiques. Notre travail s’oriente sur la nouvelle place prise par la concertation, dans le cadre des projets éoliens terrestres, comme moyen d’atteindre une certaine acceptabilité sociale [2].

Pour ce faire, nous définirons rapidement la procédure des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), cadre réglementaire dans lequel s’inscrit le développement des éoliennes terrestres. Puis, nous traiterons de la position du préfet de département qui cristallise les frustrations démocratiques. Enfin, la question de la concertation, par ailleurs promue par les pouvoirs publics comme solution associant des parties prenantes souvent en désaccord, sera mise en débat.

L’enquête publique : temps réglementaire de l’expression citoyenne

Les projets éoliens terrestres relèvent du régime juridique des ICPE [3]. Ils sont à ce titre soumis à autorisation environnementale, ce qui impose aux porteurs de projets de réaliser, entre autres, une étude d’impact. L’autorisation est délivrée par le préfet de département sur la base de l’appréciation de trois éléments : la qualité technique du dossier, le rapport du commissaire enquêteur lors de l’enquête publique et les avis des communes comprises dans un périmètre de 6 km sur la base de délibérations prises par le conseil municipal.

Dans le cas des éoliennes terrestres, la procédure ICPE impose la réalisation d’une enquête publique animée par un commissaire enquêteur durant une période d’un mois. Au moment où débute ce temps d’expression de l’avis des citoyens, le projet présenté a déjà fait l’objet d’une étude technique de la part des services de la direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL). L’enquête publique débute lorsque la DREAL a jugé positivement la qualité technique du projet modelé par les bureaux d’études indépendants, mandatés par l’énergéticien. Les citoyens peuvent alors exprimer leur avis sur un parc éolien précis selon des dispositions matérielles déjà connues. Il n’est plus question à ce stade de co-construire l’opportunité, dans un cadre précis et dans le respect de volontés locales formalisées, de l’implantation d’une installation de production d’énergie renouvelable. De ce fait, l’enquête publique n’est perçue que comme un temps de consultation de la population dont l’avis exprimé n’est qu’un des critères permettant au préfet de département de délivrer, ou non, l’autorisation environnementale. Les cas où cette étape réglementaire aboutit sur une modification du projet, que l’avis du commissaire enquêteur soit favorable ou non, à partir de contributions citoyennes font figure d’exemple.

Pouvoir du préfet de département, impuissance des élus locaux

Les projets éoliens terrestres s’implantent sur des territoires ruraux puisqu’il s’agit d’espaces dans lesquels il est possible de trouver du foncier répondant aux critères favorables à l’implantation des machines. La première raison est la faible densité du bâti mais également la qualité du gisement de vent et l’absence de servitudes aéronautiques. Dans de nombreux cas, les maires de ces petites communes sont des actifs ou des retraités qui incarnent le relais local de l’État, ou de la démocratie (Koebel 2013, p. 33). Cependant, le préfet de département est le seul à pouvoir autoriser ou non l’implantation d’un projet éolien terrestre. Dans ce cadre, l’avis des élus locaux n’est que l’un des critères sur lesquels le haut fonctionnaire d’État s’appuie pour rendre une décision. Ainsi, on observe une opposition entre l’enjeu de la démocratie locale et l’urgence de la transition écologique par la production d’une énergie renouvelable (Bœuf 2015, p. 59).

La procédure ICPE crée une double frustration : celle des élus locaux qui ne peuvent pas, malgré leur mandat, soutenir ou s’opposer à l’implantation d’un projet éolien sur leur territoire, et celle des habitants dont le poids politique est contesté. Nous pouvons nous demander si la récente évolution de la fiscalité éolienne et l’envoi de résumés non techniques (RNT) aux élus locaux [4] ne sont pas des mesures qui tendent à calmer les esprits, sans pourtant remettre en cause les rapports de force politique et juridique au sein de la procédure ICPE.

La concertation comme réponse pour atteindre une acceptabilité sociale des projets ?

Le débat sociétal sur la place des éoliennes dans le mix électrique français s’inscrit dans le cadre de la demande d’une plus grande décentralisation du pouvoir (Koebel 2013) et de la contestation de l’intérêt énergétique et financier du développement des énergies renouvelables (Bafoil 2016). Afin de recentrer le débat sur l’échelle des projets, et probablement pour ne pas mettre en débat les politiques européennes et nationales d’énergie renouvelable, la filière éolienne pousse les développeurs à s’engager dans des processus de concertation en dehors du cadre réglementaire de la procédure ICPE. Ils semblent être une réponse au fatalisme des élus locaux qui ne s’impliquent plus dans les projets ou s’opposent par principe, se sentant dépossédés de leurs compétences – et ce alors même que l’aménagement du territoire a toujours été une prérogative étatique (Massardier 2020) –, mais également aux mobilisations locales parfois virulentes en défaveur des projets éoliens [5].

La concertation en amont de l’instruction du dossier est conçue comme la possibilité d’ouvrir un espace de dialogue permettant de réaliser de la pédagogie auprès des populations et acteurs locaux, dont l’avis pourrait réellement modeler le projet (Schwarz et Lavergne 2015). Les porteurs de projet y voient également l’opportunité de personnaliser, autour de la figure du chef de projet, crédible et expert, le parc éolien en développement. Les services instructeurs encouragent les développeurs éoliens à dépasser le cadre réglementaire de concertation de la procédure ICPE, qui semble tacitement être jugée défaillante, afin de satisfaire toutes les parties prenantes, d’éviter les mobilisations et peut-être également afin de travailler à l’acceptabilité sociale du projet [6].

Pour autant, les développeurs éoliens ne sont pas juridiquement tenus de réaliser des démarches de concertation. Elles reposent sur la bonne volonté des porteurs de projet qui, la plupart du temps, font appel à des agences d’assistance à maîtrise d’ouvrage spécialisées dans la concertation liée aux projets de transition énergétique. Tiers garants de la concertation, elles sont financées par les porteurs de projet, ce qui en fait des acteurs partisans mais ne remet pas forcément en cause la légitimité de ces agences à mettre en œuvre une démarche d’information et de concertation.

Dans ce cadre, les agences de concertation sont saisies par les développeurs éoliens à n’importe quel état d’avancement du projet. Ainsi, elles ne peuvent pas décider pleinement des démarches à mettre en œuvre car ces dernières doivent s’inscrire dans le calendrier du projet déjà établi et non pas le modifier, à la vue notamment des sommes d’argent en jeu et des stratégies propres aux énergéticiens. L’étape du développement du projet éolien, l’entreprise qui le porte et l’agence de concertation mandatée sont les trois éléments qui permettent d’expliquer la grande variété des démarches de dialogue local mises en place. En effet, un véritable marché de la concertation s’est développé, ce qui démultiplie les méthodologies et suscite l’émulation collective mais provoque également de la confusion auprès des habitants et élus de territoires qui peuvent être concernés par le développement simultané de trois ou quatre projets différents.

De ce fait, les démarches de concertation liées aux projets éoliens terrestres sont souvent imparfaites pour répondre aux besoins de l’ensemble des parties prenantes. Si elles amènent, la plupart du temps, un cadre de discussion pérenne et serein, elles ne peuvent remplir la fonction que les services instructeurs leur confient implicitement : travailler l’acceptabilité sociale locale du projet. L’action de ces agences, contrainte par le temps, le budget et le caractère « inconcertable » de nombreux paramètres techniques de ces installations, amène dans la plupart des projets éoliens terrestres à des démarches d’information et de consultation plutôt que de concertation ou de co-construction [7]. Les agences n’ont finalement que peu de marge de manœuvre, puisque leur capacité à proposer des démarches de concertation est modelée pour être adaptée à un budget serré et s’inscrire dans un calendrier de projet court. Dans ce cadre, il paraît paradoxal que les pouvoirs publics incitent des développeurs éoliens à s’engager dans cette démarche, sans aucune garantie de voir aboutir le projet porté et donc aucun retour sur investissement.

Pour autant, ces initiatives vertueuses ne suffisent pas à répondre aux demandes de l’ensemble des parties prenantes. Une des solutions serait de conditionner le dépôt du projet en préfecture à l’association des acteurs locaux (habitants et élus locaux), dès l’idée de l’implantation d’un parc éolien. Une autre possibilité serait de systématiser les codéveloppements éoliens entre les sociétés privées et les collectivités territoriales (intercommunalité ou communes), notamment par la systématisation réglementaire du recours aux sociétés d’économie mixtes en énergies renouvelables. Dans ce cadre, la question du rapport de force entre intérêt général de la production d’énergie renouvelable et intérêt privé de la rentabilité financière des parcs, serait recomposée. Ainsi les agences de concertation pourraient alors incarner légitimement un tiers garant de la concertation permettant de faire dialoguer les volontés locales, les logiques économiques et techniques des projets et la vision politique des élus locaux.

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Pour citer cet article :

Romain Lacomme, « À l’ombre des éoliennes. Concerter en dehors de la réglementation ICPE », Métropolitiques, 5 septembre 2022. URL : https://metropolitiques.eu/A-l-ombre-des-eoliennes.html

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